
Je m’observe dans le miroir de la salle de bains, terrifiée par mon maquillage papou réalisé avec soin en regardant le modèle sur mon ordinateur posé sur le bord du lavabo depuis une heure trente. Je dispose des plumes de pie et de pigeon dans mes cheveux, tranchant avec le jaune, le rouge, le blanc et le noir de mon visage. Je suis prête. Je sors. La gardienne de l’immeuble me salue, haussant les épaules après mon passage, bien évidemment à peine le portail franchi les regards des passants sont happés par mon allure, les clichés s’enchainent, les demandes de selfies aussi, quelques enfants terrifiés garderont mon visage à l’esprit le soir en peinant à s’endormir. Je suis spectaculaire.
Je me rend au jardin situé à côté de la gare R.E.R et comme le paradisier bleu je nettoie le sol et m’assure que le soleil viendra bien illuminer mon visage pendant ma danse. Je suis spectacle pour trois cloches et deux nounous avec ribambelle d’enfants. Ma danse est improvisation, métamorphose entre la femme et l’animal, ponctuée de petits cris aigus de corneille et de roucoulements de pigeon. Les nounous décampent, les cloches sont happés et entament une nouvelle bouteille de rosé, je m’immobilise, essoufflée, enivrée par cette danse rituelle improvisée d’une culture sans autre fondement que mes tests du jour. Filmée par une amie cette séquence aurait surement enflammée les réseaux sociaux mais je ne produis pas de traces visuelles. Je laisse un post-it sur un banc avant de quitter le jardin « Oulala c’est dur aujourd’hui »
Deuxième test, je me poste devant la sortie principale de la gare, immobile, le regard fixé sur un panneau publicitaire au-dessus des portes : « le vrai prix des bonnes choses ». Je ne bouge pas, j’attire les regards qui rebondissent sur moi pour se diriger vers le panneau publicitaire. Des personnes déposent des pièces de monnaie à mes pieds, tout spectacle mérite salaire. Je me sens bien, une séance de méditation inédite, je penche ma tête vers le sol, il y a 9 euros et 75 centimes à mes pieds. De mémoire d’Essonniens et d’Essoniennes rien de semblable ne s’était produit jusqu’alors.
Avant de rentrer je passe chez mon primeur, il me reconnaît grâce à mon baggy et à mon sac poisson, il ne fait pas de commentaire, sa politesse plus forte que sa curiosité. Je prends sept fruits différents et un bouquet de basilic thaï pour ma salade du jour. Je suis spectaculaire.
Le paradisier bleu
https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradisier_bleu
Sans pub, sans subvention, en accès libre, TINA online est financé par les dons à partir de 1€ sur cette page >>>>> merci