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Opération Lucot (bis)
Par Jean-Charles Massera
Hubert Lucot est décédé il y a presque 8 ans (17 janvier 2017). Pour continuer à parler de son œuvre et à orienter des lecteur.trice.s vers ses livres nous publions ci-dessous un texte de Jean-Charles Massera paru en mars 2010 dans le livre « Opération Lucot » (éditions ère). En fin d’article la liste des livres d’Hubert Lucot et certains un lien direct sur Place des libraires pour un achat immédiat. Découvrez redécouvrez l’un des grands nom de la littérature et de la poésie.
(Extraits, notes et commentaires à l’usage d’une histoire littéraire à venir)
1984. Langst : « Un livre qui ‘tienne debout par le style’ ? (Tiennent, se tiennent les maisons…) Qui batte au rythme de la syntaxe du monde : paliers, clins de conscience ». Lorsque le livre paraît la littérature ne fait pas encore partie de mes préoccupations, j’étudie les sciences politiques et les avant-gardes, le modernisme et les bouleversements majeurs des données de l’expérience esthétique et littéraire énoncés depuis la fin du XIXe siècle ne sont pas dans les programmes de l’éducation nationale. Ce n’est qu’en 1998, après avoir parcouru le catalogue de l’exposition « Poésure et peintrie » organisée cinq ans plus tôt au Musée d’Art Contemporain de Marseille que je découvre le travail d’Hubert Lucot. Et d’apprendre en feuilletant l’ouvrage que parallèlement à l’histoire des propositions littéraires et artistiques qui ne remettent rien en cause enseignée dans les manuels scolaires et les unités de valeurs universitaires, il y a (eu) une autre histoire, une histoire majeure que la volonté de ne pas savoir qui constitue le fondement et le cadre de l’écriture de l’histoire littéraire de divertissement de tout ce qui a pu constituer un enjeu depuis l’invention de l’espace poétique et artistique moderne s’acharne à nier. Était exposé, Le Grand Graphe, soit une affiche de 12 m² (disponible en 8 rouleaux imprimés en sérigraphie accompagnés d’un livre-mode d’emploi de 112 pages aux Éditions Tristram) composée en 1970-1971.
Question de Jacques Barbaut en 1999 à propos de ce travail qui ne rentre pas dans un rayon de bibliothèque :
« Est-ce que vous considérez que le Grand Graphe constitue le noyau dont tout procède dans votre écriture, en amont et en aval ? »
Réponse :
« Ah oui ! [bondissant] Oui, on pourrait dire ça : je ‘débloquais’ complètement, enfin ! Dans les années 60 j’avais composé quelques livres brefs, dont la moindre des phrases était due à une écriture automatique ; ensuite, les mots étaient retravaillés à l’extrême et surtout montés à l’extrême. J’ai fait trois livres brefs, Absolument, jac Regrouper et Information, les trois ont été publiés récemment. Pendant leur écriture, de 1960 à 1970, le blocage a dominé. Dans le Graphe, j’ai vraiment allongé mon geste, je n’ai pas retravaillé la syntaxe finale, c’est-à-dire que la composition d’ensemble était due à la production d’espaces, car l’écriture produisait une page blanche : quand mon écriture avait occupé un espace, j’avais tout autour un nouvel espace à maculer, à marquer. Il y avait là un allongement considérable. […] Et cet allongement s’est véritablement matérialisé dans les deux livres suivants : Autobiogre d’A.M. 75 en 75 et Phanées les nuées en 76-77, que j’ai travaillé jusqu’en 80. […] Une de mes principales difficultés pour Phanées les nuées, qui était aussi écrit d’un trait mais ‘repris’, c’était la parenthèse. Dans le Graphe, je l’avais déportée dans la marge du texte — et, proliférant, cette marge avait fait le Graphe de 12 m2. »
Soit l’idée que la forme se cherche dans un processus de travail et non dans une histoire (de genres, de formes et de formats de pensée) constituée en dehors de toute relation de nécessité avec le lieu, le temps, le contexte et les conditions historiques dans lesquels elle pense (naïvement) s’inscrire – transhistorique donc et consignée par des conditions de réception animées par la croyance et la volonté de ne pas savoir 1. qu’« À de grands intervalles dans l’histoire, se transforme en même temps que leur mode d’existence le mode de perception des sociétés humaines. La façon dont le mode de perception s’élabore (le médium dans lequel elle s’accomplit) n’est pas seulement déterminé par la nature humaine, mais par les circonstances historiques. »[1] et 2. que parallèlement à l’histoire des propositions littéraires et artistiques qui ne remettent rien en cause enseignée dans les manuels scolaires et les unités de valeurs universitaires, il y a (eu) une autre histoire, une histoire majeure que la volonté de ne pas savoir qui constitue le fondement et le cadre de l’écriture de l’histoire littéraire de divertissement de tout ce qui a pu constituer un enjeu depuis l’invention de l’espace poétique et artistique moderne s’acharne à nier.
Nécessité : Fin des années 60 du siècle précédent. Si l’industrie culturelle, la technique et la culture du spectacle participent activement au détachement du « Je » de l’Histoire (le divertissement), le formalisme esthétique combattant le spécifique au nom de la nécessité d’imaginer une subjectivité échappant à tous les déterminismes (sociaux, culturels, politiques, religieux) – qui dans sa visée suprême et ses propositions les plus radicales produirait l’affirmation d’une abstraction universaliste et transhistorique a également rêvé d’une subjectivité coupée de l’Histoire (certes éclairée par la seule expérience esthétique, mais bon coupée quand même…). Le travail d’une reconnection (non aliénée) à l’Histoire comme enjeu. Le retour à une écriture non conscientisée, à une croyance dans le réalisme de celle-ci, à une relation évidente entre la représentation et le représenté, entre la phrase et son objet comme risque. Le retour à une croyance dans la capacité des genres et des formes pensés pour (dans) une époque, des problématiques, des visées révolues (le réactionnariat) comme doxa assez pénible. Le projet Lucot comme possible.
« Un livre qui ‘tienne debout par le style’ ? (Tiennent, se tiennent les maisons…) Qui batte au rythme de la syntaxe du monde : paliers, clins de conscience » donc. Je sais depuis cette phrase qu’on n’imprime pas un style sur le monde et un rythme au monde, mais qu’au mieux on se sert des figures de style, des rythmes, des modes de production de sens disponibles dans la culture de celui-ci pour opérer au cœur des systèmes de pensée, des représentions qui lui sont inhérents, qui le constituent. D’ailleurs, que nous apporte l’impression (une impression de plus) de la patte de l’auteur sur la page et sur le monde si cette patte ne nous donne rien d’autre à lire que son apparition ? Quel usage peut-on faire d’une visée aussi pleine d’elle-même et pauvre de ce qui n’est pas elle ? Aucun, ou alors, nous sommes dans une logique d’ameublement (du vide ou des salons).
Postulat : Le travail littéraire et artistique (esthétique) qui me tient : celui qui consiste à opérer dans l’espace, la distance, le circuit (de la pensée) qui sépare ma conscience de son objet. C’est là qu’il y a forme, qu’il y a langage. Soit la médiation entre ce qui est extérieur à ma conscience (son objet) et ma conscience. C’est là qu’un travail littéraire et artistique peut opérer (au lieu de s’acharner à travailler sur les « sujets » qui se trouvent aux deux pôles du circuit (« moi » ou « le monde »). C’est là la consistance littéraire. Probablement : « Je ressens ma pensée comme une chose matérielle. Elle s’écoule. Je l’observe — coulante, collante. (À Paris, je relirai la lettre du Voyant : ‘Je est un autre… que j’observe’, j’observe les manifestations dont Je est le théâtre, pourquoi les médias veulent-ils que Je soit fondamentalement aliéné : autre) ». Oui pourquoi au fait ?, mais nous ne parlons pas ici des médias, mais de la médiation entre ce qui est extérieur à ma conscience (son objet) et ma conscience. Donc « Je ressens ma pensée comme une chose matérielle » et aussi un langage compact pour un monde compact. Le travail de la langue (poésie ?) impose des respirations, ouvre des espaces qui ne sont pas de ce monde, qui ne font que retrancher un peu plus notre relation à lui. Le travail du langage, car c’est là l’élément d’Hubert Lucot — et il ne cessera de me le dire et redire en insistant sur le fait que l’apport de Jacques-François Marchandise dans notre entretien de 1999 était essentiel car il avait orienté le propos général sur la question essentielle, qui était celle du langage. Dont acte. Le langage donc et non la langue (la langue c’est une longue angoisse). Langst tout de même : « Excès (lyrisme et restriction), m’en tenir au ‘réel’ (surtout latent, voire anodin condensé), dont nul langage ne fait l’épargne. Choses, les laisser innomées : réceptif ; ne pas dire, pas encore, jouir de mon aptitude, après deux décennies de travail à ressentir l’exister qu’elles induisent, ». Une écriture sur le motif, une écriture sans médiation fictionnelle, en prise directe avec son objet. Un journal ? Même pas. Des livres, une écriture point. Précision au passage : à ce stade de l’histoire de l’art et de la littérature, le genre, le médium ça n’est vraiment plus la question, depuis très longtemps (ce n’est pas parce que parce que les conditions de réception littéraires dominantes préfèrent le confort du refoulement des bouleversements majeurs des données de l’expérience esthétique et littéraire énoncés depuis la fin du XIXe siècle que ces bouleversements n’ont pas existé).
Bref, la forme de nos expériences (contemporaine) du monde comme forme. C’est la manière dont le monde me parvient, dont je le reçois, dont je le lis, qui informe, qui donne, qui fait syntaxe. La conscience réceptrice comme média (oublié le genre « roman », « poésie », autres…) : Sur le motif : « Les ‘intellectuels de Saint-Germain-des-Prés’ (disait-on dans mon triste temps) qui lurent Ulysse désiraient la liberté de Joyce, lequel sans action et sans psychologie épouse le fonctionnement charnu et savant de la conscience. Je fus sensible aux trous du monologue joycien, à ses ‘virgules blanches’, je voulais écarter et combler ces lacunes, je voyais quelque chose d’analogue chez Mallarmé ; à 18 ans (1953) je ne considérais pas que le débit du monologue ou de Rimbaud était automatique, ultérieurement le mot travail (mental, voire analytique) me sembla adéquat pour désigner ce déroulement qui relève dans le même temps d’une Histoire, d’une Culture, créatrices d’associations convenues.
Il s’agissait pour moi de ne pas attraper les tics joyciens, ses astuces parlées, donc culturelles, mais de posséder le moteur diseur. »
Un moteur diseur, un livre, pourquoi faire ? Langst encore : « Langst : une combinaison des strates que l’inconscient du livre et du lecteur transformera. » Combiner quelles strates ? Langst toujours : « Réduire, rétrécir, pour capter le Tempo, celui du monde actuel, et de mon moi qui manque, les choses vont mal :
désormais le Pouvoir admet que nous sommes en guerre, elle est d’abord économique (appel aux restrictions, à une audacieuse stratégie du Profit) —, nous y prépare, démontre qu’Elle est voulue là-bas, qu’elle est, là-bas, l’essence de ceux que nos démocraties devront combattre, le thème doucereux se répand, consensus, union sacrée… » Soit des phrases de traduction de l’expérience qu’une conscience masculine occidentale bourgeoise blanche née en 1935 fait (monte, construit) à partir des informations qu’elle perçoit (de la ville, de la culture, des médias, des interactions sociales, amicales, sexuelles, etc.). Éciture sur le motif pour lui, en revisionnages de rushes montés (le délais analytique) pour nous. Opérations :
« Comprendre
S’impose le mot OPÉRATIONS : militaires, chirugicales, de l’esprit. S’impose une idée : ‘Terrien moderne, pendant 60 ans j’ai vu des images plus que du monde’, ‘Dois-je écarter les images pour voir le monde ?’
Les deux tours s’abattent, de nouveau et encore, l’une aussitôt l’autre, pendant des jours et des jours, jusqu’à la fin des temps.
Elles et leur chute brumeuse sont, mystérieuses évidences, les signes d’un flux nécessaire qu’on ne dit pas encore Histoire ; s’imprime en moi le Sens suprême d’un rêve aux objets disparates et concrets, je puis rêver que certaine Mafia pentagonale organise tout cela, et les ‘fabuleux progrès’ de l’armement, et le Commerce mondial. Progressivement, dans la propagande ou Programme, l’agresseur hypothétique et introuvable, à turban soyeux, à visage à paroles Oussama Ben Laden, s’est dissous dans une notion morale, voire théologique. Ce n’est plus un humain qu’On poursuivra. On enfoncera dans la surface de la planète la trace satanique du Bien s’acharnant contre le Mal.
Quand je fais passer ces forces dans mon corps et, de là, par la vue de Paris telle une litière mérovingienne contre mon lit d’hôpital, je comprends mieux l’être de l’Afghane sans visage (sa belle tête est un panier tressé en taffetas) qui ne parvient pas à penser le meurtre de son enfant par une bombe venue de l’Ouest. »
Mais rien n’est jamais sûr. À ce sujet, question Jacques-François Marchandise en 1999 à propos des montages proposés par Hubert Lucot :
« À partir de ce matériau de base, on a l’impression, quand on lit plusieurs de vos livres, que vous mettez en place plusieurs montages différents : les bandes d’origine, les masters, les rushes, etc., ne sont pas exactement les mêmes mais on note souvent des grosses parties communes d’un livre à l’autre et que l’agencement, le montage, la mise en place sont sans cesse renouvelés, comme si un réalisateur faisait dix films différents à partir du même tournage. »
Réponse du monteur :
« Oui. »
C’est par montages successifs (propositions, essais) que la conscience (re)monte la chaîne des événements, la production — s’il y en a une — (originale) du sens. Opérations encore : « Un visiteur de mon voisin a laissé France-Soir : des masses de fuyards afghans atteignent la frontière du Pakistan, victimes d’une catastrophe naturelle, semble-t-il. Celle-ci a un moteur abstrait, auquel mon esprit remonte. » Suit la remontée de l’esprit : « Une mystérieuse équipe porte trois coups symboliques à la puissance et à l’intégrité des États-Unis. Peu après, des millions de torrents verbaux que déversent les chaînes de radio et de télévision mondiales dessinent un creux, un vide, un néant : la formidable puissance des États-Unis et de son comparse britannique va pilonner un pauvre petit pays situé à dix fuseaux horaires de New York et à un millénaire d’histoire. » Langst déjà : « Mon travail : le travail du temps. Temps non pensé en termes d’espace : temps dits par brèves, longues, emboîtements. Il multiplie les connexions. » Articuler des expériences, des modes de saisie, des manières d’appréhender, privées, intimes et la culture, l’idéologie dans lesquelles se font ces mêmes expériences et se construisent nos représentations. Il n’y a jamais de découpes naïves — hors du temps et des conditions historiques, sociales et culturelles d’apparition — d’une figure, d’un je, d’un moi, d’un nous (sans le monde), d’un moment, d’un événement, d’une situation, de ce qui arrive, d’une pulsion :
Allègement : « Il y a quelques jours, dans la banlieue de Marseille, 5 adolescents de 15 à 17 ans ont mis le feu à un autobus empli de voyageurs. Une Franco-sénégalaise de 26 ans n’a pu s’échapper ; ‘ses jours sont en danger’.
La folle pulsion collective et désintéressée nous bouleverse – au point que des témoins – ont renoncé à ‘la loi du silence’ ; une fois encore, à la condamnation absolue du mal absolu je préfère l’analyse relative :
Les 5 ont mis au-dessus de tout le principe de plaisir. Ils ne détestent pas leurs congénères, mais, non aimés par la société, ils les aiment moins que leur plaisir, comme le proxénète enchaînera et torturera des femmes parce qu’il DOIT s’acheter une Porsche et régler une dette d’honneur.
La disparition de l’autre connaît de nombreux modes. Pour nous, le SDF a sombré…
Dans le coma la Franco-Sénégalaise. Le mot revient, récent. Construit sur le modèle ‘Franco-Américain’, ‘Italo-Américain’.
Les images de l’arrestation : banalité s’élève à austérité ; principal acteur, le ciment ou béton de la ‘cité’. Un gaz électronique enveloppait les têtes des mineurs. Un père est apparu : une caricature d’Arabe (faciès, accent, coupe de cheveux, tee-shirt non impeccable) crachant son indignation : ‘Mon fils n’a rien fait, il était avec moi ce jour-là’ ; alors, les enfants masqués eurent un visage : l’appartenance à la communauté maghrébine. (J’apprendrai qu’il y avait aussi des Blacks.)
Il FALLAIT mettre le feu : préparer une mèche, attendre le bus (était-il arrêté à un terminus ?), ouvrir le réservoir… oublier les passagers pour qu’existent uniquement la cible et l’acte – et sans considérer l’avenir : enquête, procès, prison.
Sarkozy voit la cible : l’Élysée. Il se voit appliquer le dogme libéral, en sa pureté. Il ne voit pas ceux auxquels cela s’applique, ni les résultats de l’application. Dogme impitoyable dont il n’est l’auteur : il a voulu qu’on accepte sa personne dans le camp libéral, il en sera le chef, croit-il. »
L’analyse relative et le démontage d’une représention comme enjeu, l’écriture de la connexion comme outil. De là une question : comment se forment les représentations non montées par un intérêt extérieur (idéologique, politique, religieux, économique), cette pensée entre ma conscience et son/ses objet(s). Naissance et développement d’une idée dans le processus d’écriture à l’œuvre dans le travail d’Hubert Lucot.
Probablement : « Une Idée se condense, l’idée de Femme, par exemple, ou chair ou exister – précisément : exister heureuse (liée à bonheur, à plaisir) -, se développe… se développe ce que l’idée touche de l’air, dans l’air.
Il n’y avait pas d’histoire(s) mais des êtres, ces choses, matières, ces détails que « l’idée » touche – de l’air, dans l’air, de l’Être, déplacement – … déplace, ou états, plants, niveaux, paliers, phrases
Les femmes étaient déplacement de l’air, dans l’air, l’air venait de l’étang dans l’air, d’un parfum
principe, odeur d’une plante unique, mais je ne sais si c’est rose ou fenouil, vanille, châtaigne, thym
de l’air la musicalité tirait vers train : ébranlé le val monte, sans retomber s’amenuise ; vers grenouilles : un fond de gosier concasse la campagne.
Associant, dans l’air que remuaient leurs voiles immobiles (nul vent), le parfum de leur peau, la chair de l’idée (en ce temps l’idée avait chair) et l’odeur – pas seulement d’une fleur mais (oui, encore, l’idée a toujours chair) de tout végétal, d’un arbre, du bois (cellier, huche contre la cuisinière), soupière, marmite… parfois un groupe constitué s’avance, de nouvelles femmes s’y intègrent, j’apprends ELLES vont VOIR… alors que je les contemple, et leur mouvement commun… »
Soit un procédé d’extraction – suivi d’un montage – des composantes essentielles de la représentation, des composantes qu’articule une conscience pour former une image (mentale), une représentation (mentale). Soit une écriture de la manière dont les constituants de la pensée circulent dans nos systèmes de (cette même) pensée.
Hypothèse : Du coup (« comme si un réalisateur faisait dix films différents à partir du même tournage »), confirmation d’une sensation que l’on peut avoir en ouvrant successivement plusieurs livres de Lucot et en n’en lisant que quelques pages, en plongeant dans la condensation d’une idée et non une intrigue ou une démonstration qui excéderait quelques paragraphes :
Probablement (1999) : « Dans la fenêtre hypothétique qui (à Antibes ?) donne sur la mer […]
Fenêtres. J’aime aTeLier ouTiLs
Me plaçant ce 18 juillet 1992 à la cote ‘Mer Antibes épaisseur blanc’, je ne ressens pas cette SUBSTANCE, mais, suc, levée (pâte), l’enregistrement rétroactif de ma position.) »
Recadrages (2008) : « KAS, TERRASSE SUR LA MER, 7 H 40
Je suis, depuis près d’une heure, devant le plus extraordinaire PAYSAGE DE MER (j’invente ces mots à l’instant) que j’ai connu. En 1939, à Royan, j’ai découvert la substance MER dans un morceau de plage captif entre une jetée et des maisons, avec le coup de fouet RESSAC. Je n’accédais pas à l’immense vide courbe et ondulé. »
Langst (1984) : « Je ne choisis pas mes mots. Ils me choisissent et me désignent. Me font, défont, défoncent. Attention au monde. […] Continuité discrète de mes livres, chacun contredit le précédent. Je : coupe court à ce qui serait du livre qui s’acheva ; généralise ce qui, inconsciemment voulu par le livre finissant, forme qui se refermait, demeure moteur. » C’est toujours le même livre ? Non. Hypothèse donc : On peut prendre un livre d’Hubert Lucot à n’importe quel endroit, n’importe quelle page, comme on peut prendre n’importe quel livre (ceux qui ne sont pas conçus et désignés comme des romans type Le Centre de la France ou Les voleurs d’orgasmes), lire quelques pages et reprendre sa lecture en ouvrant un autre livre. On n’ouvre pas un livre d’Hubert Lucot, on ouvre un travail (en cours). Un travail permanent de lectures (relectures) des informations que capte (sans temps – moyens – d’analyse) une conscience, informations que l’écriture (la distance et le délai de conscientisation / représentation) monte.
Et une fois monté ? Hubert Lucot répondant en 2009 à la question de Jean Perrier cherchant à lui faire dire en quoi ‘une intrigue unitaire’ ne relève d’aucune nécessité aujourd’hui :
« Je tire sur des fils, des fils du labyrinthe, des fils du style, des fils de la perception immédiate, de l’histoire, de notre être au monde, pour que les gens sentent fonctionner leur psychisme et la communauté humaine. Tirer ces fils et faire ces constructions apparemment originales, c’est nous renseigner sur ces entités ou ces réalités. »
Jean-Charles Massera, Berlin, février 2010.
[1] “L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée”, in Écrits français, Bibliothèque des idées, Gallimard,
p. 143.
Bibliographie d’Hubert Lucot
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Information, suivi de Et, Fragment 1, 1969.
Bram moi Haas, Agnès Gei éditions, 1969.
Opéra pour un graphe, musique de Marcel Goldmann, France-Culture, 1972.
Overdose, roman, Orange Export Ltd, 1976.
Mê, Orange Export Ltd, 1979.
Autobiogre d’A.M. 75, Hachette/P.O.L, 1980.
Le Dit des lacs, Orange Export Ltd, 1980.
Phanées les Nuées, Hachette/P.O.L, 1981.
Langst, P.O.L, 1984.
Mêlangst, cassette, Artalect, 1985.
Travail du temps, Carte blanche, 1986.
Bram et le néant, La Sétérée, 1987.
Le Grand Graphe (1970-1971), version originale de 12m2, avec Le Graphe pour lui-même, version linéaire, Tristram, 1990.
Le Gato noir, Tristram, 1990.
Dépositions, Colorature, 1990.
Simulation, Imprimerie nationale, 1990.
Les Affiches n°8, n°11, n°14, et n°19, Le Bleu du ciel, 1993, 1994, 1995, 1997.
jac Regrouper (1966-1968), Carte blanche, 1993.
Bram ou seule la peinture, (essai) Maeght éd., 1994.
Sur le motif, P.O.L, 1995.
Absolument (1961-1965), La Sétérée, 1996.
D’Absolument à Sur le motif, Horlieu, 1997.
Les Voleurs d’orgasmes, roman d’aventures policières, sexuelles, boursières et technologiques, P.O.L, 1998.
Information (1969-1970), Aleph, 1999.
L’Être Julie, L’Ordalie, 1999.
Frasque, La Sétérée, 1999.
Probablement, P.O.L, 1999.
Pour plus de liberté encore, slogans hyperlibéralistes, Voix, 2000.
Frasques, P.O.L, 2001.
Subventionnons l’humanitaire, Contre-Pied, 2001.
Opérations, P.O.L, 2003.
Dans l’enfer des profondeurs, éditions de l’Attente, 2004.
Requiem pour un loden, Passages d’encres, 2004.
Crin (1959-1961), Pierre Mainart, 2004.
Opérateur le néant, P.O.L, 2005.
Le Centre de la France, roman, P.O.L, 2006.
Le Noir et le Bleu, Paul Cézanne, (essai), Argol, 2006.
Grands mots d’ordre et petites phrases pour gagner la présidentielle, P.O.L, 2007.
Petits mots d’ordre et phrases incorrectes, Contre-Pied, 2008.
Recadrages, P.O.L, 2008.
Allègement, P.O.L, 2009.
L’encrassement, Voix, 2009.
Album de la guerre, sur des images de Pierre Buraglio, La Sétérée, 2009.
Le Noyau de toute chose, P.O.L., 2010
Overdose, P.O.L., 2011
Je vais, je vis, P.O.L., 2013
Sonatine de deuil, P.O.L., 2015
La Conscience, P.O.L., 2016
À mon tour, P.O.L., 2022
Autour de Lucot
Dossier spécial Hubert Lucot dans le n°21-22 de la revue Java, printemps-été 2001.
Dossier spécial Hubert Lucot dans le n°45 du magazine Le Matricule des anges, juillet-septembre 2003.
Le n°18-19 (printemps-été 2006) de la revue Faire-Part autour de Hubert Lucot, 2006.
Lucot H. L., entretiens avec Didier Garcia, Argol, 2008.
Ruades, ruées, répétées, extrait du livre Le noyau de toute chose, qui prolonge le livre Allègement (P.O.L), dans la revue Vacarme, n°49, automne 2009.
Opération Lucot, (dir.) Jean-Charles Massera, éditions ère, 2010.