
C’est au deuxième étage. Nous entrons par la fenêtre ouverte. Il n’y a plus carreaux. Pas
d’huisserie non plus. Nous flottons un moment immobiles, oscillant légèrement. Un nuage de
poussière s’élève doucement devant nous. Les canapés sont gris de poussière. Le sol est
jonché de débris. Des morceaux de bois, des fils électrique, des bouts de plastique, du verre
brisé. Tout est couvert d’un tapis de poussière grise. Rien ne craque sous nos pas, aucune
empreinte, nous ne touchons pas le sol. Nous allons sans gravité, comme dans Alone in the
dark en 92 sur un PC sans hauts-parleurs. Nous ne sommes pas dans un jeu vidéo. Nous
sommes le 16 octobre 2024. Nous sommes dans un salon. Deux grands canapés se font
face. Ils sont trop proches l’un de l’autre. L’un des deux a été bousculé. Il est de travers. Il a
heurté le premier. À droite sur la loggia une porte arrondie bordée d’un parement de fausses
pierres donne sur un cabinet avec un petit lavabo. Le reste d’une athénienne traîne dans un
angle. Nous glissons un peu plus loin dans le salon. Nous marquons une nouvelle pause.
Toujours ce léger balancement du danseur bloquant son élan. Devant nous des portes
arrachées d’un souffle gisent au sol. Une arcade décorative sur le côté. Des cadres vides en
face. A l’arrière-plan une cuisine ouverte, comptoir désert, placards éventrés, tiroirs béants.
Deux fauteuils ont été placés en vis-à-vis comme pour improviser un berceau où coucher un
enfant. Un homme est assis, le visage masqué par un foulard. Il nous regarde. Du bras
gauche il lance un bâton contre nous sans nous atteindre. En suivant instinctivement la
trajectoire du bâton on aperçoit un instant sur la gauche ce qui était peut-être une chambre.
Un matelas renversé couvert de gravats. Des tablettes murales blanches, vides. La barre de
fixation d’un téléviseur à écran plat. Plus rien. Tout a été vidé, ou pillé, l’appartement est
ravagé. D’anciens rideaux déchirés par terre, des coussins dispersés, des tuyaux arrachés,
des câbles entremêlés. L’homme reste immobile, assis dans le fauteuil, semble épuisé,
parait gravement blessé au bras droit. Nous reculons lentement sans nous retourner. Nous
ne pouvons pas rester davantage. La présence est confirmée, la cible est verrouillée. Un
obus va détruire l’appartement d’un instant à l’autre. Nous serons les seuls à avoir vu le
dernier geste de cet homme. Nous serons des milliers, très loin de là, assis chez nous, à
entrer par la fenêtre dans l’appartement dévasté, flottant comme en apesanteur dans un
mauvais jeu vidéo.
– photo : copie d’écran YouTube (Raw footage – Israel Defense Forces)
https://youtu.be/YqkSaMuuzzY