

(Ayant lu
avec son attention habituelle
ma « Planète ») —
Lawrence Krauser me signale n’avoir pas connaissance que quiconque ait jamais prétendu que la terre était une orange.
Éluard, me rappelle-t-il, a écrit que la terre était bleue comme une orange.
Ce qui n’est pas tout à fait pareil, je le reconnais.
Éluard a écrit cela et un chatbot sans doute pourrait l’écrire aussi.
Pour Éluard ce devait avoir un sens profond.
Pour le chatbot c’est moins sûr.
L’idée de « sens profond » en général fait doucement rigoler.
Comme lorsque Johnny Hallyday proclamait que son intérêt pour l’histoire d’Hamlet devait avoir un sens profond.
J’ai aimé l’histoire d’Hamlet, disait-il.
Je ne sais pas exactement pourquoi.
Puis : Il y a certainement des raisons, des raisons profondes.
Le pauvre Johnny avait été abandonné et renié par son père, aussi dans sa grandiose simplicité n’avait-il pas nécessairement tort.
Et assurément il avait raison de conclure :
(lugubre)
Mais c’est sans importance.
Ce qui en a :
L’écriture automatique, l’écriture automatisée —
sont choses bien différentes.
Le comment, le pourquoi.
Le choix dans les deux cas est possible, en seconde lecture.
La loi sera, ou ne sera pas adoptée.
Juge et maître de toi-même.
La bonne blague.
WSB. : Couper les lignes-temps / EZ+AB : Nous autres, oranges mécaniques / 2HB : Celluloid pictures of living — analogies parties en fumée.
Tintin a son orange bleue
— la ligne claire :
un programme de gouvernement ?
Je demande à la machine si orange est invariable.
Bien mal m’en a pris.
Là débute véritablement notre histoire.
(Me lire, idem qu’avec Wagner, on peut s’embarquer pour les neuf heures de représentation mais aussi s’en tenir aux ouvertures et préludes — dans le cas présent, alors que nous nous tenons ensemble sur le seuil, soyez prévenu : Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance.)
C’est que j’ai mal jugé la machine.
(Oublié la leçon de Tintin…)
J’ai omis de lui tracer une ligne claire.
(Et qu’orange pouvait être bleu ?)
Au lieu de lui demander : est-ce qu’orange est invariable ?
(ou de me montrer plus précis encore)
J’ai tapé : orange.

J’ai tapé : orange.
Bien mal m’en a pris.
Vous qui entrez ici, et cetera.
Lien sponsorisé : Orange.fr / Portail Orange / Site officiel™
Je ne vais pas m’émouvoir pour si peu.
On est en 2025, on paye pour paraître le premier, c’est bien marqué : « Sponsorisé ».
C’est clair. C’est net. C’est bien.
Tout au plus pourrait-on objecter que ça prend un peu de place : Orange-Espace client, Les Offres du Moment (avec majuscules), Boutique en ligne Orange, Orange-Mobiles, Orange-Forfaits, pas moins de cinq subdivisions mangeant une portion non négligeable de la plus généreuse hauteur d’écran.
Le deuxième lien (principal) proposé n’est pas sponsorisé : Portail Orange / Offres Mobiles, Internet, TV, Actu & Accès, et cetera. On se demande pourquoi ils ont payé pour le premier puisque c’est le même, sauf les subdivisions, qui prennent aussi pas mal de place.
Le troisième lien sur la page c’est : Boutique Orange.
Le quatrième : Orange professionnels.
Puis vient un plan (ça prend de la place) et trois adresses de (vraies) boutiques Orange (ça prend de la place).
Le sixième lien à proprement parler c’est : messagerie Orange.
Le septième : site institutionnel d’Orange (en gros, l’équivalent virtuel du siège social de l’entreprise).
Lecteur attentif, qui peut-être a négligé l’injonction d’abandonner tout espoir au moment de me suivre, tu auras noté, avec un frisson d’anticipation, que j’ai pour l’heure passé sous silence le lien numéro cinq — se pourrait-il qu’il ne participe pas de la même série ?
Cela se peut et c’est le cas.
Il s’agit du site officiel de la municipalité d’Orange.
Pas forcément votre ville préférée.
Moi je ne la déteste pas car il se trouve qu’une personne que j’aime, et avec qui j’ai beaucoup écrit, à quatre mains comme on dit, y tient avec son mari — j’ignore si on tient un commerce à quatre mains ?— une librairie : L’Orange Bleue.
Qu’on y ait ou non des attaches, la présence, virtuelle, sur la page, d’une véritable communauté humaine, fût-elle le terrain de jeu de toutes les nuances possibles de l’extrême droite, pourrait nous être un réconfort…
Cela se pourrait, oui, si la page suivante de ma recherche Google, une fois ouverte, ne s’avérait pas encore plus exclusivement dédiée au constat de l’omniprésence algorithmique de la société Orange.

L’éléphant dans la pièce :
nulle trace, nulle part, ne serait-ce que de l’existence de la couleur orange.
Ni du fruit, d’ailleurs.
Une couleur a disparu.
Pour le fruit, à la limite, nous pourrions invoquer le déclin de la biodiversité.
Mais le fruit et la couleur.
Comme un anéantissement simultané de l’œuf et de la poule.
Ainsi qu’aime à le répéter Donald Trump, qu’on dit être orange : c’est triste.
Saaaad…
La couleur est là, partout même, se manifeste en tant que fond pour un logo.
Logo omniprésent, ce sera clair pour tout le monde.
Je la vois au sens où je la reconnais, et je le reconnais parce que je l’ai connue.
Je l’ai connue du temps où cette couleur avait encore un nom.
Ce n’est plus le cas.
Il existe un nom : orange.
Et il y a une couleur, omniprésente sur ces pages, ces écrans, qui, dans le monde où j’ai longtemps vécu, était nommée.
Il n’y a plus de couleur orange.

Ça rit au fond de la salle.
Technophobe que je suis, n’ai-je donc pas connaissance de ces onglets et menus déroulants ou à tiroirs, conçus pour me réorienter en fonction de ce que je cherche réellement ?
Se pourrait-il qu’en fait, vous vouliez plutôt parler du fruit ? Ou de ce Guillaume d’Orange à l’origine de l’indépendance des Pays-Bas ? ou de son homonyme et parent qui, avec la reine Anne, changea un siècle plus tard l’histoire de l’Angleterre ? ou de l’ordre protestant d’Orange, en Irlande du Nord ? ou de cet autre prince d’Orange qui, au Moyen Âge, écrivit de si belles poésies ?…
(2 ou 3 mots suffisent d’ordinaire)
… ou, qui sait, peut-être encore l’objet de votre recherche est-il la couleur orange ?
Mais non. Rien de tout ça ne m’est proposé.
Des onglets sont bien présents, qui me déclinent à nouveau « Espace clients » « Service technique » « Messagerie Orange », etc. Des menus se déroulent à satiété, partout où se prend à errer le curseur de ma machine, me chantant toujours la même chanson : « Accueil professionnels », « Accueil particuliers », « Abonnements et promotions » — pas l’ombre d’un tiroir où se cacherait la couleur orange.
Pour le reste :
— les princes
— les poètes
— les orangistes et leurs bûchers
— et l’état d’Afrique du Sud, et le Stepford californien d’Orange County,
POUR LE RESTE, ai-je dit, JE sais où chercher.
Tel est le privilège du sachant sachant sacher.
POUR LES AUTRES : circulez.
(Quel bien cela vous ferait-il d’apercevoir que ces choses et ces gens ont laissé quelque trace dans notre culture bourgeoise occidentale obsolète, blablabla ?)
POUR TOUS :
Il est de mon triste devoir de l’annoncer aujourd’hui,
LA COULEUR ORANGE
n’est
plus.
Bonne nouvelle : la France est, pour une fois, à la pointe de l’innovation.
Orange étant une entreprise française, on peut spéculer
(ça, on le peut toujours)
que notre pays est le premier, et à ce jour peut-être même le seul, où la couleur orange ait disparu — mais la couleur bleue ? Français, encore un effort !

Ce n’est pas tout d’avoir fait disparaître jusqu’à la série Orange is the new black, à l’occasion de cette Saint-Barthelémy corporate de la couleur orange.
Je voudrais dire un mot du fruit.
Après tout, le fruit aussi, l’orange, a disparu.
Il subsistait dans mon enfance sous forme d’arôme.
Tang, la boisson des conquérants de la Lune.
Puis vint le bio.
Le fruit est revenu, puis reparti.
On le cherchera en vain, sur Mars : absent des bases de données.
Non, absent des suggestions — on ne la cherchera simplement pas, l’orange.
Parlons, enfin, de l’orange mécanique.
Pourquoi ?
Je sais exactement pourquoi.
Comment écrire sur l’orange, ou surtout jouer avec le mot « orange » (même vidé de son sens et de son suc) sans succomber à la facilité de caser à un moment ou à un autre cette fameuse « orange mécanique » qui sonne si bien ? qui claque, selon l’expression désormais consacrée ? (De même que l’original anglais : Clockwork Orange.)
Réponse : on ne peut pas.
Je le sais : j’ai essayé, mais je n’y tiens plus — pire que l’orange bleue, à l’origine de tous ces tracas.
L’orange mécanique c’est le pantin saignant de la technocratie, étatique ou entrepreneuriale, qu’importe, la jeunesse pleine de jus et de peps en apparence, gueularde, violente, mais dont, en tendant l’oreille, on peut entendre grincer les rouages soigneusement réglés par la Machine de Contrôle.
(La fameuse…)
Chez Stanley Kubrick c’est une nouvelle ligne de streetwear adaptée à l’ultraviolence pas encore filmée au portable, pour Anthony Burgess c’est la négation du libre-arbitre, la culture de l’excuse qui n’épargne pas mais rabaisse : l’idiot reconditionné.
Burgess était catholique.
Il croyait que le choix, au début, avait la forme d’un fruit.

Qui a volé l’orange ?
Ne reste que l’Orange du marchand.
Triomphe final de la chansonnette aphasique, l’univers ne s’achèvera pour nous ni par un bang ni par un soupir, mais par une ritournelle pas forcément bien composée servant de bande son à une scène de destruction universelle, parce que créée par la machine sur la base d’une synthèse de toutes les scènes de destruction précédemment imaginées, les images défilant au ralenti.
Les mots se seront fait rares, marques déposées.
Qui a volé, a volé, a volé, a volé, a volé, a volé l’ * Qui a volé, a volé, a volé, a volé, a volé, a volé l’ * du marchand ?
Seule, la chanson favorite de Marguerite Duras surnagera.
Par accident.
Capri et mon premier amour une fois privatisés, il ne restera que : « c’est fini ».

Il n’y a plus de couleur orange.
D’autres suivront, d’autres couleurs perdront leurs mots, pas juste des couleurs mais aussi d’autres notions sans valeur suffisante sur le marché — car dans cette affaire ce ne sont pas les mots qui disparaissent : les mots seront toujours là mais à la façon des loups de Vyssotski courant dans une seule direction, entre des lignes rouges — le rouge reste à ce jour une couleur — jusqu’à finir en descentes de lit.
(Les gens ne lisent plus que pour s’endormir, vous avez remarqué ?)
Non, ce n’est rien de si grave : le sens.
Le commun pas tout à fait commun.
C’est un peu grave, en fait, quand on y pense.
Mais je ne désespère pas.
J’ai la vision, comme aime à le dire ma fille.
Dans ma vision, il n’y a plus de couleur orange.
Ça, ça ne change pas.
Je marche dans un champ de ruines — un champ de ruines sémantique, j’imagine — et, il ne faut pas se mentir, je suis pas mal désespéré.
Dans la nuit brûle un feu, autour duquel se réchauffent Marguerite Duras et Johnny Hallyday.
Duras, un gros casque sur les oreilles, écoute Herbert Léonard.
Elle ne m’entend pas, aussi je demande à Johnny Hallyday, habillé de cuir et de peaux comme pour cette tournée encore plus ridicule que d’habitude dans les années 1980, inspirée par Mad Max, ce qu’il fait là.
Je lis.
Je me dis qu’il a bien le droit de se prendre pour Hamlet, avec tous les efforts qu’il a fait pour mourir sur scène, afin que ses fans le dévorent comme Dyonisos.
Mais tout ne tourne pas toujours comme on veut.
Je décide de lui laisser le dernier mot.
Je demande : Bon, vu que depuis la disparition de la couleur orange et du reste, je n’ai plus trop foi en rien — est-ce que par hasard vous auriez une idée du secret de l’humanité et tout ça, et de comment tout reconstruire ?
Il dit :
Je vais essayer de vous raconter cette histoire. Comme je l’ai ressentie, moi.
Et vous la ressentirez, comme vous voudrez. Vous.
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