Mon travail artistique explore la fluidité et la continuité entre humains et non-humains. C’est un sujet essentiel de notre époque, qui se situe au cœur de toutes les « -sations » qui façonnent le monde tel qu’il est aujourd’hui : modernisation, industrialisation, mondialisation et colonisation.
Quand je dis non-humains, j’entends toutes les existences de ce monde, vivantes ou non, en contact avec les humains ou non : animaux, plantes, microbes, roches, rivières, étoiles, galaxies, lumière, poussière. Quand je parle de fluidité et de continuité, il s’agit de la manière dont nous nous identifions et dont nous nous plaçons : faisons-nous partie de la nature ou non ? Nous sentons-nous inclus, reliés, acceptés par l’environnement qui nous contient physiquement ? Sommes-nous parmi ou au-dessus ? Ressentons-nous une profondeur égale en nous-mêmes et dans l’arbre devant nous, ou dans le chat miteux du quartier qui vient de perdre son combat ? Ou encore dans un vieux fût de pétrole sur un port, dans le vent solaire qui effleure notre planète à son point d’approche ?
Il s’agit de respect et d’empathie, et en même temps, d’aller au-delà. Aujourd’hui la majorité des humains ont hérité d’une opposition entre Nature et Culture, issue du courant de pensée occidental né de la rencontre entre la philosophie grecque et la transcendance des monothéismes. Cette opposition engendre à son tour une hiérarchie et nourrit la tendance à considérer les non-humains comme des objets plutôt que comme des sujets. Si les humains pouvaient comprendre que nous sommes en réalité parmi et non au-dessus, la modernisation, l’industrialisation et la mondialisation ne conduiraient pas nécessairement à l’exploitation. Si certains humains avaient compris qu’ils étaient parmi et non au-dessus, la colonisation n’aurait jamais eu lieu.
Au-delà du respect et de l’empathie, je cherche une réconciliation, une expérience authentique du fait de vivre comme partie intégrante d’un tout. Un tout inséparable, harmonieux mais diversifié, qui te contient, me contient, nous contient, tout autant que les tulipes sur ma table et le filet de poisson dans ton réfrigérateur ; l’argile qui a formé la brique de ma maison et la sève de caoutchouc devenue pneu de ta voiture ; l’eau qui coule dans le ruisseau des hauteurs et les eaux usées du restaurant voisin ; les corps célestes qui nous offrent lumière et chaleur, rythme et poésie ; et le virus qui tue.
Toutes les existences de notre espace-temps forment un réseau de continuité qui scintille dans une dynamique constante. Nous sommes tous liés par une immense toile dont j’ignore le nombre de dimensions, où les frontières s’estompent, les éléments sont interdépendants et s’enchevêtrent.
Or, il ne s’agit pas seulement de la question des existences physiques, souvent envisagées par un regard utilitariste selon lequel le manque de respect envers l’environnement se retournerait tôt ou tard contre l’humain. Il s’agit d’une question d’état d’esprit, d’une manière de nous identifier au plus profond de nous-mêmes. Dans la philosophie taoïste, 天 (« Ciel ») symbolise l’existence collective de tout ce qui se trouve au-delà de soi, tandis que 人 (« Humain ») désigne l’ego individuel. La conscience humaine nous sépare du monde, et la création artistique est le chemin d’une possible réconciliation et réunion entre l’humain et le ciel (天人合一). Par la beauté nous vivons et par la poésie nous entrons dans une voie lactée de nuances où nous pouvons décortiquer notre présence humaine, voyager au loin et nous laisser émerveiller.
Si la création est l’ouverture de soi au monde à travers la révélation d’un point de vue singulier, il semble naturel que, dans mon travail, je dévoile des humains à double existence, qui vivent une continuité au-delà de leur être physique. Les humains peuvent être à la fois arbres, oiseaux, poissons, dragons, roches, bâtiments, eau qui coule, air glacé et tout ce qui se situe entre les deux. Et, en retour, ils peuvent devenir nous. Cela reflète ce qui se passe dans ma vie et dans ma manière de voir le monde : à travers de multiples temps, de multiples lieux, de multiples identités, de multiples espèces. Échange, mélange, transition, entre-les-lignes, hors-champ. Non pas omniprésent, mais ubiquitaire.
Avril 2025

Cosmos Flux
2024
HD vidéo 9’10”
https://leechia.net/cosmos-flux

Simple Music
2022
Tirage de photo sur papier semi-brillant, installation sonore 80*30cm, bande de son 0’50”
En collaboration avec Aya KITAOKA
https://leechia.net/simplemusic
Légende image haut de page :
Printemps Éternel
2022
HD vidéo, 15’35”
https://leechia.net/eternal-spring/
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