Boulevard de la Villette, Paris 10ᵉ, le 16 décembre 2017
Je lis dehors même en hiver, même quand le froid me gèle les doigts. J’aime l’idée qu’un livre puisse réchauffer davantage qu’un café. Les bancs publics ont toujours été mes bureaux provisoires. Je choisis celui qui regarde le vide plutôt que la foule. J’ai appris à supporter les pigeons, à ne plus sursauter lorsqu’ils s’approchent de moi. Le gris du ciel ne me décourage pas, il apaise mes pensées. On m’a déjà dit que lire ainsi, au milieu du passage, me rendait invisible. J’y trouve une forme de liberté. Les graffitis sur le bois m’amusent, comme si les autres avaient laissé une trace de leur propre passage. Je crois que j’ai plus souvent lu assis qu’allongé. Les bibliothèques me rassurent, mais c’est dehors que je me sens le plus concentré. Je garde toujours un livre dans mon sac, parfois deux, par peur de manquer de lecture. J’ai la manie de relire le même paragraphe plusieurs fois, sans que personne ne s’en aperçoive. Je ne retiens pas les intrigues, mais les phrases qui résonnent entre elles. Les bruits de pas, le crissement des semelles sur le trottoir sec, m’accompagnent comme une ponctuation. Je ne parle jamais à ceux qui s’arrêtent pour me regarder lire. Le monde extérieur devient plus flou dès que j’ouvre un livre. J’ai peur que mes yeux se fatiguent trop vite. Les bancs froids m’engourdissent, mais je n’y pense plus une fois plongé dans la lecture. Je ne sais pas si je lis pour fuir ou pour attendre. Le vent tourne les pages à ma place, parfois trop vite, comme s’il voulait m’empêcher de rester. J’ai oublié combien d’heures j’ai passées ainsi, sans bouger, àlaisser passer les saisons. Les passants m’effleurent, ils ne me voient pas. J’ai toujours rêvé d’écrire un livre que quelqu’un lirait dehors, dans cette position inconfortable. Je préfère les chapitres courts, qui s’interrompent comme une marche suspendue. Le froid donne aux mots une intensité particulière. J’aime la compagnie des feuilles mortes, elles me rappellent l’automne de mon enfance. Je crois que je lis pour me souvenir. Le banc est mon refuge provisoire, mon adresse sans maison. Je ne cherche pas le confort, je cherche le silence intérieur. Chaque livre que je finis ici reste lié à la couleur du ciel. Je ne suis pas sûr de comprendre ce que je cherche en ouvrant ces pages, mais je continue. Lire dehors, c’est m’exposer aux regards sans rien livrer de moi.

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#167 Sur le banc (2)
#188 Sur le banc (3)
#194 Sur le banc (4)
# XXX Sur le banc (5)
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