
L’année sauvage est un livre qui se déroule pendant un an.
Chaque jour, 1.300 signes, pas un de plus, pas un de moins.
Extrait inédit (2/3).
28 octobre
À la Hasenheide, un clochard était allongé dans l’herbe tout à l’heure. En train de lire, le corps recouvert d’un duvet brun, il était là, calme. Plongé dans son volume, tournant les pages. Je me demandais ce que signifiait être sans abri dans la Hasenheide, cette forêt qui ressemble à un parc, ce parc qui a la dimension d’une forêt. La température n’était pas froide pour octobre, c’était bizarre, le réchauffement climatique menait calmement sa ronde infernale. Un homme un livre à la main dans un duvet à Berlin, une ville qui n’a presque pas de fin, pas de centre, un périmètre qui ne cesse de s’agrandir à mesure qu’on l’arpente. Je réfléchissais à ce que peut un corps, à son incapacité, à l’immobilité subite. Autour de l’homme allongé il y avait une accélération perpétuelle, des joggeurs frénétiques, des vélos lancés à toute allure, des fourgons qui fonçaient sur Hermannstraße. Mais pas de lecteurs. Aucun répit. Sur les hauteurs du parc, deux Arabes sur un banc fumaient un joint en écoutant du raï. Des gamins jouaient au foot un peu plus bas. Je n’avais rien à contester, la vie était imparable. Je marchais et je pensais à l’homme au duvet, à ses yeux sur la page. Sa détermination. Est-ce qu’il avait une idée en tête ? S’imaginait-il protégé par les arbres de Neukölln ?
Jean-Philippe Rossignol
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Philippe_Rossignol
Image © Jean-Philippe Rossignol
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