
Au fond de ton jardin tu as construit un feu bien que faire du feu dans son jardin soit maintenant interdit par la loi à cause des risques d’incendie. Et aussi pour des raisons sanitaires, les feux de jardin dégageant dans l’atmosphère des gaz nocifs. Et aussi parce que de plus en plus de choses sont interdites pour protéger la planète des humains que nous sommes et protéger, ce faisant, les humains. Ton feu est allumé depuis un moment, il n’a plus besoin de ton attention. Nous le regardons de loin, de temps en temps la fumée devient bleue.
Nous nous sommes installés dehors et tu nous as offert du thé. C’est une belle après-midi d’été, personne aujourd’hui ne devinerait que le malheur s’est abattu chez toi cette année. Le jardin est beau. Le thé est bon. Tes petits-enfants s’en vont à la plage. Et nous parlons gaiement, car si nous sommes venus te voir ce n’est pas pour évoquer les choses tristes. Tu es allé chercher pour moi le catalogue de l’exposition Vermeer à La Haye il y a vingt ans. Presque tous les tableaux de Vermeer étaient réunis il y a vingt ans à La Haye et des gens venaient de partout, de tous les endroits de la terre où on a entendu parler de Vermeer. Tu étais à la Haye à l’époque pour un congrès international où l’on vous avait promis, comme une friandise, de vous faire visiter après toutes les conférences l’exposition Vermeer. Mais votre programme trop chargé vous en avait empêché. Alors pour vous consoler on vous avait offert le catalogue de cette exposition si prisée et tu remets aujourd’hui ce catalogue entre mes mains en disant, je te le donne. Tu te souviens combien il avait alourdi tes bagages, toi qui voyages toujours léger. Tu te rappelles être revenu chercher après l’avoir oublié ce catalogue dans un bar où vous aviez bu de l’aquavit et mangé des sandwiches avec du hareng mariné. Puis à l’aéroport, tu étais fatigué, tu en avais assez, tu étais pressé de rentrer, et les douaniers avaient fouillé tes bagages et feuilleté longuement le catalogue pour voir si tu ne cachais rien entre les pages. Tu te souviens, vingt ans après de l’incongruité de voir défiler sous les yeux attentifs des douaniers silencieux la Dentellière, l’Astronome, l’Entremetteuse, la Leçon de musique. Et moi je me souviens avoir appris que le musée de Washington n’avait accepté de prêter ses Vermeer – La Peseuse de perles, La Dame écrivant une lettre, La Femme au chapeau rouge et la Jeune Fille à la flûte – pour cette exposition retentissante qu’à la condition expresse qu’on lèverait définitivement le doute sur l’attribution à Vermeer des deux petits panneaux peints sur bois que sont La Femme au chapeau rouge et La Jeune Fille à la flûte dont l’authenticité avait jusqu’alors été contestée. À l’heure qu’il est, ce fait, comme bien d’autres, semble oublié.
#96/ Tout autour de Vermeer (1)
#98/ Tout autour de Vermeer (2)
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#108/ Tout autour de Vermeer (4)