
Le PAN Café est un café ! C’est un café ordinaire qui ressemble à un café et qui fonctionne comme un café, mais c’est un café particulier qui propose un nouveau mode d’implémentation de l’activité artistique. Il est situé sur l’île Saint-Denis, à 10′ de RER depuis la gare du Nord. Il est ouvert les vendredi soir et samedi. Il accueille de nombreuses rencontres : lectures, performances, concerts, projection, discussion, lancement de livres, catalogues ou revues. PAN Café a été fondé par Cécile Paris qui le gère et l’anime depuis 2021. Elle répond ici (le 27 février) aux questions de DeYi Studio .
Tu organises demain et samedi une rencontre au PAN Café sous le titre « retour de rifle », et tu annonces une « nouvelle grille ». Peux-tu nous expliquer de quoi il s’agit ?
La rifle c’est le Bingo, ou le Loto, mais en Catalan. C’est ce jeu de hasard avec des numéros. Les catalans appellent ça une rifle. Cela fait partie de la série des invitations de gens très proches géographiquement et rencontrés depuis que j’ai ouvert le café. Un voisin qui s’appelle Laurent, qui est catalan et qui adore faire la cuisine de son pays. Quand je lui ai parlé de Bingo il m’a dit « ah mais non nous ça s’appelle une rifle ». Voilà. La nouvelle grille c’est juste la grille du loto, et « retour », je n’ai pas pu m’empêcher, ça sonnait pas mal, « retour de rifle » (rires).
Cela fait maintenant 4 ans que tu as ouvert le PAN Café. D’où est venue cette idée d’investir un café ?
Cela fera 4 ans en mai, donc très bientôt. Ça vient de loin cette idée. On a trouvé ce café il y a 4 ans mais cela faisait plus de dix ans que j’y pensais. Depuis la fin des différentes formes de mon projet Code de nuit. J’avais invité vraiment beaucoup d’artistes et quand tout a été terminé j’ai considéré toute cette énergie, tout ce travail, avec 40 artistes qui sont venus dans différents lieux, tout ce que j’ai mis pour les embarquer. Je m’étais prouvée que je pouvais monter des projets de cette ampleur, que j’en avais l’envie et l’énergie. Mais le format de l’exposition, suppose qu’il y a un début et une fin, et je me disais qu’il me faudrait un lieu permanent, sans oser en parler. Je n’avais plus tellement envie de la boite de nuit, parce que c’était assez épuisant, et disons pour faire simple qu’à partir de l’idée de la nuit je suis passé au « code de jour » et aux endroits dans lesquels on est amené à se rencontrer. J’avais donc en tête cette affaire de café et il y avait des moments où ça m’obsédait pas mal.
Pourquoi ici, sur l’ile Saint-Denis ? Le hasard d’un local disponible où un lien particulier avec ce quartier ?
C’est un ami, Antony, qui est un habitué du Bon Coin et des trucs à acheter, à qui j’avais dit sans trop y croire « écoute si tu vois un café à vendre ou à louer », et qui m’a appelé un jour, sachant qu’Eléonore que j’avais déjà rencontrée avait un atelier sur l’île Saint-Denis, en me disant « il y a un café à vendre sur l’île Saint-Denis ». Je suis allée le visiter. C’est comme ça que cette histoire a commencé. Cela a failli ne pas se faire, avec tout ce qu’on peut imaginer de compliqué. Ça me semblait trop grand. C’est comme un endroit que tu visites qui semble idéal, comme les projets qui semblent parfaits sur le papier. Il y a tout : le café, le jardin, le hangar qui peut devenir un atelier, mais en même temps tout est trop grand, ça fait peur et tu hésites. J’étais installée rue de Belleville et je n’avais pas spécialement envie d’en partir. Tout ça supposait de se lancer dans un gros, très gros changement. Déménager, s’installer avec Éléonore. Cela ne s’est pas décidé en deux secondes car c’était vraiment un changement de vie.
Plusieurs artistes ont leur atelier sur l’île Saint-Denis. Jean-Luc Blanc, Michel Blazy ou Djamel Kokene notamment. Est-ce que ce voisinage compte pour le PAN Café ?
Éléonore Cheneau avait déjà son atelier sur l’île Saint-Denis avec d’autres artistes. La bande Elie Godrad et Chloé Dugit-Gros, qui sont d’ailleurs encore en face de chez nous. Je savais que Michel Blazy était là. Il y a évidemment une petite communauté d’artistes qui étaient bien contents qu’on débarque et que le café réouvre. Mais c’est plutôt le quartier qui nous attendait quand ça s’est officialisé et qu’on a dit « ça y est c’est parti ». L’île Saint-Denis c’est petit, c’est à 8 minutes de Paris et il y a 8000 habitant·es, c’est très pauvre. On ne réalise pas qu’on est à 8 minutes de Paris. Cette place de la Libération est vraiment particulière, on se croirait en province. En fait ce café est un peu le centre du village. Il était très important pour tout un tas de gens. Il est resté fermé 5 ans. Les gens attendaient, et espéraient. Il y a eu de nombreux projets discutables, et quand j’ai dit à la Mairie que je voulais réouvrir le café, que j’étais artiste et que je voulais en faire un projet artistique ils étaient très contents. Ça a compté aussi. Et voilà, on a débarqué, on a rejoint toute une communauté d’artistes qui étaient déjà là, mais on a surtout rejoint toute une ville qui attendait ça.

Quelle est la part de mixité dans la fréquentation du café, entre les habitant·es du quartier et la communauté artistique parisienne ?
C’est ce qui m’a longtemps, et encore maintenant, motivée. C’est l’idée du café revisitée, l’idée que le café devient une œuvre, au delà de ce que cela raconte en terme de discours ou de mondes. Ça m’a toujours obsédée que le client lambda puisse fréquenter le café. Il faut partir du fait que les gens sont sensibles. Quelqu’un peut venir boire une bière ou prendre un café sans a priori se rendre compte qu’il est dans un endroit un peu différent. Ça va dépendre de sa disponibilité et de la nature des événements. Évidemment dans ma façon de communiquer les événements et de les décider je pense aux gens concernés. J’organise bientôt un lancement avec Paraguay Press. On fait un lancement de nouveaux livres. Là c’est sûr j’aurai les gens qu’on croise au Palais de Tokyo, à la Cité des Arts, mettons une quinzaine, parce que Paraguay, et puis les deux copines des autrices, et puis voilà d’un seul coup on a une vingtaine de personnes venues de Paris. Mais il y a quand même des gens de l’île qui viennent régulièrement, parce qu’il n’y a rien d’autre. Donc on va avoir toujours cinq ou six personnes de l’île qui vont être là, et puis mettons quelques unes de Saint-Denis, et tout ça se mélange plutôt joyeusement, et c’est de ça dont je suis le plus fière. Les gens du milieu de l’art sont assez étonnés. Ils arrivent au café et ils rencontrent une ou deux figures locales. J’ai mes deux ou trois petits habitués qui sont là depuis le début, qui étaient même là avant moi. Ils sont un peu hauts en couleur, on est dans un endroit un peu différent.
C’est formidable et très important que des gens qui ne sont pas concernés par l’art puissent aussi à leur manière apprécier ce qui se passe, sans que tu te préoccupes pour autant de médiation et sans céder à la démagogie d’une démocratisation de l’art. C’est sans doute l’un des enjeux de ton travail.
Je trouve qu’on a une grande chance ici, qui continue à me faire tenir très fort à ce projet, c’est notre public, appelons-le public. Disons que ça passe de client à public. J’aime bien cette histoire. Adhérent, client, public, ce sont des termes qui glissent de l’un à l’autre pour les mêmes personnes. Prenons l’exemple des lectures. On se retrouve parfois, plutôt à l’intérieur quand c’est l’hiver, pour des séries de lectures, sans micro parce qu’il y a une assez bonne acoustique. Nous sommes à peu près 35 personnes collées contre le comptoir, les vitres, le mur, et trois ou quatre personnes lisent des textes qui peuvent être assez pointus. Il y a vraiment une qualité d’écoute qui me sidère. Des gens très jeunes, habitués à aller à des lectures, se retrouvent assis à côté d’un ou deux pochards un peu bruyants habituellement et qui là se taisent et écoutent. De temps en temps si nécessaire j’interviens, mais toujours en douceur. C’est un peu dingue, je crois qu’il y a aussi un vrai respect de leur part. Quelque part ils voient bien l’énergie, les gens qui sont là, ce truc qui existe. Ils voient bien que ce n’est pas un café comme ailleurs et ils prennent la situation avec plaisir. Comme quoi en fait il faut y aller. C’est juste qu’il faut y aller !
Quand le café est ouvert il y a toujours quelque chose d’organisé ?
C’est ce que j’essaye de faire pour préserver la mixité et pour m’en sortir, mais il peut ne rien y avoir. Quand il fait beau surtout, je ne fais rien de particulier parce que j’ai plus de monde. Il y a tout simplement le soleil.
Au début il y a des gens qui sont venus et qui ne se sont pas sentis à l’aise. Il·elles n’ont pas eu besoin de me le dire, je l’ai senti et je le comprends. Cela ne fait pas écho avec ce qu’il·elles ont envie de vivre. Il·elles ne reviennent pas, ou alors il·elles viennent quand c’est l’été, quand tu peux te mettre au fond du jardin, prendre le soleil, boire une bière et ne pas te soucier de la programmation, ce que je respecte tout à fait.
C’est le moment où les voisin·es peuvent approcher et participer sans trop s’inquiéter de comprendre ou ne pas comprendre ?
Oui, c’est ça. Mais je ne pourrais pas généraliser. Je pense par exemple à un type que je n’aimais pas trop. Au début je me suis un peu méfiée. On ne se connaissait pas avec tout ces gens. Je craignais même d’avoir des problèmes, tous les problèmes qu’on peut imaginer. J’avais encore quelque a priori. Et ce client je m’en méfiais un peu. Je me disais s’il est un peu bourré… Il était parmi ceux que j’avais repérés comme ça. En fait il continu à venir. En hiver il vient toujours le vendredi. C’est un gars qui est routier. Souvent ce qu’on faisait ne semblait pas l’intéresser. Mais ça a changé depuis que l’un de ses copains, José, qui venait tout le temps, est mort. José on le voyait toutes les semaines. Sa famille l’a enterré vite fait, il n’y a rien eu. Du coup nous avons réuni les gens, parce que personne le faisait. On a proposé de boire un pot à sa mémoire. Les gens sont venus, et lui il était là, bien sûr. Et bien depuis, ce gars, j’ai bien vu que cela avait changé quelque chose chez lui. Je ne dis pas qu’il comprend forcément plus dans les détails ce que l’on propose mais je vois bien que d’être dans un endroit où il y a des choses du sensible, de cet être ensemble, de cette communauté, je vois bien, il se laisse embarquer. Je ne sais pas du tout ce qu’il en pense et ce qu’il en fait, mais il est là, et il revient.
À l’école offshore les étudiant·es se sont souvent inquiété·es de la manière dont nous risquions de participer à la gentrification en investissant des lieux désaffectés dans des quartiers délaissés de Shanghai. On sait qu’à New-York les galeries ont toujours été suivies de près par les promoteurs immobilier dans leurs déménagements successifs. En Chine ce sont les cafés, apparus il y a une quinzaine d’année seulement, qui font souvent office d’éclaireurs pour les investisseurs. Ne crains-tu pas de contribuer malgré toi à une gentrification de l’île Saint-Denis qui serait finalement préjudiciable aux habitant·es actuels du quartier ?
Il y a 80% de logements sociaux sur l’île Saint-Denis. Si on parle des 20% restant ce n’est pas grand chose. Je t’avouerais que pour ces 20% je fais plutôt partie des gens qui attendent cette gentrification. Je la souhaite parce que la misère sociale qui nous entoure, au quotidien, c’est vraiment difficile. Saint-Denis jouit d’une très mauvaise réputation, et c’est toujours cette politique détestable qui fait que plus les choses sont pourries plus c’est pour Saint-Denis. En réalité tout dépend ce qu’on entend par gentrification. Je n’attends pas du tout que des gens soient expropriés, et comme ce sont des logements sociaux je ne vois pas de risque. Mais un peu plus de mixité, avec des gens qui ont un peu les moyens, et pas juste des consommateurs. Des gens qui viendraient s’installer comme nous avec un projet, mais ça oui, je les attends. Franchement on en est vraiment loin. Je suis obligée de répondre comme ça parce que je pense qu’on ne peux pas généraliser. New York c’est du privé, bien sûr à Soho les habitant·s se sont fait dégager. Mais ici, dans toutes les cités autour de nous, celles du nord, du sud, les gens sont installés. Ce sont des logements sociaux qui sont en train d’être refaits. Il y en a d’ailleurs un pas loin qui est enfin un peu réparé. Alors pour ma part j’espère voir des améliorations, vraiment. Je trouve ça super dur. Je viens d’une toute petite ville, Vesoul, qui n’est pas très riche. C’était une sorte d’ascension sociale d’arriver à Paris. J’ai vécu à New York, et maintenant Saint-Denis (rires). Je suis contente de vivre cette expérience de banlieue, mais c’est une épreuve les banlieues nord. On est quand même loin. Je sais bien que des gens nous traitent de bobo, mais c’est juste de la désignation sans réflexion. « Ah le café bobo… », c’est une caricature. C’est comme voir un gars en jogging Nike et dire « c’est la caillera »… C’est complètement débile. Les gens autour de nous rament pas mal, mais nous aussi. Nous sommes tous assez précaires.
Ce que je pourrais ajouter pour finir sur ce sujet, mais c’est un sujet intéressant, c’est que je crois que nous avons instauré une forme d’hospitalité que je n’avais pas préméditée mais que je suis contente d’expérimenter. Comme je l’ai dit au début nous avons acheté cet endroit avec Eléonore. C’est donc chez nous, et en réalité nous ouvrons notre maison. Concrètement c’est ça ce qu’on fait. Si vous voulez parler « privé/public », « entraide », « association », nous, on ouvre notre maison pour en faire un lieu qui devient parfois public, et le partager, avec ce jardin magnifique. Je crois que c’est important dans notre proposition : une autre manière d’être propriétaire, une manière de penser autrement la société, le partage. Je ne sais pas si je le ferai toute ma vie, soyons honnête, mais pour l’instant c’est ça.
Penses-tu à un lien ou à une continuité entre ton travail intitulé Code de nuit montré dans les institutions artistiques de 2010 à 2014 et ton activité actuelle au PAN Café ?
Il y a une continuité et une rupture. La continuité est dans le fait de travailler avec d’autres personnes, dans le geste de l’invitation, dans ma volonté d’inviter les gens. Ce n’est pas forcément faire des collectifs, c’est inviter les autres. Ça a toujours été important pour moi. C’est ce que Code de nuit m’avait permis parce que j’avais eu une assez jolie bourse du CNAP qui m’a permis d’inviter une quarantaine d’artistes. Et puis j’avais un atelier au 104. C’était pas mal, on était dans de vraies conditions de travail. La continuité elle est là, mais Code nuit a été montré dans des lieux officiels, au Palais de Tokyo, au Tri Postal à Lille. J’ai fait un atelier de création radiophonique avec France-Culture. On était donc dans les lieux super officiels, dans les lieux d’art, alors que le café c’est le besoin de m’en éloigner, d’être un peu sur les côtés, d’aller encore plus loin.

Le PAN Café se tient à l’écart des institutions et des fondations. Peut-on le comprendre comme une tentative d’inscrire l’art dans le quotidien pour lui donner une portée sociale effective ?
C’est clairement une prise de distance. Quand j’ai dit un peu vite qu’après Code de nuit j’ai eu envie d’un lieu, c’est que Code de nuit était déjà une forme assez immatérielle d’occuper un espace, et donc une façon d’être plutôt dans des choses comme la danse, la musique, la rencontre. Et c’était aussi une sorte de sensation ou d’impression que j’avais. Je commençais un peu à m’ennuyer dans ce milieu de l’art, et ce n’est pas allé en s’arrangeant, pas du tout. Je me souviens être allée à certains vernissages, penser à mon idée de café et me dire que le seul moment sympa c’était quand nous étions tous·tes entassé·es, justement dans un café. Malgré une bière médiocre vendue hyper cher l’essentiel était ce moment où on se retrouvait. Je me disais que si je pouvais ouvrir un café on n’irait même plus dans les centres d’art, on irait directement au café. Et qu’on en finisse ! (rires) Bon c’est un peu provocateur, mais parfois j’ai pu le penser. Pourtant j’ai adoré rencontrer l’art. Les Beaux-arts m’ont sauvée, c’était dingue. Et là ça devenait l’inverse, l’ennui quoi. Donc, oui, il y a clairement l’idée de s’éloigner de tout ça et de tenter de proposer autre chose. Pour autant ce n’est pas une tabula rasa, c’est ce qui me fait dire que le café est une œuvre – je produis des œuvres puisque je suis artiste – mais c’est aussi une manière d’interroger la direction vers laquelle l’art pourrait se déplacer et comment nous pourrions utiliser l’art pour repenser des lieux qui existent déjà. C’est à partir de l’art que je pense le café. C’est d’ailleurs ce que j’aimerais faire si je retourne enseigner. J’aimerais ne pas enseigner l’art, je ne veux plus enseigner l’art, je veux enseigner à partir de l’art. Pour moi il y a une telle liberté avec l’art, cela permet vraiment tellement de déplacements et de croisements esthétiques, que ça me semble un terrain vraiment génial pour se dire, tiens, avec l’art, que fait-on du café ? Que fait-on de la librairie ? Que fait-on de l’épicerie ? Que fait-on de la place publique ?
Et que fait-on de l’école ? Puisque c’est ce que tu as suggéré.
Oui, aussi ! Avec l’art que fait-on de l’école ?
Le tournant professionnalisant des écoles d’art est assez déprimant.
C’est atroce, c’est tellement à l’envers. Moi je suis hyper fan des écoles d’art. Avec tous ces étudiant·es que j’ai rencontré·es je vois bien que ces écoles ce sont les écoles de la vie. C’est un peu dingue de faire une école d’art, tu apprends tout tout seul en fait. Tu te démerdes. Mais tu croises des gens, des pensées, et des bouquins, des formes, et c’est super, il ne faut rien faire d’autre ! N’importe quoi (la professionnalisation), au secours ! C’est mon point de vue et j’en ai pas d’autres. Après, il y a tout un tas de gens, sortis de tout un tas d’écoles, persuadés de tout un tas de choses, qui hélas sont en train de s’en occuper. Je ne dis pas que leurs idées sont mauvaises, je pense qu’elles peuvent correspondre à des réalités, mais je trouve que ce n’est pas ça qui compte. Et je ne suis pas utopiste. En fait si, je le suis… mais j’ai formé beaucoup d’étudiant·es, et c’est incroyable ce qu’il·elles sont devenu·es. Il·elles font des choses formidables. Cette énergie qu’il·elles ont à inventer ne vient pas de nulle part.
Le PAN Café est-il viable au niveau économique ? Parvient-il à s’autofinancer ? Pourrais-tu vivre de cette activité, ou est-ce ton salaire d’enseignante à l’École supérieure des beaux-arts de Nantes Saint-Nazaire qui la rend possible ?
C’est un sujet compliqué. Ce serait viable si je ne payais pas les artistes que j’invite, si je vendais mes boissons beaucoup plus cher, si je vendais des produits d’hypermarché, si je ne payais pas mon assistante, si je ne prenais que des stagiaires. Alors j’arriverais peut-être à m’en sortir. Disons que si j’essaye d’être dans une économie politique engagée et de tenir une vraie attention écologique, avec toutes les activités que j’organise, eh bien je n’ai pas assez de clients. Ça pourrait marcher si je me retrouvais dans le XXe arrondissement à Paris. Là ce serait viable, mais je n’en n’aurais pas eu les moyens. Sur l’île Saint-Denis le m2 c’est 1.500€, à Paris c’est 15.000€, donc voilà, j’ai pu faire ce projet ici, et la population elle est plutôt pauvre. Seulement 15% des 8.000 habitant·es sont des gens susceptibles de venir dans mon café, c’est à dire des gens qui sortent, qu’un café intéresse, qui sont prêt à consommer, sans même penser à l’alcool. Cela ne me fait pas beaucoup de clients.
Sur le site web tu indiques que le café est ouvert seulement le vendredi et le samedi. N’est-ce pas trop peu pour qu’il soit rentable ?
J’ai essayé d’ouvrir plus, ça ne change rien. C’est terrible en semaine. J’ai ouvert des jeudis ou des dimanches, et j’ai servi au mieux deux boissons. J’ai été à fond dans mon idée, mais je me suis retrouvée certains soir toute seule au comptoir avec deux gars qui boivent chacun deux demi, et là c’est la déprime. Tu as gagné 1,50€ dans ta soirée, donc cela ne change rien, il vaut mieux fermer. Je pense que ça va évoluer, avec le temps, je pense que la population va peut-être changer un peu quand même, ici aussi, à Saint-Denis. Disons des gens un peu plus jeunes. Qui sont les gens qui vont dans les cafés et dans les bars ? Ce sont des gens qui ont le temps, qui ont un besoin de sociabilité, qui ont cette disponibilité là. Et sur l’île il n’y en a pas tant, mais petit à petit il y en aura davantage.
Sur la page web du PAN Café il est dit que le café devient une œuvre. Pourquoi est-ce important pour toi de revendiquer explicitement le PAN Café comme une œuvre ? Cette déclaration ne risque-t-elle pas d’affecter la convivialité qui t’intéresse et d’en faire une représentation ?
C’est écrit uniquement sur le site web. Ce n’est pas ce que je dis en face à face, au café, derrière le comptoir ou quand j’accueille les gens. Quand j’écris sur le site que c’est une œuvre c’est juste une formule. Parce trop de gens me disent : « Mais alors Cécile, à part le café, quand est-ce que tu fais une expo ? Et c’est quoi ton projet ? » Et je réponds : « En ce moment mon projet c’est le café ». Mais la plupart des gens ont vraiment un blocage et se disent ce travail au café me prend vraiment beaucoup trop de temps. Certain·es comprennent mieux quand je dis que je fais aussi un film qui se passe au café. D’un seul coup cela les rassure un peu. « Ah oui, un film c’est quand même un objet artistique ». Donc cette formule est d’abord une manière de rassurer mon entourage. Mais pas seulement puisque je considère que j’écris une sorte de partition. Beaucoup de choses, d’objets, d’idées, de gens nourrissent l’activité du PAN Café. Articuler l’ensemble n’est pas seulement une question d’organisation, cela nécessite un véritable travail de composition, au sens artistique du terme. C’est curieux dans la mesure où je n’emploie pas du tout le mot « œuvre » en général, ni même quand je fais des dossiers. Mais là, sur la vitrine grand public du web, ça me semblait assez utile. Parce que pour moi le site web est plutôt une vitrine, et ça me parait l’endroit où affirmer la nature artistique du café. Ça ne sera peut-être plus nécessaire au bout d’un moment, je ne sais pas. Pour l’instant en tous cas cela ne me fait pas peur, et je ne pense pas que ça freine les gens. Je crois que personne n’est venu au café en se disant : « Attention, c’est une œuvre, j’ai peur ! ». Où alors c’est vite oublié. Pour moi c’est plutôt une manière de dire que ce n’est surtout pas un café artistique, pas un café culture, pas un café je ne sais quoi : c’est le café en lui-même qui est le projet artistique.
La déclaration artistique est pour toi une tactique pour couper court à la question et n’avoir pas à argumenter ? Elle est destinée à désamorcer l’attente du milieu de l’art et ne s’adresse pas aux gens qui fréquentent le café ?
C’est ça. De temps en temps j’y pense quand je vois le travail que ça demande et l’énergie que j’y engage. Je n’ai jamais aimé le mot œuvre, il est assez étouffant, énorme, mais c’est assez juste finalement. Il faudrait que j’en trouve un autre. Je n’ai pas le bon mot. Mais il permet de répondre à toutes ces questions et pour l’instant c’est ma stratégie.
Le format des événements que tu organises échappe très largement aux attendus et aux contraintes de l’exposition. Conçois-tu le café comme une alternative à la galerie ?
Oui, totalement. Cela va même au delà d’une alternative à la galerie. Parfois des gens entrent au café et me disent : « Ah, mais, il n’y a rien au mur ! Vous ne faites pas des expos puisque vous êtes un peu artistes, non ? Il n’y a pas des expos au café ? »…
Exposition au café, c’est quelque chose que je ne peux pas supporter et que je n’ai jamais supporté. J’essaye de dire au gens que je ne fais pas d’expos, qu’il n’y a pas d’expos et il n’y en aura pas. C’est une partie de la réponse. Mais c’est aussi une alternative au White Cube parce que lorsque l’on regarde un film, ou que l’on assiste à une performance, c’est dans le jardin ou dans ce café un peu bistrot. On est pas dans une pièce blanche. Les habitués du quartier qui viennent dans mon café, si on les mettait dans un White Cube je ne sais pas s’ils se sentiraient vraiment bien. Ce serait marrant. Donc bien sûr, c’est l’idée d’une alternative. Ce qui est important pour moi c’est qu’il y a quelque chose de l’ordre de l’accueil et du soin. Je me suis souvent dit, dans les White Cube, ou même dans les écoles d’art, dans ces endroits où je suis beaucoup allée, je trouvais insensé qu’on passe des heures assis par terre sur un bout de ciment glacé peint en gris, appuyé sur un mur blanc, parfois avec un coussin, mais alors d’un seul coup tout le monde a le même coussin parce que tout le monde va chez IKEA. Bref, cette situation absurde, j’y suis allergique. J’ai pensé le café comme une alternative esthétique, mais elle n’est pas qu’esthétique, elle est sociale. Cela constitue une communauté de gens qui se retrouvent installés confortablement, avec un truc sympa à grignoter, une boisson, serrés les uns contre les autres, du chauffage quand il pleut dehors, enfin voilà, une ambiance, quelque chose. Et du coup ce n’est pas le White Cube, c’est sûr ! Dans d’autres cas, pour d’autres formes, le White Cube est parfait, je ne suis pas contre.
Tu évoques la dimension du soin, du confort, de la convivialité. Le White Cube est plus souvent critiqué pour sa neutralisation de tout effet critique de l’art sur la société, mais c’est significatif que tu insistes d’abord le côté complètement impraticable au sens d’inconfortable, de contraignant, qui impose le respect.
Il y a une autorité aussi. Du point de vue politique il faut reconnaître que les lieux d’expositions sont des espaces qui finissent par devenir très autoritaires et qui rejouent toujours la hiérarchie du monde de l’art. Et c’est ça aussi que j’ai vraiment envie de quitter, que je tente de quitter, pour rejouer quelque chose de plus horizontal. C’est aussi ce que je tente de faire dans ma façon d’inviter les gens – des gens qui viennent tenter une expérience incertaine autant que des artistes hyper confirmés – et de traiter tout le monde de la même manière. C’est la question des possibles plus que les jeux de statut et d’autorité. Je ne sais pas si j’y arrive, mais j’essaye de créer un endroit qui est moins lié au pouvoir, à la prise de pouvoir.

PAN CAFÉ :
https://www.pancafe.fr/
Crédits photos :
1 – Cécile Paris
2/3 – Éléonore Cheneau
4 : Léa Erlandes