Comment faire circuler la musique indépendante dans l’ordinaire ?
Aurélia Zahedi pour la revue TINA
Passionné de musique et Dj, un ancien meunier a imaginé comment partager et faire exister des artistes de labels indépendants.
Après avoir travaillé plusieurs années dans une ferme biologique qui cultive et transforme le blé en farine, Christophe Armand invente un atelier de fabrication de pâtes bien particulier. Il crée une installation autour de sa machine à pâtes alimentaires qu’il appelle Le Son des Pâtes.
Tout d’abord, il place un lecteur vinyle à l’entrée de l’appareil puis, deux enceintes de chaque côté du dispositif. Ainsi, lorsque les pâtes sortent de la machine, elles sont affectées de part et d’autre par cette musique. Parfois même, il invite un.e musicien.ne à jouer un morceau en live pendant la production.
Sur le sachet, il inscrit alors le nom du groupe et du label qui ont accompagné cette fabrication et invite les clients à écouter le son en mangeant.
Sur les marchés du Lot-et-Garonne, il vend ses pâtes, tamponnées par la musique. Ainsi, il nous fait découvrir ces artistes hors des sentiers battus.
Peu de gens feraient le pas de découvrir cette musique de niche. Christophe Armand renverse alors la situation, c’est la musique qui va s’inviter dans un moment de vie ordinaire. Par son geste, il active la circulation du sensible dans l’espace du quotidien. Le repas devient l’occasion d’ouvrir un espace poétique dans un moment banal et commun. Alors, il donne à entendre des compositions étranges, particulières et inattendues. Et petit à petit, l’oreille curieuse tente l’expérience.
Notons que les pâtes et la musique, par leur caractère éphémère ont la même modalité d’existence. Seulement, la musique, qui devient un des ingrédients du repas, apporte un nouveau sens à la dégustation : l’ouïe. Les pâtes, elles, restent nourriture, mais elles portent une chose en plus qui est la valeur de l’imaginaire.
Dans cette histoire, deux mouvements essentiels se dessinent. Le premier part de la terre vers le ciel, la graine semée monte jusqu’à la musique, elle va vers la lumière, vers l’ouvert. Quant au deuxième mouvement, il se joue à l’endroit de la rencontre qui s’opère dans l’espace public du marché, entre le pastier et les clients. Dans cette conjoncture, Christophe Armand déplace la figure du Dj qui n’est plus la vedette de la scène mais qui devient le pont entre l’agriculture et la musique. C’est un geste de passeur qui rêve de montrer l’invisibilisé, ou plutôt de faire écouter celles et ceux que l’on n’entend pas.
La semaine dernière, j’ai offert à une dame qui me logeait généreusement un paquet de pâtes pour la remercier. Je lui raconte l’histoire du Son des pâtes. Elle me dit : « Des pâtes musicales ! Merci ! Je vais inviter mes amis à dîner et nous écouterons la musique en mangeant. » Ce sera cette fois-ci Melcòr du label Le cabanon Records.
https://lecabanonrecords.bandcamp.com/album/i-l-es
- légende image en haut de l’article : Dans l’atelier Le Son des Pâtes, Bias, 2024