
Les traces d’un voyage effectué il y a des années pour voir toutes les peintures de Vermeer se révèlent au contact d’une situation, d’une parole, d’une sensation. Il en découle parfois de courts textes dont certains paraîtront ici.
Une femme dans un bus parle à une autre femme. Qui n’est pas là, elles sont au téléphone, cela se passe dans un bus, à Paris, en plein après-midi, un jour gris. Le bus pousse ses soupirs de bus, la femme qui est assise en face de moi dit qu’elle n’en peut plus, elle ne dort plus. Les dettes, l’appartement qui ne se vend pas. Elle parle aussi d’une nouvelle technique qu’elle a essayée, cela s’appelle la conversation intérieure. Elle rentre chez elle. Elle a du ménage à faire. Un nouvel agent immobilier doit passer.
Quelqu’un à l’arrêt frappe de toutes ses forces contre la carrosserie du bus à cause d’une porte qui ne s’ouvre pas. Le chauffeur n’arrive pas à activer l’ouverture de cette porte. On attend. On peut voir dehors, sur un panneau Decaux, sur l’affiche de l’exposition Vermeer qui va se tenir bientôt, la sérénité parfaite de la Laitière.
La femme au bout du fl parle maintenant des voix qu’on a en soi. On a plusieurs personnes en soi. Contradictoires. Certaines il faut les écouter, d’autres les faire taire. Comment les faire taire ? Son interlocutrice dont je perçois le ton enjoué, n’a pas l’air de savoir mais je ne comprends pas exactement ses paroles. Un voyage qu’elles devaient faire ensemble avant ou après Noël semble remis en question. Et la femme assise en face de moi dit, toi, de toutes façons, toi tu vas toujours bien, c’est ton tempérament, tu as de la chance. La conversation revient sur le voyage et je comprends que l’interlocutrice invisible dit qu’elle ne pourra pas partir, elle a rencontré quelqu’un. Pas par une application. Dans un bar, comme cela n’arrive plus souvent. Il l’a invitée à prendre un verre. Ils sont restés en relation depuis et maintenant ils veulent se revoir. Le visage de la femme qui est en face de moi dans le bus s’est crispé tandis qu’elle regarde défiler Paris, on vient de traverser la Seine. On croise à nouveau la Laitière de Vermeer. Je me demande si ma voisine est saisie comme moi par la plénitude que dégage ce personnage exagérément agrandi, je me demande quelle influence peut avoir sur nos humeurs de passants cette affiche au cadrage recentré sur le personnage d’un des tableaux les plus célèbres du peintre, portrait d’une femme d’une autre époque, concentrée, paisible, qui regarde tranquillement le flet du lait qu’elle verse d’un récipient à l’autre. La conversation se termine un peu sèchement. Ma voisine pousse un soupir en rangeant son portable, ses yeux se posent sur la version géante de l’affiche puis sur moi.

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