Une cabane c’est pas un cabanon
par Serge Comte
« Une cabane c’est pas un cabanon » : cette épitaphe gravée dans le marbre sur la tombe d’un vieil homme, voisine de celle de mon aimante mère, me distrait toujours alors que je souhaiterais, en bon fils, apprendre à prier et à me recueillir. Philosophique, comique, ou peut-être simplement indécrottable bricoleur, ce grand-père parti ni trop tôt, ni trop tard, repose en paix selon les vœux de ses enfants et petits-enfants.
Et voilà qu’à des siècles et des milliers de battements d’ailes migrateurs de ce cimetière du sud de la France se trouve aux quatre vents et au beau milieu d’une large plaine d’Islande une maigre architecture, un monticule, un têtu talus, qui n’est pas plus cabane que cabanon mais véritable Palace sans dorure, et voici sa véritable histoire.
Trois vieilles âmes vivaient sous ce même toit. Juste un toit. Þorbjörn, Grímur et Sturla se sont retrouvés pas totalement par hasard, mais après avoir été tous trois excommuniés de la société des Hommes.
Þórbjörn Oddsson « jambe raide » fut le premier à se poser dans ce qui restait d’un refuge de berger abandonné ; assez loin des côtes pour ne pas être retrouvé, pas trop à l’intérieur pour ne pas y être mortellement oublié. Þorbjörn avait volé, violé et tué, et vécut là des années durant, seul, cela s’entend. Avant que Grímur Logason le noir ne le rejoigne par le hasard des ornières ovines. Condamné lui aussi à un éternel retranchement pour avoir tenté d’étrangler, pour de faux, son frère à plusieurs reprises, Þorbjörn l’accueillit sans grande joie. Mais la compagnie autre que celle de sa propre ombre ne pouvait pas être totalement mauvaise. Tous deux, pas très éloquents, ont trouvé cet équilibre des hommes assagis, presque sages. Une vie quotidienne à perpétuité essentiellement régulée par deux saisons ; l’une obscure remplie de chieuses chimères, l’autre lumineuse qui emmerde sérieusement le repos de Grímur.
Plusieurs hivers après, Sturla Hinriksson, proscrit lui aussi, les retrouva au bout de longues pérégrinations sur l’île pour avoir déclaré fort et pas si haut que ça qu’un ciel sans cieux était notre seule, unique et dernière demeure.
Il était tout à fait laid et n’avait pas de sobriquet. Mais Sturla était bavard, et participait assez peu aux tâches quotidiennes du trio. Cela ne dérangeait pas plus que cela les deux autres. Grímur était celui qui entrenait les lieux, Þorbjörn, lui, chassait, cueillait et avait la connaissance de l’art de la conservation de toutes possibles pitances. Sturla, lui, était bavard. Et ça c’était bien, des fois.
En ce talus têtu, au beau milieu d’une plaine de la peu fertile terre d’Islande, ont vécu ces trois cœurs animés par la survie, sans véritable amitié, en ce Palais sans mortaise ni souverain, tantôt sous la neige obscure des mondes sans fin, tantôt sous la danse des herbes folles animées par un astre solaire qui n’arrive plus à se cacher.
Ce texte est extrait du livre d’Aubin Chevallay, « Kyrrðin að mála / Le silence de la peinture », qui présente ses photographies des expositions organisées en Islande en 2022, ses paysages islandais et des textes de ses modèles et de personnes contactées sur les médias sociaux.
« Kyrrðin að mála » (Le silence de la peinture)
https://www.aubinchevallay.com
Serge Comte, né en France à la Tronche, l’été 1966, a été bon ramasseur d’abricots, mauvais dessinateur, passable professeur de français pour enfants, et désormais excellent brancardier au CHU de Reykjavik.