
Je m’observe dans le miroir de la salle de bains, ma combinaison bleue, ma casquette bleue, mes gants de travail bleus et oranges. Je prends cinq sacs poubelle de 50 litres, je quitte mon appartement pour ma fiction performance du jour. Le ferrailleur qui se trouve à 754 mètres de chez moi achète 1 euro le kilogramme d’aluminium. Une canette fait entre 5 et 10 gr, j’ai compté 7 gr pour me donner une idée du nombre de canettes à collecter pour faire un kilogramme = 142 canettes.
Je sors de mon immeuble, une poubelle juste en face, trop facile, quatre premières canettes collectées. Pan 25-28 grammes. 50 mètres deuxième poubelle, une canette en surface, deux autres au fond de la poubelle, je tente de les atteindre sans frôler une barquette dégoulinant de graisse. + 3. Dans la caniveau, à l’arrêt du bus, sur les bancs des 7 gr m’attendent, il y en a partout. À la troisième poubelle c’est l’euphorie de la chasse au trésor, je pousse des grands Je t’ai trouvé à chaque canette collectée en les tenant à bout de bras comme un trophée, je me fais remarquer, c’est le but aussi. J’arrive près de la gare RER, bon coin, poubelles nombreuses, canettes en surnombre, j’en récolte aussi directement offertes généreusement par des citoyen.ne.s pressés mais attentifs. Je pourrais broyer d’une main chaque canette pour gagner en espace dans le sac poubelle mais ce geste me rappelle trop certains hommes terminant une bière. Le premier sac est plein, je n’ai pas compté mais disons environs 50 canettes. 1/3 c’est pas mal en 45 minutes. Finalement je vide le sac au sol, je trie les canettes par couleur, les dispose, moins précisément que dans une installation de Tony Cragg. Photo, 58 canettes. Je remballe, je planque le sac de canettes dans un recoin du garage à vélos de la gare. Je quitte la gare RER, je pars vers la Mairie, les poubelles sont nombreuses dans le centre ville et ses rues commerçantes, le chaland aime déguster sa boisson préférée en pratiquant le lèche-vitrine. Deuxième sac remplie en 36 minutes, 62 canettes. Je repars vers la gare, récupère mon premier sac et récolte en zig-zag sur le chemin la trentaine de canettes manquantes. J’en prend une trentaine de plus pour être archi sûre d’atteindre un kilogramme et réussir ma performance fiction du jour.
J’ai mes trois sacs à bout de bras, ce n’est pas lourd mais encombrant. Je vois plusieurs camionnettes crachant des nuages noirs sortir de la Nationale pour se rendre chez le ferrailleur, je suis la seule à pied, il est vrai que je n’ai qu’un euro et quelques de marchandises à revendre. Au comptoir d’accueil immédiatement l’employé rigole, pas le temps de dire quoi que ce soit, lui et des clients se demandent ce que je fais là. Il ne me dit pas bonjour mais OK pose ça dans le bac. Je dis bonjour, je m’exécute, 1,1 kilo. Tout juste, sourire démesuré de ma part, il dit j’ai pas le temps de remplir un quelconque papier, tiens voilà 1,10 euros ne revient pas demain pitié ou alors avec 100 kilos. Je ne reviendrais pas demain.
J’ai 1,10 euro en poche, je suis fière, je rentre chez moi, j’appuie sur la touche Record de mon caméscope mais ce n’est pas facile avec mes gants de travail que j’ai gardé en mains. Je pose sur ma table de travail la canette que j’ai laissé dans ma poche une bonne partie de la journée, un Orangina, je dispose à côté mon trésor du jour, deux pièces, 1 euro et 10 centimes. Derrière la caméra je zoome hyper rapidement vers la canette, un zoom d’amatrice très brusque, très déterminé, puis je reviens tout aussi rapidement vers le plan large pour quelques secondes avant de tourner vers la droite de 30° puis de zoomer vers les deux pièces. Fin. Nouvelle cassette mini DV, durée 1 minute 42 secondes pour cette action performance fiction de collectage d’environ 150 canettes qui une fois recyclées correctement deviendront probablement un des objets que je déteste le plus, une trottinette.
Bilans
Économique : 3 heures de travail = 1,10 euro.
Citoyen : environ 153 merdes correctement recyclées.
Local : probablement qu’une des personnes croisée dans la journée ne jettera plus de l’aluminium n’importe où, je suis trop naïve je sais bien.
Prédictif : je pourrais faire cela une fois par mois.
Santé : quatorze kilomètres de marche c’est bon à prendre.
Idée : une prochaine performance fiction sur les trottinettes.
Artistique : je rigole bien.
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