
« Mais mort ou vif / Je reste négatif / Puisque tout fout le camp. »
Benjamin Biolay, « Négatif », dans Négatif, 2003
[…]
Sarah-Lee se leva tard. Ça faisait tellement de bien de pouvoir dormir tard.
Bientôt 10 heures. Elle n’était pas mécontente d’être en vacances. Ses journées à
l’hôpital étaient longues et fatigantes. Elle avait la plupart du temps la tête sous
l’eau, devant notamment faire face à un continuel tsunami de mails. On lui
demandait ceci, on lui réclamait cela. Entre deux réunions. OK, elle était là pour
ça ; c’était son job. N’empêche que dans un monde idéal avec un hôpital public
mieux doté, il aurait fallu un quatrième ingénieur biomédical. Ça n’aurait pas été
de trop pour une boîte de cette taille. Près de mille quatre cents lits. Plus de sept
mille personnels médicaux et non médicaux, soit le plus gros employeur de la
ville ! Enfin, heureusement, jusqu’à présent, Sarah-Lee n’avait toujours reçu, in
fine, que des louanges.
Dans la pénombre des volets clos et ajourés, elle passa son pull gris en
cachemire avec un trou de mite à l’épaule par-dessus son pyjama qui bâillait de
haut en bas. Un pull The Kooples acheté en solde, un pyjama Monoprix. Elle ne
voulait plus que Pierre mette ses pulls et ses cardigans à sécher au grenier, avec
le reste du linge. Elle savait que les mites vestimentaires raffolent des fibres
d’origine animale.
« Mais je t’assure que je n’ai jamais vu aucune mite au grenier », disait Pierre.
En tout cas il n’y en avait pas dans l’appartement, elle l’aurait remarqué.
Aussi n’accordait-elle qu’un crédit limité à l’affirmation de son compagnon et
père de ses deux enfants. Ce trou ne s’était quand même pas fait tout seul. Elle
attrapa une paire de chaussettes dans la valise restée grande ouverte au beau
milieu de sa chambre. D’incertaines arabesques couraient sur le papier peint à
fond blanc recouvrant les murs. C’est Sarah-Lee qui l’avait choisi ; ses parents
lui ayant proposé de changer celui orné de bergères et de bergers qui, pourtant,
l’avaient vu grandir. Ce sont les derniers travaux que Jean avait faits dans la
maison, un peu avant de mourir, changer le papier peint de la chambre de Sarah-
Lee, remplacer les bergères et les bergers défraîchis et désuets par des
arabesques. Pierre n’avait pas proposé à Sarah-Lee de lui peindre toute une
fresque sur les murs de sa chambre chez ses parents. Y avait-il seulement pensé ?
Et elle, de son côté, y avait-elle pensé ?
[…]
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