
Les traces d’un voyage effectué il y a des années pour voir toutes les peintures de Vermeer se révèlent au contact d’une situation, d’une parole, d’une sensation. Il en découle parfois de courts textes dont certains paraîtront ici.
Le temps est un billet froissé. Dit la chanson que j’écoute en cette fin de journée d’été.
Le billet est là, sur la table, une page déchirée d’un carnet. On y lit des horaires notés au crayon, un numéro de téléphone, métro Jaurès, ligne 5.
Papier froissé trainant au sol. Au premier plan d’un tableau où unefemme écrit une lettre en présence d’une autre femme aux bras croisés, qui regarde par la fenêtre, à Dublin, à la National Gallery of Ireland. Le sol est un damier de marbre noir et blanc. Papier froissé, sur carré noir, tache ronde et rouge d’un sceau de cire détaché du papier – il s’agit d’ une lettre. Dans un autre tableau du même peintre, sur un autre sol en damier noir et blanc, la tache rouge est un filet de sang craché par un serpent – il peut y avoir des serpents dans les intérieurs de Vermeer.
Dans la scène paisible du tableau de Dublin où la femme écrit sa lettre tandis que celle qu’on appelle sa servante regarde par la fenêtre, dans cette scène paisible, tout serait vraiment paisible s’il n’y avait pas cette lettre chiffonnée par terre avec le sceau rouge détaché – quelqu’un s’est énervé.
Il y a souvent sur les tables des tableaux de Vermeer des feuilles blanches, des bouts de rubans, de tout petits objets que la perspective déforme et qui renvoient la lumière – collier de perles, coffre à bijoux, nécessaire à écrire… Chez le Géographe les feuilles blanches roulées par terre.
Le billet froissé est le temps, le billet est le temps froissé – dit la chanson. Le chiffonnage des choses qui passent. Comme les pétales se flétrissent, les pages se tournent, les papillons agonisent. Un détail, un rien, juste le temps qui passe, est-ce que nous nous en apercevrions sinon ?
Dans la pièce du fond, en cette fin de journée d’août, les jeunes filles chantent en s’accompagnant à la guitare, elles sont peut-être heureuses. Irons-nous au cinéma ce soir ? Les gens font la queue devant la baraque à glaces de l’autre côté du canal. La nuit va tomber. S’allument les reflets rouges et jaunes des phares de voitures et des éclairages de café sur le canal. Tu as ouvert la fenêtre pour fumer. On entend mieux le soir les voix des passants, une troisième guitare joue dehors. Je regarde sur la table, le papier à cigarettes, la gomme, un trombone, un lecteur MP3, une boîte d’allumettes venue des Pays Bas, ainsi qu’un pot à crayons contenant un stylo métallique sur lequel la lumière se reflète. Nous qui sommes des papiers froissés, dit la chanson.

#96/ Tout autour de Vermeer (1)
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