Description
Des envahisseurs vénusiens, des complots interplanétaires, des voyages dans le temps, des organes de surveillance omniprésents et des insurrections pirates : l’œuvre de William S. Burroughs est profondément marquée par l’imaginaire de la science-fiction, genre dont il était un lecteur enthousiaste. Dans cet essai, Clémentine Hougue, docteure en littérature comparée, apporte un éclairage inédit sur la manière dont l’auteur du Festin nu combine les thèmes de la littérature de genre et les expérimentations d’avant-garde, générant une «machine textuelle» conçue comme une contre-offensive à la prééminence des images, à la prolifération virale de l’information et aux systèmes de contrôle.
Clémentine Hougue est docteure en Littérature Comparée de l’Université Paris III-Sorbonne Nouvelle. Elle est l’autrice de Le cut-up de William S. Burroughs. Histoire d’une révolution du langage (Les Presses du réel, 2014). Chercheuse associée du laboratoire 3L.AM à l’université du Mans, elle est également membre de l’équipe du projet de recherche Aiôn (Socio-anthropologie de l’imaginaire du temps. Le cas des loisirs alternatifs). Ses recherches portent sur les liens entre fiction et politique, dans les avant-gardes, les contre-cultures et la science-fiction.
Extrait :
Dans le roman de Watson, la multiplication des enchâssements vise à accéder à une « Autre-Réalité » : on retrouve cette idée, caractéristique de la linguistique-fiction comme de la pensée mystique, que le langage, employé d’une certaine manière, permet d’appréhender une réalité différente. C’est ce que Burroughs entreprend avec le cut-up : postulant que « les mots ont perdu toute signification et toute existence au cours d’années de répétition » (Burroughs & Gysin, 1976 : 33), le découpage et le réarrangement permettent un accès à un sens nouveau, caché (ou gâché) par un emploi répété et mécanique des énoncés. Ainsi, « les images changent de signification sous la paire de ciseaux, les images olfactives se changent en visions sonores, la vue en son, et le son en synesthésie » (ibid. : 35). Comme l’affirme le personnage de Darriand, « nos langages se comportent comme des barrages entre la Réalité et notre Idée de la Réalité. Je suis enclin à penser que le xemahoa B est le langage le plus vrai que j’aie jamais rencontré » (LE, p. 117).
La linguistique-fiction pose ainsi, chez Delany comme chez Watson, une question qui irrigue toute l’œuvre burroughsienne : la possibilité d’agir sur le réel par le langage, moins comme une incantation magique que comme une machine qui libère le sens – au sens de signification mais aussi de direction : plus de sens unique, mais un accès à la multiplicité du sens.