Hier matin j’étais couché dans mon lit dehors il pleuvait et il faisait froid j’avais décidé de me lever tard je lisais tranquillement à la lumière de ma lampe de chevet un roman policier de Richard Stark. C’est l’un de mes auteurs de romans noirs préférés.
Tout à coup un bruit violent sur ma tête un choc violent l’angle d’une planche de bois me heurte le crâne mon menton tout éraflé la lumière coupée. Je panique trois secondes dans le noir le temps de comprendre que c’est une étagère de la bibliothèque (fixée au-dessus de la tête du lit) qui vient de céder sous son poids et de me tomber dessus dans mon lit.
C’est l’étagère sur laquelle j’avais rangé récemment les livres de philosophie qui vient de céder. La philosophie m’est tombée sur la tête.
Les Mots et les Choses La Volonté de savoir Surveiller et punir L’Usage des plaisirs Le Souci de soi de Michel Foucault me sont tombés sur la tête (Foucault, c’est des gros livres, ça fait mal)
Chaosmose de Felix Guattari Le Bouc émissaire de René Girard La Tentation nihiliste de Roland Jaccard Quelque part dans l’inachevé de Vladimir Jankélevitch ils sont tombés sur ma tête !
Les fondements de la métaphysique des mœurs de Kant La Reprise de Kierkegaard Recherches pour une sémanalyse de Julia Kristeva La mort et le temps d’Emmanuel Lévinas sont tombés sur ma tête.
Il y a même La Barbarie à visage humain de Bernard-Henri Lévy qui m’est tombée sur la tête !
Et c’est pas tout : De la Nature de Lucrèce, La Condition post-moderne de Jean-François Lyotard, Le Prince de Machiavel, c’est tombé sur ma tête
Pensées pour moi même de Marc-Aurèle, Le Marxisme soviétique de Marcuse, Travail salarié et capital de Marx, L’image peut-elle tuer ? de Mondzain, Les Essais de Montaigne, Je les ai reçus sur la tête.
Le Gai savoir de Nietzsche vlan ! sur ma tête !
Heureusement que tout le rayon philo n’est pas tombé, mais seulement de la lettre F à la lettre N, (je les range sur les étagères par ordre alphabétique). Sinon j’aurais reçu Agamben, Aristote, Barthes, Benjamin, Birnbaum, Deleuze, Descartes ! J’aurais pu être blessé gravement, j’aurais pu mourir, ou garder des séquelles au cerveau, causées par la chute de toute cette philosophie sur ma tête.
Et pourtant je ne les avais pas tous lus, ces livres, moi. Certains, oui, mais d’autres seulement quelques pages, un chapitre, des extraits, parfois même uniquement la 4e de couverture…
J’ai fini par comprendre qu’il y avait une leçon à tirer de tout cela : la philosophie, c’est important mais si on veut tenter de penser par soi-même sans déléguer aux autres sa pensée il faut conserver vis-à-vis d’elle un rapport de possible égalité. La philosophie il ne faut pas la placer trop haut et pas sur les étagères au-dessus de la tête de son lit.
Michel Dupuy travaille à partir de matériaux trouvés qu’il s’approprie. Il en fait des performances, des images de dessins, des peintures, des textes, des photos. @michel__dupuy
Boulevard de la Villette, Paris 10ᵉ, le 5 décembre 2017
Je marche vite quand je suis pressée mais je ralentis toujours devant les chantiers, je pourrais rester des minutes entières à regarder une pelleteuse pivoter, creuser, rejeter la terre, à observer le ballet des ouvriers au travail, comme si leur mouvement répétitif m’apaisait, je n’ai jamais su expliquer pourquoi. Je travaille dans une petite société informatique, dans laquelle je suis secrétaire. Je collectionne les petits sachets de sucre qui accompagnent les cafés que je commande, je ne les ouvre jamais, je bois mon café sans sucre, je les accumule dans un tiroir sans raison valable. Je n’ai jamais aimé le goût de la banane, même enfant, même dans les gâteaux. Dans la boulangerie de l’autre côté du boulevard, je doute qu’il y ait encore des baguettes épi comme celles que je mangeais dans mon enfance. J’aime entendre mon prénom prononcé par des personnes que je viens de rencontrer ou que je connais à peine, ils vibrent entre leurs lèvres dans une étonnante tessiture qui me trouble. J’aime le bruit des glaçons dans le verre en carton du Mac Do, le son se transforme en fonction du volume qu’on est en train de boire. Manger en extérieur c’est une expérience courante dans mon pays d’origine, ici c’est plus compliqué, les gens vous regardent de travers comme si vous mangiez dehors parce que vous n’avez pas de chez vous. Je bois trop de café, certaines nuits je me réveille dans mon lit, avec l’énergie que j’ai en pleine journée, l’esprit vif, déterminée. Je fais trop vite confiance aux gens qui me sourient, j’ai tendance à tout leur passer. Je dors avec la fenêtre entrouverte même en plein hiver, j’ai besoin de sentir l’air circuler autour de moi pour pouvoir m’endormir. Je me récite parfois les capitales du monde dans l’ordre alphabétique pour calmer une angoisse qui monte. Je me trompe souvent mais ça n’a aucune importance. Je n’aime pas qu’on me demande de choisir un plat pour les autres au restaurant, pourquoi devrais-je décider à leur place ? J’ai la manie de passer ma main dans mes cheveux quand je réfléchis. Je déteste ma voix enregistrée, comme si elle appartenait à quelqu’un d’autre. Je garde dans une boîte les tickets d’entrée des musées que j’ai visités, je ne les regarde jamais mais je ne parviens pas à les jeter.
L’été, je supporte assez bien la chaleur, mais si je bois un verre d’eau trop fraîche, ma gorge se serre et je me mets à tousser. Je n’aime pas ne pas terminer mon assiette. La toponymie des villes me fascine. Je ne fume plus depuis la naissance de ma fille aînée. Je regarde défiler les nuages dans le ciel. Lorsque je me contemple dans le miroir, c’est le visage de mon père que j’y vois. Les femmes que je désire ne se ressemblent pas, je n’ai pas de type de femmes. Je ne mange que des glaces à l’eau, parfois des sorbets. Je ne me lave que tous les deux jours. Je ne supporte pas la margarine. J’ai le sens de la répartie. J’aime jouer avec les mots. Mes yeux ne sont pas formés de la même façon, le gauche est un peu plus gros que le droit. Dessiner des ronds ou des ellipses sur une feuille de papier me détend. Je collectionne les cartes à jouer trouvées par terre dans la rue. Je note tous mes rêves dans un carnet mais je ne le relis jamais. Quand j’entends le mot consigne, je ne pense pas comme ceux qui écrivent à l’écriture d’un texte à contrainte, mais aux bouteilles qu’on rapportait dans ma jeunesse pour leur recyclage. Je préfère les chiens aux chats même si je n’ai aucun animal domestique chez moi. J’allume souvent la télévision en fond sonore. Je n’ai jamais eu de relation sexuelle avec une prostituée, l’idée même me révolte. Je suis attirée de plus en plus par des femmes plus jeunes, sans parvenir à savoir ce qui m’attire en elles. Je ne peux pas aller à la mer sans m’y baigner, quelle que soit la saison et la température de l’eau. Je redoute l’arrivée de l’hiver. Je n’ai jamais fait grève. Je ne suis jamais allé en Turquie. Dans la rue, il m’arrive de parler seul à voix haute. Il m’arrive aussi de m’amuser à marcher les yeux fermés en essayant de tenir le plus longtemps possible. J’aime me lancer des défis. Au Japon, une légende raconte que les objets qui atteignent leur centième anniversaire peuvent prendre vie. On les appelle les tsukumogami. J’ai été objecteur de conscience, aujourd’hui plus personne ne sait ce que ça signifie. J’aime la bière et le vin blanc. J’ai peur de vieillir, mais mourir me semble inéluctable.
Je voudrais arrêter de travailler.
Je me coupe toujours les ongles des pieds trop courts, au point d’avoir parfois mal quand je marche. J’allume rarement des bougies mais j’aime sentir l’odeur de la fumée quand on les souffle. J’ai longtemps cru que j’étais doué pour le dessin avant de comprendre que j’avais surtout le sens de l’observation. Dès qu’il fait beau, je ne porte plus de chaussettes dans mes chaussures. Lorsqu’un problème de connexion survient dans mon immeuble, je me sens soudain démuni sans connexion. J’imagine aussitôt la ville plongée dans le noir sans électricité, dans l’impossibilité de communiquer, de s’envoyer des messages, de se téléphoner, d’échanger en ligne, de se connecter. Je pourrais prendre un livre, mais quelque chose m’en empêche tant que le problème n’est pas réglé à la maison. Il m’arrive d’aller dans un restaurant de mon quartier, parce que j’y suis le plus souvent le seul client et que la patronne m’accueille comme si la salle était comble. Pour elle, je continue d’y aller même si la cuisine de son mari n’est plus aussi bonne qu’avant. Ce n’est pas le soleil que j’aime, c’est la lumière du soleil, en été comme en automne, au printemps comme en hiver. Je ne porte jamais de montre, je préfère regarder l’heure sur mon téléphone. Je ne suis pas superstitieux mais je touche du bois assez souvent, c’est un réflexe hérité. Le regard insistant d’une femme peut me faire rougir. Je parle trop vite quand je suis nerveux. Je suis incapable de siffloter, ça sort toujours un peu de travers. Je m’endors mieux dans le train qu’à la maison, sans doute à cause du roulis des wagons. Je garde les sacs en papier des boutiques où je suis allé, je ne parviens pas à jeter les stylos qui ne fonctionnent presque plus. Je fredonne des chansons dont j’ai oublié depuis longtemps les paroles. Je commence chaque année un agenda que j’arrête d’utiliser au bout de trois semaines. Je me dis souvent que je vais changer, que je vais simplifier les choses, et je finis par recommencer exactement comme avant.
Le livre « Le versant animal » de Jean-Christophe Bailly, s’ouvre sur une séquence quasi cinématographique, celle de la rencontre sur une petite route de campagne, la nuit, avec un chevreuil : l’animal surgit, il fuit dans les phares du véhicule qui le suit sans le rattraper. C’est un moment de temps suspendu, une grâce, un accord parfait entre le suivi et le suiveur, puis la fin soudaine et prévisible, fluide et légère, où les lignes de vie des deux êtres divergent et se poursuivent chacune de son côté.
Cet été, sur la rocade de Rennes, à cinq heures du soir, au milieu d’un trafic chargé, poids lourds, camping-cars, voitures, je venais de Paris, j’étais fatigué, je roulais en respectant la limitation de vitesse. Soudain devant moi s’est dressé un chevreuil. La seconde d’avant il n’y avait rien, la seconde d’après il était là. Dans le bref instant précédant le choc, j’ai souhaité très fort que ce ne soit pas vrai. La forme de son corps, de son corps gracieux et délié, la couleur fauve de sa robe, rien ne collait avec les files de voitures, le bruit des moteurs, le déroulement des bas-côtés. Il n’aurait pas dû être là. Mais il y était et je l’ai percuté. Je l’ai vu partir dans mon rétroviseur, tournoyant horizontalement entre les voitures à travers les trois autres voies de la chaussée. Je me suis arrêté. Tout ce que j’avais envisagé dans le futur proche s’était évanoui brusquement. J’ai senti presque physiquement que je cédais à contre cœur, par secousses successives, à cette irruption du réel. Nos deux lignes de vie n’avaient pas divergé légèrement : le chevreuil était mort et moi je n’avais rien. J’ai continué à vivre et lui, qui était une « entrée dans le monde », avait cessé d’exister.
Le monochame cordonnier, Monochamus sutor, est un coléoptère de la famille des capricornes avec des antennes articulées très longues et fines. Ses élytres semblent faites de cuir grainé brun-noir et sont tachetées de petits points jaunes. C’est un très bel insecte, au dessin délicat et précis. Un jour à Saint-Paul de Vars, dans l’Ubaye, c’était l’été sous les platanes, j’en ai trouvé un sur le sol en regagnant ma voiture. Il avait été écrasé. Son abdomen laissait échapper une matière visqueuse comme si on avait pressé sur un tube et il était collé sur le bitume. Ses antennes vibraient encore et il agonisait lentement sous le soleil. Je l’ai achevé. En frottant sur le sol il m’a semblé le sentir crisser sous ma semelle. À la fin, il ne restait plus qu’une sorte de grumeau noirâtre, un mélange de poussière et de résidus organiques. Monochame cordonnier. Je le dis, même si ce n’est qu’un nom d’espèce, pour l’appeler par son nom.
Une amie m’a confié sa perplexité : elle possède une grande photographie d’Eric Poitevin, qui représente un chevreuil mort, grandeur nature, suspendu par une patte sur un fond incertain de taches et de brindilles. Elle tient beaucoup à cette œuvre. Mais voilà : elle déménage bientôt dans une grande maison qu’elle va partager avec plusieurs personnes. Elle craint que ces personnes ne soient pas ravies d’avoir sous les yeux en permanence cette photo. Comment faire ? Nous cherchons des solutions, c’est un jeu : une autre œuvre de la même taille exactement, accrochée par-dessus ? La construction de volets pour la dérober aux regards, avec ouverture réservée à certains jours, comme ces polyptiques médiévaux qu’on ouvrait pour les offrir à l’adoration des fidèles lors des fêtes de la Nativité ? Non, non, elle sait ce qu’elle va faire : elle va mettre un rideau vert devant pour la dissimuler, tout comme son premier propriétaire l’avait fait pour cacher « l’Origine du monde » de Gustave Courbet.
Michel Dupuy travaille à partir de matériaux trouvés qu’il s’approprie. Il en fait des performances, des images de dessins, des peintures, des textes, des photos. @michel__dupuy
Boulevard de la Villette, Paris 10ᵉ, le 23 novembre 2018
Je suis assise au bout du banc, dans ma parka au col de fausse fourrure, ma besace noire posée juste à côté de moi comme un rempart fragile, quelque chose qui me sépare des autres, qui dit sans le dire que je n’ai pas envie de parler, ni de croiser le regard des autres. Je ne suis pas timide, je suis solitaire, les mauvaises langues disent asociale. Je n’ai jamais su faire la différence entre asociale et associable. Je fais semblant de regarder quelque chose devant moi que je ne regarde pas vraiment, je cherche seulement à ne pas tourner les yeux vers cet homme silencieux qui, je le sens, fait tout pour ne pas me déranger, en retrait, à l’extrémité du banc, prêt peut-être à repartir aussitôt, et pourtant sa présence me dérange, même si nous nous ignorons avec obstination, même si nous jouons tous les deux à faire comme si nous étions seuls ici. Ce qui m’intrigue, c’est de ne pas comprendre pourquoi il se tient si loin de moi, sur la bordure du banc. Je ne voudrais pas qu’il se rapproche mais la distance qu’il a mise entre nous est un message tacite plus troublant que son silence et son indifférence. Je n’aime pas jouer, il y a toujours un gagnant et un perdant et je ne suis jamais du bon côté. Je n’ai jamais compris l’expression jouer à qui perd gagne. Comment un désavantage apparent pourrait procurer un avantage réel ? Cet homme s’est assis peu après moi, j’attends un peu avant de me lever pour ne pas lui donner l’impression que je le fuis. Il n’y a que moi pour me soucier de ce genre de détails. Je me concentre sur mon propre corps, sur la fatigue de mes épaules. Je pense à tout ce qu’il y a à faire aujourd’hui. Je voudrais être ailleurs, marcher, bouger, mais quelque chose me retient ici, quelque chose de plus subtil qu’un simple besoin de repos, comme une sensation étrange que ce moment partagé, d’une densité si particulière, même dans le silence, même dans l’ignorance feinte, révélait une part inconnue de ma personnalité, comme si je me découvrais dans cet espace réduit, et que le fait de ne pas regarder l’autre révélait encore davantage ma fragilité, mon hésitation, mon besoin de me protection. Les voitures passent sur le boulevard, j’entends des bribes de conversations qui flottent dans l’air, tout cela me traverse et se dissipe sans me toucher vraiment. Je garde mon regard fixe, je me tiens raide, je ne bouge presque pas, je fais semblant d’être indifférente mais je sens une infime tension, une vibration presque imperceptible entre le bord de mon manteau et l’espace où il s’est assis, comme si le simple fait d’être deux sur ce banc formait déjà une histoire que nous refusons de nommer. Je me demande combien de temps cela va encore durer, combien de secondes avant que l’un de nous se lève et brise enfin ce fragile équilibre que je fais pourtant tout pour maintenir.
Je me suis assis sur le rebord du banc, à moitié dans le vide, pour ne pas donner l’impression d’être trop près de cette femme à l’autre extrémité. J’ai glissé mes mains bien au fond de mes poches parce que j’ai froid, un froid qui pique un peu plus quand on n’a pas très bien dormi. Toutes les nuits c’est pareil, je me couche tôt pourtant, je sombre rapidement dans un sommeil profond, mais je me réveille au milieu de la nuit, ensuite impossible de me rendormir. Je tourne toute la nuit dans mon lit, sans parvenir à trouver le sommeil. Je pense trop, dit ma femme, avec une pointe d’ironie. Il y a des tensions dans l’atelier et cela me mine le moral. Je garde mon bonnet bleu bien enfoncé sur ma tête pour avoir chaud, mais des fois je voudrais me sentir libre de me cacher dessous, disparaître aux yeux des autres, mais je n’ose pas le faire. Je regarde au loin, le nez légèrement levé, comme si je voulais voir quelque chose de plus vaste que le trottoir devant moi, quelque chose qui s’étend plus loin que les passants, les façades des immeubles d’en face. Je regarde les arbres qui commencent à perdre leurs feuilles, les fils électriques, les entrées et sorties dans la sanisette. Je m’invente un paysage pour ne pas réfléchir à ce que la femme à mes côtés doit penser de moi, pour ne pas croiser son regard, lui montrer que je ne veux pas la déranger, que je ne suis pas un problème, je ne suis pas ce genre de type, lourd, et mal élevé. Je voulais seulement m’asseoir un moment avant de rentrer à la maison. Je sens pourtant sa présence, même sans tourner la tête. Je sens dans l’air quelque chose de retenu qui circule entre nous. Je reconnais son parfum et cela me surprend. C’est le parfum de ma tante. Elle est morte il y a quelques années déjà, c’était un parfum poudré de vieille dame. C’est étonnant de le sentir sur le corps de cette femme. Je me fais discret, malgré mon corps un peu enveloppé, calé au bord pour occuper le moins de place possible. J’attends que mes doigts se réchauffent au creux de mes poches. Je n’oublierai jamais la première fois qu’enfant on m’a traité de monstre. C’est une blessure qui ne peut guérir. Je me dis que c’est ainsi depuis toujours, je suis habitué à faire attention, à me tenir sur le côté, à éviter les gestes qui pourraient faire peur ou mettre mal à l’aise les autres. Je sens pourtant que notre silence commun crée une forme de lien invisible, je me demande si elle ressent la même chose, cette étrange coexistence, ce léger trouble qui flotte dans l’air malgré notre indifférence affichée. Je me demande combien de temps encore je vais rester assis ainsi, immobile, combien de temps nous allons continuer à faire semblant, sans un mot, sans un regard.
Où je confirmerais qu’un site historique fermé apporte bien plus qu’il n’y paraît.
Une forteresse de montagne datant du XVe siècle, un écrin médiéval, des paysages à couper le souffle. Heureusement le château est fermé, ouverture début juillet, quasiment seule sur le site je fais le tour du donjon, l’impression de déambuler dans un décor de film en attente de l’équipe de tournage, un film d’heroic fantasy à la Game of Thrones probablement.
Je suis assise sous un arbre où une table et quatre chaises semblent avoir été disposé pour les visiteurs qui se seraient trompés de dates ou d’horaires. Une famille arrive en SUV. Eh oui c’est fermé. Le père prend quelques photos du donjon, la mère insiste pour que leurs deux enfants sortent de la voiture, prendre l’air, se dégourdir les jambes, profiter de la richesse architecturale du site. Les deux pré-ados ne semblent pas déçu d’éviter une visite par un guide trop sympathique, trop versé sur les anecdotes et une pluie de dates qui ne leur disent rien de précis. L’incarnation en princesse et chevalier sera retardée, leurs smartphones faciliteront l’attente. La mère m’adresse un signe de tête sans parole je leur adresse un coucou de la main gauche, la main droite tenant une touffe de pissenlits ramassé juste avant. Fin de l’échange, ils repartent, des châteaux il y en a partout dans la région, leur mission sera atteinte dans l’heure suivante.
J’étale sur la table les feuilles de pissenlits que je viens de ramasser, les classe par taille, les superpose puis les enroule en boule pour la salade du dîner. Je sors ensuite mon paquet de post-it vert fluo et mon feutre noir. Je veux laisser un petit mot aux prochains visiteurs du site. J’hésite plusieurs minutes avant d’écrire « Les châtelains sont partis au Super U à demain ». Je dispose le post-it sur le panneau d’information. Je vais me rassoir. J’attends trente minutes. Des jardiniers arrivent, deux dans un pick-up. Ils descendent du véhicule une tondeuse à gazon plus grosse qu’eux, il est temps de repartir au galop à travers champs, ma chevelure au vent, semant des fleurs sur mon divin passage ou plutôt, je mets mon barda sur mon dos et je repars à pied chevelure sale et emmêlée, une culotte en train de sécher au vent sur un bâton comme étendard, direction le nord.
Où j’observe aux jumelles des mouflons corses importés devenus auvergnats et revendiquant fièrement leur territoire.
J’attends jumelles rivées sur les yeux. Je ne bougerais pas sans les avoir vus. Importés de Corse et ré-introduits dans les années 1970 ils sont aujourd’hui environ quatre cents à s’adonner à l’alpinisme. De vrais pros. Rien, je patiente en vidant mon dernier sachet de fruits secs, l’immensité du paysage devant mes yeux me fait oublier la baisse de la note de la France par les agences de notation anglo-saxonnes. Je me console comme je peux en les attendant, toujours rien, je ne dois pas les mériter au bout de deux heures d’attente, je comprends le message en finissant la noisette orpheline au fond de mon sachet. Je la mâche lentement en observant les rochers et leur cinquante nuances de gris et les pelouses subalpines juste en dessous d’un vert à l’intensité fluo. C’est ma journée de marche où je marcherais le moins, attendre est aussi un plaisir. Je patiente en observant des rapaces, deux marmottes et surtout ce vert intense de pelouses que jamais les petits bourgeois d’aucun pays ne pourront reproduire devant leur pavillon. C’est satisfaisant, une couleur exclusive pour un lieu spécifique.
Fin d’après-midi je ne suis plus seule, des couples, des familles, des petits groupes prennent position, équipés en apéro en grignotage et en jumelles pour assister au spectacle. Trente minutes plus tard les mouflons sont là. Incroyable. Il y a-t-il un horaire de lâcher de mouflons ? Est-il imprimé dans un guide que les mouflons arrivent exactement à 17h45 ?
Boulevard de la Villette, Paris 10ᵉ, le 14 novembre 2018
Je suis daltonienne, ce qui est assez rare chez les femmes. Les hommes possèdent un chromosome X et un chromosome Y, le gène anormal transmis génétiquement ne peut donc pas être compensé. Le froid de ce matin s’insinue sous ma jupe trop légère, mes jambes frissonnent, je ne pensais pas rester si longtemps dehors, je suis sortie faire des courses. Je ne travaille pas le lundi. Je n’avais pas prévu cet appel. J’ai l’habitude d’utiliser beaucoup d’adverbes dans mes phrases. Quand j’étais enfant je n’aimais pas la corde à sauter. Je préférais jouer aux billes avec les garçons. Je voudrais disparaître, devenir invisible, prisonnière de cette conversation que je n’arrive pas à interrompre. Je décroche dès que j’entends le téléphone sonner sans même regarder qui m’appelle, ça me joue des tours sans arrêt. Ses mots à lui déferlent, ses reproches, ses insistances, il me dit que je ne comprends pas, et moi pendant ce temps je cherche mes mots, je voudrais dire que ce n’est pas le moment, que je ne peux pas parler ainsi dans la rue, que je n’ai pas la force d’expliquer encore. Ma voix tremble, les phrases se coincent dans ma gorge, sortent maladroites, trop lentement, la gêne m’envahit, l’impression que les passants devinent, à mon air accablé, ce qui est en train de m’arriver. J’aime conduire les fenêtres grandes ouvertes en écoutant la musique très fort pour lutter contre le bruit du vent et du moteur. Je voudrais fuir, raccrocher, mais je n’y parviens pas. Mes amies me soutiennent, mais je n’arrive pas à tout leur dire. Je reste immobile, la main crispée sur le téléphone, les yeux fixés sur le sol sale, ce trottoir que le soleil rasant rend encore plus laid, les papiers gras, qui renforcent ma gêne. Au cinéma, même quand un film me déplait, je n’arrive pas à sortir de la salle. Je répète que non, ce n’est pas possible, ce n’est pas si simple. Je n’arrive pas à comprendre le sens des dictons et proverbes les plus courants. À chaque fois, je comprends leur sens différemment des autres. Pierre quiroule n’amasse pas mousse, signifie par exemple qu’on ne s’enrichit pas en changeant trop souvent d’état, de métier, de lieu, mais je le comprends tout autrement parce que je n’accorde pas la même valeur à la mousse qui pour moi a un aspect négatif. Au tennis, je fais durer l’échange le plus longtemps pour fatiguer mon adversaire, mais quand il faut monter au filet, c’est plus difficile. J’ai les jambes coupées, le souffle court. Je voudrais être ailleurs, rejoindre la foule. Je suis à découvert, et tout mon corps répète en silence que je ne veux plus de ça, je voudrais que tout s’arrête.
Les traces d’un voyage effectué il y a des années pour voir toutes les peintures de Vermeer se révèlent au contact d’une situation, d’une parole, d’une sensation. Il en découle parfois de courts textes dont certains paraîtront ici.
Je suis au téléphone avec mon cousin. Nous nous téléphonons une fois par an. Pour un événement. Pour le nouvel an. Nous ne sommes plus jeunes. Il a quinze ans de plus que moi. Il est l’aîné de notre génération, je suis la dernière. Nous prenons des nouvelles. La littérature ne l’intéresse pas mais il lit mes livres. Il attache beaucoup d’importance à la famille, à ce que font les gens de sa famille. Lui-même a été un brillant homme d’affaires et il recherche toujours de nouveaux motifs de fierté familiale. Il n’a pas perdu son assurance de chef. Il me demande les dates de Vermeer. Il me dit, bien sûr tu as vu La jeune fille à la perle et lu le livre de Tracy Chevalier : un chef-d’œuvre. Je ne dis pas que j’ai reposé le livre au bout de vingt pages. Il me demande si je me souviens du Vermeer au mur du salon de nos oncle et tante de Paris. Il ne dit pas «la reproduction de Vermeer», il dit «le Vermeer». Non je ne me souviens pas d’un tableau de Vermeer dans cet appartement qui s’est pourtant inscrit en moi puissamment. Je pense que mon cousin exagère, qu’il veut toujours tout relier à la famille. Je me dis qu’il a inventé l’existence de ce tableau pour faire le malin. Il me dit une scène de repas. Il n’y a pas de scène de repas chez Vermeer. J’évoque La jeune fille endormie, La liseuse de Dresde à cause des coupes de fruits sur la table. Je dis c’était peut-être un autre peintre hollandais ? Il dit non, je suis certain que c’était Vermeer. Il se demande si le tableau était sur toile, il pense qu’il était plutôt sur bois. Il me demande s’il existe des Vermeer peints sur bois. On dirait qu’il ne fait pas la différence entre l’œuvre authentique et sa reproduction. Il veut savoir si La jeune fille à la perle était vraiment la servante du peintre. Je réponds qu’on sait peu de choses de Vermeer, on sait le nombre de ses enfants. Onze enfants ! Mon cousin n’en revient pas. On parle de Delft dont il a admiré les canaux. J’évoque les tableaux cédés au boulanger à la mort du peintre pour payer la dette de pain. Nous continuons à bavarder, à évoquer des souvenirs. On dirait que cette évocation de Vermeer nous a rapprochés. Et tout d’un coup il dit ça y est, je me rappelle. Ce n’était pas une scène de repas, c’était un homme et une femme assis face à face à une table, un homme dans un habit rouge coiffé d’un grand chapeau qui lui faisait de l’ombre. Instantanément alors je revois Le soldat et la jeune fille souriant, la pièce, les meubles, le long buffet en bois clair au-dessus duquel était accroché le tableau ; il s’agissait d ‘une reproduction sur une espèce de toile avec un rembourrage dessous, quelque chose qui ne se fait plus, qu’on trouverait affreusement kitsch aujourd’hui. C’est incroyable, j’ai contemplé cette peinture plusieurs fois à la Frick collection de New York où elle se trouve aujourd’hui, je l’ai énormément regardée, aimée, j’ai lu, écrit à son sujet – je pense souvent à ce tableau. Et c’est seulement ce soir de décembre, parce que mon cousin dans son fauteuil à oreilles à l’autre bout de la France me soutient l’existence dans son souvenir de quelques chose qui m’a d’abord semblé être une erreur ou un mensonge, que réapparaît, soudain, très net, le tableau au mur de cet appartement que j’ai des centaines de fois cru reconstituer mentalement avant de m’endormir. J’avais oublié Le cavalier et la femme souriant tandis qu’ils s’inscrivaient dans ma mémoire par un autre chemin que je n’emprunte que ce soir, cinquante ans après. Ils étaient là, c’est tout. Je ne trouvais le tableau ni beau ni laid, il faisait simplement parti d’un décor où j’aimais être.
Le texte qui suit a été rédigé au cours de l’année scolaire 2010-2011 et devait figurer dans un numéro spécial de la précédente incarnation de TINA, Bestiaire, projet qui n’a pu voir le jour. Récemment, ayant appris par Christine Lapostolle que la souris venait, croyez-le ou pas, de garer son yacht (son paquebot) dans le port de Brest, l’envie m’a pris de lui offrir une seconde chance. Si TINA est de retour — with a vengeance —, le moins qu’on puisse dire est que Mickey, dans l’intervalle, a prospéré (au risque de développer, au fil des années, quelques symptômes morbides d’obésité capitalistique) : après Pixar et Marvel, la Walt Disney Company a fait l’acquisition en 2012 de Lucasfilm, mettant ainsi la main sur les franchises Star Wars et Indiana Jones, de même que sur l’incontournable fournisseur d’effets spéciaux Industrial Light & Magic ; elle a racheté, en 2019, l’ancienne 20th Century Fox, non sans avoir, entre temps, investi le marché asiatique via sa nouvelle filiale en Inde, ouvrant par ailleurs un parc d’attraction à Shanghai en 2016 ; en parallèle de cette stratégie d’expansion forcenée, ses différentes plateformes ont permis à la société d’entreprendre de verrouiller l’accès à des contenus qu’on avait fini par croire relever du domaine public, démontrant sa maîtrise des nouvelles règles du jeu tout en usant de son statut unique dans l’industrie du divertissement. « Tout doit changer pour que rien ne change » : Eurodisney, que je mentionnais en 2011, Nicolas y avait affiché sa Carla, est depuis devenu Disneyland Paris ; de mon côté, peu amateur de parcs à thèmes mais plus œcuménique qu’auparavant en matière de musique, j’avoue que je n’aurais aucun scrupule, le cas échéant, à accompagner ma fille, née précisément en 2011, à un concert de Miley Cyrus, autre transfuge du Club Mickey après Britney Spears — Britney dont je parlais abondamment dans mon texte et qui, à force d’infortunes (les « infortunes de la vertu » ?) est devenue quasi une icône du féminisme ; plus malaisant, des actrices mortes comme Carrie Fisher (la princesse Leïa) continuent de jouer dans des films, et ses collègues vivants sont de plus en plus difficiles à distinguer de personnages de dessin animé : sans doute la souris star dont j’ai voulu fait le portrait a-t-elle perdu là un certain avantage compétitif, c’est la rançon de l’innovation… Et demain ? Disney, passé dans les années 2010 de l’exaltation des valeurs familiales à celle de la diversité et de la sororité — qui est aussi une valeur familiale —, fera-t-il demain l’éloge du patriarcat et de la pureté raciale pour plaire à Donald Trump ? Est-il vrai que la firme, malgré son apparence de monopole, connaît des turbulences et s’inquiète du vieillissement relatif de son public ? Quinze ans après ma première tentative, Mickey se refuse toujours à tout commentaire…
Dans la forme de radoub. Photo Christine Lapostolle.
« La lutte était terminée. Il avait remporté la victoire sur lui-même. Il aimait Big Brother. »
Notes : 1 Barbey d’Aurevilly, à propos du célèbre dandy Beau Brummell. Ceci n’est pas sans faire écho au jugement du cinéaste soviétique Sergueï Eisenstein sur l’art de Walt Disney : ‘an example of the art of absolute influence – absolute appeal for each and everyone.’ (Ronald Bergan, Sergei Eisenstein: A Life in Conflict, The Overlook Press/Peter Mayer Publishers, Inc.: Woodstock, New York, 1999, p. 198). Pas sûr, cependant, qu’une traduction française de la citation d’Eisenstein recourrait au terme « d’influence », lequel, en anglais peut prendre une connotation plus absolue, presque narcotique.
2 Oswald le Lapin Chanceux, créé, comme Mickey, par Walt Disney et le dessinateur Ub Iwerks, fut ravi à ses concepteurs par l’habileté procédurière de leur producteur Charles B. Mintz.
5 Cet aspect de « l’anarchiste devenu flic » est remarquablement analysé dans le chapitre inaugural d’un récent ouvrage de Pierre Pigot, L’Assassinat de Mickey Mouse, puf, collection Travaux pratiques, 2O11.
6 Les Tijuana Bibles étaient des publications pornos clandestines très prisées dans les années 30 à 50, qui trouvaient un aliment fantasmatique de choix dans le culte des stars d’Hollywood mais aussi des personnages de dessin-animé ou de BD. Dans le hors-série du magazine Beaux Arts sur le sujet Un siècle de BD américaine (août 2010) on trouve reproduite une planche mettant ainsi en scène la rivalité sexuelle supposée entre Mickey et Donald, à la défaveur du premier… Or dès la fin des années 30, la perte de popularité de la souris assagie au profit de son ex-sidekick le canard mal embouché constituait un fait commercial avéré ! Un tel détournement des personnages Disney a ainsi pu représenter moins une profanation qu’une autre facette de leur pouvoir de fascination.
7 Son lancement, à l’initiative du Français Paul Winkler, remonte à 1934.
9 Dans son « premier grand succès », Steamboat Willie, 1928, il transforme les bêtes non humanisées qui l’entourent en instruments de musique vivants ― l’occasion pour son créateur d’expérimenter pleinement les possibilités, alors encore neuves au cinéma, du son.
Légende première image : La tête de Mickey, pièce maîtresse du défunt Fusil d’Assaut de la Manufacture d’Armes de Saint-Étienne.
Les traces d’un voyage effectué il y a des années pour voir toutes les peintures de Vermeer se révèlent au contact d’une situation, d’une parole, d’une sensation. Il en découle parfois de courts textes dont certains paraîtront ici.
Une femme dans un bus parle à une autre femme. Qui n’est pas là, elles sont au téléphone, cela se passe dans un bus, à Paris, en plein après-midi, un jour gris. Le bus pousse ses soupirs de bus, la femme qui est assise en face de moi dit qu’elle n’en peut plus, elle ne dort plus. Les dettes, l’appartement qui ne se vend pas. Elle parle aussi d’une nouvelle technique qu’elle a essayée, cela s’appelle la conversation intérieure. Elle rentre chez elle. Elle a du ménage à faire. Un nouvel agent immobilier doit passer. Quelqu’un à l’arrêt frappe de toutes ses forces contre la carrosserie du bus à cause d’une porte qui ne s’ouvre pas. Le chauffeur n’arrive pas à activer l’ouverture de cette porte. On attend. On peut voir dehors, sur un panneau Decaux, sur l’affiche de l’exposition Vermeer qui va se tenir bientôt, la sérénité parfaite de la Laitière. La femme au bout du fil parle maintenant des voix qu’on a en soi. On a plusieurs personnes en soi. Contradictoires. Certaines il faut les écouter, d’autres les faire taire. Comment les faire taire ? Son interlocutrice dont je perçois le ton enjoué, n’a pas l’air de savoir mais je ne comprends pas exactement ses paroles. Un voyage qu’elles devaient faire ensemble avant ou après Noël semble remis en question. Et la femme assise en face de moi dit, toi, de toutes façons, toi tu vas toujours bien, c’est ton tempérament, tu as de la chance. La conversation revient sur le voyage et je comprends que l’interlocutrice invisible dit qu’elle ne pourra pas partir, elle a rencontré quelqu’un. Pas par une application. Dans un bar, comme cela n’arrive plus souvent. Il l’a invitée à prendre un verre. Ils sont restés en relation depuis et maintenant ils veulent se revoir. Le visage de la femme qui est en face de moi dans le bus s’est crispé tandis qu’elle regarde défiler Paris, on vient de traverser la Seine. On croise à nouveau la Laitière de Vermeer. Je me demande si ma voisine est saisie comme moi par la plénitude que dégage ce personnage exagérément agrandi, je me demande quelle influence peut avoir sur nos humeurs de passants cette affiche au cadrage recentré sur le personnage d’un des tableaux les plus célèbres du peintre, portrait d’une femme d’une autre époque, concentrée, paisible, qui regarde tranquillement le filet du lait qu’elle verse d’un récipient à l’autre. La conversation se termine un peu sèchement. Ma voisine pousse un soupir en rangeant son portable, ses yeux se posent sur la version géante de l’affiche puis sur moi.