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Un article sur un article, voici qui ne va peut-être pas vous avancer à grand chose, et vous perdre davantage encore vos fenêtres en cascade. Voilà qui redouble aussi le sport favori des réseaux sociaux qui veut que l’on commente ce que les autres ont déjà commenté. Mais si je ne suis comme tout le monde qu’un mouton, je peux être au moins un mouton transparent, avec la référence taggée en fluo sur la laine.

L’article en question est signé de Morgane Tual et il est paru hier dans *Le Monde* du 30 septembre. Il y est question de **Social AI**, une nouvelle application pour smartphone que l’autrice a testé. L’article est intéressant pour la présentation de l’application intéressante dont il parle, et cela suffirait à justifier de vous le signaler, mais aussi par une remarque inattendue qui touche directement à la question des pratiques artistiques émancipées du monde de l’art d’exposition.

Décrivons d’abord brièvement l’application, que de mon côté je n’ai pas pris le temps d’essayer. Le principe est celui d’un réseau social où vous êtes seul, ce qui est en soi une très bonne idée. Mais seul avec un peuple de chatbots causant par IA interposée. Des chatbots intelligents dira-t-on. Donc vous téléchargez l’application sur votre inséparable smartphone, puis vous cochez toutes sorte d’options pour sélectionner le genre de chatbot de votre réseau social perso. Des bavards courtois, flatteurs, blagueurs, ronchons, philosophes ou poètes, comme vous voulez, mais, rassurez-vous, jamais cochons ni insultants, GAFA oblige. Une fois votre forum bien habité vous pouvez commencer à dévider sans attendre vos états d’âmes et réflexions idiotiques quotidiennes. Alors et aussitôt votre petit peuple de chatbots déversera à son tour son flot de réactions, commentaires, approbations, réserves, critiques ou smiley. Ça sera toujours ça de moins à encombrer les autres réseaux sociaux. C’est donc encore de ce point de vue une très bonne idée. D’après le concepteur se serait une manière de tourner ultra-vite sept fois la langue avant de risquer un mauvais retour de bâton dans une assemblée de vives susceptibilités n’ayant pas la sagesse de tourner sept fois la leur sur le clavier. Pourquoi pas, il faut de tout pour faire un monde, et il faudra de plus en plus de tout dans le monde artificiel qui s’annonce. On attend impatiemment la killer app pour chatbot entre eux sans aucun utilisateurs.

J’en viens à la remarque qui m’a retenu, et que je m’étais faite dès la description, sans attendre la morale, mais qui m’a frappé car je pensais être à peu près seul à me faire ce genre de réflexion. Je cite : « (…) le gadget aura au moins le mérite, à la manière d’une expérience artistique, de nous interroger sur notre propre rapport aux réseaux sociaux (…) ». Voilà, c’est dit, avec Social AI nous avons affaire à quelque chose qui relève d’une expérience artistique ! Le malentendu est probablement qu’ici l’art est défini en creux comme quelque chose d’inutile (un gadget) qui interroge quelque chose (n’importe quoi fait l’affaire, mais ce sera plus crédible avec un grand problème de société), ce qui caractérise en effet assez bien l’art d’exposition, en ajoutant toutefois « et qui ne mange pas de pain » (traduit pour l’IA : « sans que ça n’engage à rien ni ne porte à conséquence »). Or ce qui est à noter je crois, c’est que cela relève bel et bien d’une expérience artistique, mais avec la très grande qualité de ne pas le revendiquer, ni de jouer petit bras dans l’espace étriqué, protégé et contrôlé de l’institution-marché de l’art d’exposition. Voici quelque chose comme une œuvre qui ne se dit pas d’art, qui investit un espace beaucoup plus vaste, et qui ouvre sur un usage divergent du monde sans nous faire la leçon d’un questionnement éthique ou politique. L’art que nous attendons pas et qui ne nous attend pas mais dont nous avons besoin.

L’article de Morgan Tual :
https://www.lemonde.fr/pixels/article/2024/09/30/on-a-teste-socialai-le-reseau-social-sans-etres-humains_6339564_4408996.html

image 1 :
photo DeYi Studio, 
détail de « Saint Augustin »
Anonyme transalpin, vers 1470
Tempera et huile sur bois de pin, 109 x 91 cm
Staatsgalerie Stuttgart 
https://www.staatsgalerie.de/de/sammlung-digital/heilige-augustinus-0

image 2 :
SocialAI https://socialai.co/