C’est dans les flammes qu’est enregistrée la dernière émission, présentée cette fois par les quatre cavaliers de l’Apocalypse, au son des trompettes et des duplex du Jugement dernier.
Peste : Alors, qu’est-ce qui a bien pu échouer à ce point, aujourd’hui où le monde brûle ? Une réponse, oui… Quelqu’un ?
Roubachof : Je peux essayer une réponse, quand bien même la fin du monde reste évidemment multi-factorielle. Bien malin qui saura ! Bien malin qui saura… Dans la mesure où nous allons tous mourir dans quelques minutes, je peux bien me tromper un peu et tenter une hypothèse : manque de courage, manque d’éthique des gouvernants qui refusent la responsabilité fondamentalement immorale du gouvernement. Chez les gouvernés, les mêmes manques : on veut tout voir, puis l’on se victimise d’avoir vu le pouvoir. À la fin, le refus de dire et le refus de voir produisent exactement cela, vous voyez… Comment disait-on ? La post-vérité, n’est-ce pas…
Famine : Pour ne pas se perdre en généralités quelques peu dépressives, ne pourrait-on pas reconnaître que des initiatives ont été prises ? Quels succès à vos yeux dans ces efforts parfois colossaux pour retenir l’Apocalypse actuelle ? Et au-delà, qu’aurait-il fallu pour qu’ils fonctionnent, ces efforts ?
Dolorès Irubari : qu’on envoie tout l’or du monde à Moscou !
Marie Curie : prenez l’exemple des Frigz. C’était une idée intéressante de concentrer la production mondiale d’énergie sur des oasis de réfrigération où pourrait survivre les fameux « un milliard » évoqués par le plan Bezos de 2026. Un milliard d’êtres humains continuant d’exploiter la planète, de façon durable, mais en continuité avec le mode de vie capitaliste de l’anthropocène, avec un support anarchique en-dehors des aires de protection.
Camillo Golgi : Le seul problème de cette hypothèse était le refus de comprendre le fonctionnement du cerveau humain. Le fameux chapelet de smart cities autosuffisantes et connectées constellant la planète ne pouvait fonctionner qu’avec des êtres humains capables d’émotions et d’intellections constamment exceptionnelles. L’Apocalypse est due à cette surestimation des capacités cérébrales des masses. Le plan Bezos montre d’abord cela.
Carl-Philip-Emmanuel Bach : Toutes ces initiatives étaient tout de même un peu… Un peu… Ahurissantes, non ? La plus sincère, selon moi, était celle que soutenait Monsanto avec le gouvernement indien, de créer génétiquement une forêt résiliente et auto-suffisante, où les arbres devenaient également des moyens d’archiver les productions terrestres. Vous avez déjà entendu un manguier jouer du Leonard Cohen ? Who by fire? C’était ça, l’avenir qui a raté…
Mort : Mais au-delà des exemples précis que vous venez de citer – on pourrait en citer d’autres, innombrables – ne s’agit-il pas aujourd’hui, pour accepter la fin des temps, de figurer l’infigurable ? De dire : c’est le capitalisme, et l’impossibilité des sociétés humaines à s’en émanciper, qui a détruit la planète ?
Jane Goodall : Je pense qu’il existera des poules capables de supporter le monde brûlé que nous avons créé, et d’y inventer quelque chose de sublime.
Charles Pasqua : « La démocratie s’arrête où commence la raison d’État ».
Vénus de Milo : Je ne suis pas sûr qu’il existe ou ai jamais existé ces choses, comme la société, l’émancipation. Il faudrait tout reprendre, mais nous n’en avons pas le temps, nous allons bientôt tous disparaître.
Guerre : Il y a une solution qui m’a toujours paru frappée au coin du bon sens et que personne n’a vraiment osé formuler, au moment même où l’ensemble du monde était détruit : pourquoi ne pas tuer ? En menaçant physiquement les responsables du désastre, peut-être…
Jdanov, Kissinger, Philippe de Commynes, Jafar et beaucoup d’autres (ensemble, l’interrompant) : paroles de fou ! Paroles d’enfant !
Malcolm X : c’est toujours la question, non ? The Ballot or the bullet?
Liliʻuokalani : ce n’est plus la question, puisque c’est fini. Il n’est plus temps de se battre, il fallait y penser avant. Il ne nous reste bientôt plus que les étoiles pour nous rêver ailleurs, le monde n’est plus bon pour rêver.
Peste (souriant, face caméra) : Mais l’heure tourne, et sur ces bonnes paroles, nous allons devoir interrompre nos programmes pour vivre, avec vous, au son de la dernière trompette, le duplex ultime, en direct de l’incendie de toute chose.
Une musique retentit. Une voix séraphique chante sur ces paroles un air somme toute joyeux : « sous l’incendie, au bord de la plage, la tête dans le congélo… » Si tout explose, on ne pourra jamais le savoir.
illustration : Albrecht Dürer Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse (détail), 1498.
Ah ces gens dits de gauche qui ne veulent pas lâcher FB et Insta « parce que la com c’est trop important, déjà que je rame », qui prennent des über « parce que c’est bien pratique », surveillent les bons plans Transavia pour un week-end de décompression au soleil « parce que ça va me faire du bien de prendre un peu de recul sur une plage », louent un petit airbnb trop mignon dans une capitale européenne « pour trouver l’inspiration », qui souscrivent à un abonnement Starlink dans leur résidence secondaire « parce que sinon je rame pour aller sur FB et Insta c’est trop important la com, déjà que je rame », qui continuent d’utiliser les services google « parce que c’est gratuit et pratique », d’acheter les produits d’Amazon « parce que y’a tout et tout de suite », on ne parlera pas des comptes titres « parce qu’il faut bien que je m’occupe de ma retraite et puis ça rapporte pas mal », des produits luxe « parce que je le vaux bien », de l’amour du cash « parce que les charges sociales ça plombe mon chiffre d’affaires à un point tu n’imagines même pas », de se faire livrer un p’tit über eats « parce que le temps de gagné est dingo », de se faire livrer tout en fait « parce que là l’économie de temps est une révolution dans mon quotidien», de balayer son doigt sur un smartphone jusqu’à plus soif « parce que sinon tu comprends déjà que je rame au niveau com alors si en plus je ne suis au courant de rien », d’exhiber sa montre connectée « parce que tu as tout au poignet je gagne un temps fou », de prendre une carte Membership Pinault Collection ou un pass coupe file FLV « parce que l’accès à la culture c’est important », etc, etc, etc, … Bref c’est pas gagné 2027, 2032.
besoin de repères et d’attitudes besoin de simplicité et de décroissance besoin de liberté et d’imaginaires besoin d’un programme politique de rupture bien plus ambitieux
alors sans attendre je marche sans gps et je salue les corneilles à mon passage toujours je ne re-contacte pas celles et ceux qui rament je les retarderais désynchronisés nous sommes
de ma petite vue je compte aujourd’hui cent-huit camionnettes dix-huit scooters de livraison de gains de temps de coups de rames en moins galère galère
Le 26 décembre la série Squid game saison 2 inonda le monde. Tellement attendue. La série Squid game nous dit si tu es endetté tu ne vaux plus rien (on parle d’individus pas d’États :)). La série Squid game nous dit les incompétents au capitalisme ne sont rien, que de la chair à rire pour des VIP hyper-diaboliques qui se délectent de leurs morts dans des jeux. Dans la vraie vie les incompétents au capitalisme ne sont rien, que de la chair à aides sociales qu’il faut remettre au travail, les libertariens, eux, souhaiteraient entamer une nouvelle phase de délaissement. Mais même chez les incompétents au capitalisme la performance reste de mise, la motivation intacte, le capital win toujours présent même au bord du sur-endettement ou de la mort.
Un événement mondial du divertissement qui ne dit rien, rythmé par des meurtres (des éliminations) et des bribes de vie des candidats incompétents au capitalisme. La performance, la réussite financière, la prise de risque ou devenir des loosers qui ne tentent rien donc peuvent mourir. C’est long, larmoyant, filmé avec les pieds, mal joué, mais une esthétique, des meurtres en cascades et des pensées profondément sociétales accrochent les télespectateur.trice.s. Squid game est l’héritier massifié de Battle royale. La saison 2 de Squid Game est une demie-saison, la suite est en post-production et arrivera en mi-fin 2025 pour découvrir enfin si les méchants VIP compétents en capitalisme vont devoir fermer définitivement leur Colosseo.
La question du vote, nouveauté de la saison 2, après chaque épreuve iels peuvent voter pour arrêter ou continuer le jeu (le massacre). Et … ??? iels s’arrêtent pas les pignoufs (1. la série partirait en sucette 2. les symboles développés ne fonctionneraient plus puisque dans la jungle capitaliste il faut prendre tout les risques pour vraiment réussir). Quand les candidats du Squid game votent vous pouvez, suivant votre pays, imaginer vos représentants en train de censurer un gouvernement, et comme c’est toujours à une ou deux voix près, le suspens est à son comble, magie du vote démocratique.
25 décembre place Stalingrad, départ à pieds à 1H02 puis Jaurès, Belleville, Couronnes, Père Lachaise, Nation, Michel Bizot, 2h25 je traverse le bois de Vincennes pendant seize minutes (de Porte Dorée à Charenton) je rentre chez moi, je marche d’un pas soutenu, il faut nuit noire, un bois c’est toujours impressionnant la nuit même entouré de villes. Les cirques pelouse de Reuilly fournissent de la lumière pendant quelques minutes, je croise deux silhouettes, attentif je suis, le dernier kilomètre est le plus long mais une descente dans Charenton me redynamise quelques minutes, il n’y a personne, aucune voiture en feu, aucun groupe de fêtards en quête de destinations improbables, je longe le gymnase Tony Parker (moins de 600 mètres de chez moi) deux corneilles se dispute des traces de graisse sur un emballage en polystyrène de Donner kebab, je leur dit bon app, j’emprunte la passerelle entre Charenton et Alfortville (1897 refaite en 1952) à la confluence de la Marne et de la Seine, c’est beau deux fleuves la nuit.
Fin décembre 2024 c’est aussi la sortie de Gladiator II, retour au Colosseo et si vous voulez absolument ne rien apprendre sur Rome et les Romains vous pouvez regarder ce film d’une stupidité colossale avant ou après Squid game
2h37, dans ma rue, encore 300 mètres, je suis vanné mais je dois réussir cette épreuve, pas d’adversaire en vue, le bitume glissant ne se prêterait pas de toute façon à l’action ou la course, pas besoin de performer donc, de se la raconter, juste enchainer des pas, moins espacés, tout aussi efficaces, l’épreuve touche à sa fin, je semble être qualifié pour la prochaine saison.
Je hais les bouts de bois. J’exècre les jouets qui couinent. Je déteste les balles de tennis. Lancez-moi un frisbee, vous l’attendrez longtemps. Je ne bave jamais ni pratique le reniflage d’anus, mais je sais que la Torah contient six-cent- quarante-huit-mille-deux-cent-trois voyelles en version hébraïque. Je connais le roman le plus long du monde – Artamène ou le Grand Cyrus – ainsi que la périodicité des fonctions plagiats dans l’œuvre de Houellebecq, et pour réaliser un diagnostic différentiel, je suis capable d’écumer toutes les publications, tous les ouvrages précédents. Je sais, c’est assez bluffant, mais je suis un chien d’écrivain. Mon maître mesure 1,82 m, il m’a acheté un après-midi d’hiver à une foire chinoise, et en l’honneur de Céline, il m’a donné le nom de Toutouche. J’aime m’asseoir par terre pendant qu’il écrit. Il écrit et boit. Il écrit jusqu’à six ou sept heures du matin. De temps en temps il s’arrête pour me caresser la truffe. C’est un besoin, chez lui, de me caresser la truffe. On reste comme ça sans bouger. On se contente de se regarder en silence. Lui, connectant sa broche au port de ma truffe humide – mais sans bave, parce que je suis issu de la série Wildog qui n’a pas de bave, par contre j’ai des hanches à rotation, un pouls perceptible, des oreilles équipées de senseurs commandant une voix (tordez-moi l’oreille et vous déclenchez des petits cris de joie) et un chauffage avec variateur dans les flancs pour élever la température du corps. Seule ma truffe reste froide, comme dans la réalité. C’est ma fonction de chien d’écrivain. C’est là que j’interviens. Pour le dire simplement, piocher, mixer, structurer, générer l’histoire, organiser la trame, et mon maître est vraiment heureux, quand je lui sors un paragraphe, tout un chapitre, l’ensemble du roman, qu’il saura lui seul parapher ou non. Ce que je veux dire, c’est que la gamme est large. Parce qu’il y a ça aussi : c’est un écrivain original, merveilleusement doué, son dernier roman était plein de sentences et de trouvailles étonnantes, comme « dieu est un émoji », ou « l’amour ne nous révèle aucune vérité » (amour et vérité étant les deux mots importants de la phrase, et on peut les intervertir). Franchement, on ne sait pas bien d’où lui vient l’inspiration. C’est peut-être parce qu’il est écrivain. Mais c’est peut- être aussi parce qu’il prend des trucs. Ce jeudi 15 avril, aux alentours de 19 h 38, mon maître et une femme aux tempes rasées se sont accouplés sur le canapé, lui assis, elle à califourchon, puis mon maître a payé la femme, et elle est partie. Après quoi mon maître a perforé sa peau et rempli ses veines d’héroïne pendant quasiment la moitié de la soirée. Maintenant qu’il fait nuit, ses yeux se révulsent, sa tête pend, un liquide orange sort de sa bouche et de son nez, et dans la mesure où il vient tout juste de mourir, j’attends, au bord du lit, regard fixe, tête dressée, gueule légèrement ouverte, selon mon jeu d’instruction. Immobilité. Équilibre. Programme veille et gestion de l’alimentation. J’attends. Ou comme disait Céline, je m’entraîne à la mort.
Dans le capitalisme tardif post néolibéral et proto-libertarien* des designers italiens centenaires réclament une fin de vie digne et rapide face aux statistiques des ventes de Tesla en Europe. Tout leur travail d’éducation esthétique n’a donc servi à rien, la voiture la plus vendue en Europe est moche, ultra cher, ultra connectée et libertarienne. Bye Bye le style et la classe. Il faut dire que la concurrence n’est pas plus versée dans le style, les Citroën ressemblent à de gros jouets en plastique multicolore (on en parlera pas ici du modèle AMI), les Dacia sont les voitures les moins chères et remportent haut la main le prix de la mocheté intégrale.
Dans mon quartier, pourtant banlieue rouge populaire, les Tesla abondent, signe vulgaire de reconnaissance sociale ayant remplacé les berlines bmw des vieux commerçants et les berlines merco des vieux entrepreneurs.
Dans le capitalisme tardif post néolibéral et proto-libertarien Luigi et Benedetto sont sur leur balcon de leur Ephad haut de gamme et regardent les voitures passer. À chaque Tesla observée ils hurlent Vaffanculo et s’attirent les foudres de leurs co-locataires sans cesse réveillés en pleine sieste. C’est un jeu entre eux, un trop plein à évacuer avant l’agonie. – Heureusement Nuccio (Bertone) est mort avant d’en avoir vu dans la rue, une crise cardiaque il nous aurait fait. – Sur, et Marcello (Gandini) est mort cette année, il n’en pouvait plus des mochetés contemporaines.
Alfa Romeo Disco Volante, design Nuccio Bertone
Dans le capitalisme tardif post néolibéral et proto-libertarien des designers se morfondent dans des Ehpad suppliant une aide pour mourir dignement, rapidement, devant la décadence esthétique mondiale. Malgré les doses astronomiques d’antidépresseurs ingérées, leurs lunettes de soleil quasi opaques, ils ne peuvent s’empêcher de crier Vaffanculo du soir au matin.
Je croyais que les Tesla allaient être ultra sensibles à une rayure et déclencher leur alarme mais en fait non, il suffit d’y aller tranquillement, de bout en bout, sur 4,70 m, une ligne blanche ondulante, similaire à une vague, une vague anti-libertarienne, une vague anti-voiture, une vague de bon sens.
Statistiques de la journée marche : 7,3 km. lecture : trente minutes sur le site de Tesla France protéines animales ingérées : 0 Tesla observées : 8 Thé glacé maison Oriental beauty ingéré : 1 litre Dessiner une vague de 4,70 m de long : 1
* les deux livres de Références des libertariens qu’il faut lire pour comprendre leur idéologie :
Aux murs il y a un poster avec un temple du Japon et aussi une carte d’anniversaire, mais c’est tout. Devant son bureau la conseillère a disposé une table en demi-lune avec dessus une lampe, ce qui donne une distance presque disproportionnée pour discuter. Elle offre des stylos et du papier pour prendre des notes sur ce qu’elle va dire. Sur son bureau, on trouve un ordinateur portable branché à un écran plus grand d’ordinateur, qu’elle tourne souvent pour montrer à ses interlocuteurs des sites où ils peuvent se rendre. À chaque entretien, elle commence de la même manière. J’ai bien reçu votre CV, mais si vous commenciez par me dire pourquoi vous avez sollicité un entretien avec moi. Oh… Dès le début, comme ça, d’entrée, c’est un peu dur… Il faut raconter sa vie, en gros ? Non, plutôt ce qui a motivé votre réflexion sur un changement d’orientation professionnel, mais aussi vos centres d’intérêts – professionnels et personnels – ou vos motivations dans la vie.
Il y a des tas de parenthèses qui s’ouvrent après les mots qu’elle emploie. La plupart du temps elle définit les termes, mais souvent on ne la comprend pas vraiment mieux. Avec son accent anglais, le jeune homme essaie de raconter ses motivations dans la vie. « J’ai essentiellement travaillé dans la destruction de matériel industriel, de machines dans les usines, en menant des armées ouvrières. J’ai écrit sur les murs de Nottingham « Vive le général Ludd », pour faire peur aux patrons d’usines. J’ai séquestré des ingénieurs avides de machinisme. J’ai détruit tout cela pour défendre les techniques humaines que ces machines faisaient à leur tour disparaître. J’ai organisé des sabotages partout sur terre, depuis deux siècles et demi. J’ai inspiré des chansons et des poètes. » Très bien, alors à partir de là, vous avez deux options. Ou bien un bilan de compétences avec un conseiller d’orientation, où on cherche à ordonner tout ce que vous venez de dire. Deuxième option, les enquêtes métiers, où vous allez tout simplement interroger des gens ancrés dans un domaine de métier, pour mieux vous rendre compte de ce que c’est. Pour le bilan de compétence, le problème est que c’est très onéreux, autour de 1 500€, mais la bonne nouvelle est que vous pouvez le financer entièrement avec votre compte CPF, puisque je vois que celui-ci est plein. Bon, je ne vous cache pas qu’il faut à tout prix avoir entamé une démarche pro-active de recherche d’emplois. Vous avez ici un site intéressant pour tous les emplois dans la fonction publique, si jamais vous souhaitez devenir fonctionnaire, qui est « choisir le service public », oui, point gouv point fr, où je vous montre, vous pouvez choisir des offres d’emploi en utilisant les filtres, alors je dis n’importe quoi, mais dans domaines, vous cliquez sur Direction et pilotage des politiques publiques, voilà, et là vous avez plein d’offres qui apparaissent, et il faut aller voir un peu ce qui peut vous intéresser, avec une curiosité à toujours attiser, les employeurs apprécient cela. Sinon, il y a bien sûr France Travail, puis il y a aussi cet outil sur lequel je veux attirer votre attention qui est Diagoriente, qui est vraiment votre meilleur allié, ou bien sûr vous pouvez prendre rendez-vous à la Cité des Métiers avec un conseiller. Est-ce que c’est clair ? Ned Ludd hoche la tête. Il a tout compris, mais il ne saisit pas ce qu’il comprend. Peut-être n’a-t-il pas tout compris. Vous êtes sûr ? Ned Ludd hoche la tête. Bon… Dans le doute, je vous explique comment vous pouvez utiliser votre compte CPF. Ned Ludd n’écoute plus. Le but d’une formation, comme je dis toujours, c’est de monter en compétence. Ned Ludd note toutes les phrases de la conseillère qui le font rire. il ne faut pas tomber dans une catégorie d’emploi inférieure. Ned Ludd hoche la tête. Il faut un peu creuser tout cela et donner du sens à votre mobilité professionnelle. Ned Ludd réfléchit un instant avant de rappeler, avec bienveillance, qu’il aime ce qu’il fait mais que le monde change et que les révolutionnaires, parfois, prennent des Uber. Alors forcément, ça donne envie de changer de métier. Oui… Bien sûr. La conseillère sourit et laisse traîner quelques secondes la conversation, comme pour envisager les choses sous tous leurs aspects. Les réformes, puis les évolutions sociétales, et avec le covid, aussi… Je vous conseille Canva d’ailleurs, pour faire un CV ou une lettre de motivation un peu pimpante. Mais pour qui ? Enfin, je veux dire : détruire des machines, ça ne sert que dans le sabotage. Ha ! Tout le monde, si vous saviez, a l’impression de ne savoir faire qu’une chose… C’est désespérant, mais c’est ce qui me permet de faire ce métier. Comment aller vers l’emploi, fort de vos expériences ? Vous êtes saboteur… Bon. En fait, vous challengez. Vous avez la compétence d’inventer des dispositifs de remise en cause radicale des schémas opératoires de travail. Ça ne se trouve pas sous les sabots d’un cheval. Vous rassemblez les gens pour détruire une machine : c’est de l’événementiel, du happening, de la communication.
Ned Ludd se rend compte qu’il n’était pas venu pour réellement trouver un nouvel emploi, mais peut-être pour vérifier quel chemin prendre dans sa vie. Il veut mettre fin à cette conversation. « Vous savez, je suis fictif ». Il n’y a aucun problème, nous avons l’habitude, y compris des fictifs étrangers comme vous. Ned Ludd ne comprend pas. Il ne sait plus s’il voit dans le couloir blanc liseré de vert (le cadre des portes) du huitième étage de l’immeuble administratif de banlieue où il se trouve, attendant leur tour Robin des Bois son compatriote et Thierry la Fronde ou James Bond et Wonder Woman ou même Don Quichotte, et à eux tous ils comptent leurs étoiles en déplorant qu’elles palissent, mais peut-être est-ce à une représentation fausse, car peut-être Ned Ludd s’est-il contenté de détruire à coup de marteau l’ordinateur qui contient l’index de la bibliothèque.
Des mois à chercher l’illusion parfaite. Des mètres cubes de larmes physiologiques versés goutte à goutte sur les yeux rougis de designers sous pression collaborant en réseau aux quatre coins du monde le nez sur des écrans vingt-sept pouces douze heures par jour. Des milliers de pilules toutes couleurs tous dosages relaxant des cadres qui chaque nuit ressassent les humiliations, vexations et menaces de sanction infligées par des directeurs internationaux eux-mêmes installés sur des sièges éjectables. Sans compter les Smartphones en miettes fracassés contre les murs, les rouleaux entiers de Kleenex vidés, les millions de décibels évanouis dans la nature au cours d’engueulades futiles avec le conjoint, les enfants, simplement parce qu’au bureau, la pression devient insupportable. Et un jour, de l’adjoint de bas étage en costume mal coupé au président directeur ultime tiré à quatre épingles, tous ébahis, émus même devant l’agencement de lignes entrelacées au millième de micron pour créer l’illusion parfaite : le mariage de la douceur masculine à l’agressivité féminine. Du jamais vu, du jamais fait. Du génie pur. Se met alors en branle une autre chaîne de compétences, la même pression s’abattant sur de nouvelles équipes chargées de déterminer les mélanges subtiles de jaune, cyan, magenta, puis définir si brillant ou mat, ce choix relevant de la même exigence que celui de la technologie retenue pour l’ESP ou l’EBD, le hasard ne devant jamais avoir prise, sublimer le dernier modèle de la gamme ne souffre aucune négligence, aucun relâchement. Objectif final : transpercer le cœur du conducteur ou conductrice qui posera les yeux sur la nouvelle création pour lui enlever toutes raisons objectives de ne pas s’engager à honorer les traites mensuelles courant sur plusieurs années. Mais là, le long du rond-point, face à la barrière ondulée de monospaces, coupés sports, 4X4, crossovers, mini-citadines… si les adjoints de bas étages aux présidents directeurs ultimes étaient là, tous seraient contrariés, dépités même. La pluie, rideau gris après rideau gris, anéantit la magie des couleurs, uniformisent les lignes ensorceleuses. Leur chance, ils sont à des centaines de kilomètres d’ici, au sec dans des bureaux ultra-sécurisés à mobiliser les équipes sur la création d’une nouvelle gamme devant donner un sérieux coup vieux à celle qu’ils viennent de créer. Les bourrasques s’acharnent à fracasser, concasser, donnent l’impression de vouloir faire tout disparaître, à peine s’il est possible de lire les prix bien en évidence derrière les pare-brise. Et peu importe les régulateurs de vitesse, bluetooth, clim’, ABS, GPS, ESP, EBD ou n’importe quelles prouesses technologiques qui en fait grimper le prix, pour le matou qui vit à la belle étoile sur ce coin de béton, ces tops modèles ne servent que de parasol l’été et de parapluie l’hiver. Ou d’abri antiatomique quand sur fond d’éclairs et de tonnerre, le ciel bombarde à l’aveugle en faisant claquer sur les carrosseries une pluie tirée à la rafale de mitraillette. Entraîné par l’incompréhensible déplacement des masses d’air chaudes et froides, l’orage a bifurqué plein Ouest depuis un bon quart d’heure pour aller terrasser les champs d’avoines et de blés repoussés toujours plus loin mais le déluge continue à s’acharner, les tôles crient métalliques sans jamais avoir besoin de reprendre leur respiration, alimente en continue un bourdonnement rauque inspirant terreur et panique. Au sol, les douilles ricochent par centaines de milliers au centimètre carré, explosent en milliards de particules, certaines viennent titiller la moustache du matou qui la remue à la cadence d’un automate déréglé dans l’espoir naïf de les éviter ou dans les veines tentatives de faire tomber celles qui s’y accrochent. Réfugié sous un modèle Hybride, il a abaissé son corps maigre au ras du bitume, pattes enfouies sous les poils mais prêtes à se détendre en une fraction de seconde, queue pelée ramenée sur l’avant pour être certain qu’il ne lui arrive pas malheur, muscles du cou tendus, tête à l’affût, oreilles en loque rabattues sur les extérieurs, prêt à fuir au cas où là-haut on avait gardé le pire pour la fin. Mais ses yeux, gros et ronds, fixent hypnotisés un verre de lait d’un mètre de haut sur la 4X3 déroulante. Le blondinet qui le porte à sa bouche sourit hilare à l’idée de tous les bienfaits que le calcium apportera à son corps en développement. Puis c’est au tour d’une brune d’à peine vingt ans en petite culotte, un bras replié sur la poitrine, l’autre main présentant un tube de crème vert. Même sourire que le blondinet mais elle, c’est à l’idée qu’une formule scientifique à base de plantes rares comme seule la forêt Amazonienne est capable d’en dissimuler, empêchera la formation de peaux d’orange sur ses cuisses longues et fines. Le matou relâche son attention, se lèche les poils dans l’espoir de les sécher un peu en attendant résigné parce qu’il a compris depuis longtemps qu’il n’y a pas grand chose à faire contre ce qui est décidé là-haut. Soudain il s’arrête, relève la tête d’un coup sec, attiré par le mouvement verticale d’une branche morte qui se détache du dernier arbre du coin, vestige incongru au milieu du terrain vague de l’autre côté du rond-point. À cette extrémité de la ville, bosquets et vieilles bâtisses ont été rasé pour faire place nette à une quatre voies filant droit vers la ville suivante. Sur les côtés, des bretelles à rond point, des sorties à rond-point, des jonctions, des ponts, tout un fatras de routes facilitant un maximum à monsieur madame Tout-le-monde l’accès aux zones commerciales périphériques, chassant les dernières vaches qui broutaient têtes baissées sans rien voir venir. Yeux gros et ronds, le matou dévore du regard le verre de lait géant qui a repris sa place. Les oreilles sont maintenant droites, la moustache ne tremble plus, les carrosseries ne crient plus, à peine des petits cliquetis. Depuis combien temps il n’a pas eu le bonheur de tremper sa langue dans ce truc blanc. Y’a bien une vieille dame qui vient lui en donner dans une petite soucoupe avec des croquettes mais c’est un truc en poudre, rien à voir avec celui des vaches. Il le boit, pas le choix mais n’empêche, quand il regarde autour de lui avec ce goût de pas bon dans la bouche, ça ne lui donne pas envie d’être un humain. Il leur est quand même reconnaissant de fabriquer ces gros trucs qui lui servent de parasols l’été, de parapluie l’hiver.
Frédéric Arnoux est écrivain, il a publié quatre livres dont les trois derniers aux éditions JOU.
Depuis juillet 2020, Écrire à Tokyo est une zone de dialogue et d’étude sur l’écriture littéraire en langue française avec Tokyo et le Japon en perspective, hors du fétichisme, sous la forme d’une réunion mensuelle en ligne initiée depuis Tokyo, ouverte aux participants du monde entier. Écrire à Tokyo, Saison 1 – juillet 2020~septembre 2024 – 4 ans, 50 sessions, un livre. Écrire à Tokyo, Saison 2 – octobre 2024 – …
Ecrirea.tokyo est une zone de dialogue et d’étude sur l’écriture littéraire en langue française avec Tokyo et le Japon en perspective sous la forme d’une réunion thématique mensuelle en ligne, initiée depuis Tokyo par Julien Bielka et Lionel Dersot, avec des participants au Japon et hors du Japon. Il s’agit d’une dynamique amateure dans le sens où la plupart des participants ne publient pas à compte d’éditeur, ce qui ne change rien à la qualité des échanges et à la pointure des analyses hors des sentiers éditoriaux battus et du fétichisme endémique dont la chose Japon est l’objet. Nous sommes observateurs des théories mais surtout des pratiques littéraires contemporaines dans une perspective allochtone ou pas, avec Tokyo et le Japon dans le rétroviseur, comme sujets ou éléments plus ou moins déterminants des écritures propres à chacun, qu’elles soient pratiques régulières, tâtonnements ou envies en gestation. L’objectif est d’engager à l’écriture. Ecrirea.tokyo s’adresse à des personnes qui écrivent ou envisagent d’y consacrer du temps et de la réflexion, et souhaitent partager des opinions et des questionnements. Notre objectif est d’explorer d’autres récits et approches narratives.
Quelles écritures? D’autres récits Écritures inclut pour nous toutes formes, hormis écriture promotionnelle, intentionnellement commerciale, quand bien même il faut payer le loyer, affabulations kitsch et autres fantasmes en mode pâmoison, fétichisme et nombrilisme ésotérique autour du Japon, ou clichés marchands. Nous cherchons à envisager le champ des possibles de l’écriture et des récits autres avec Tokyo et le Japon en perspective par la réflexion commune, et en se soustrayant – mission déjà accomplie – avec lucidité et courage à la force de gravitation d’un domaine englué dans l’univers affabulé, hédoniste narcissique et le fétichisme sincère ou surtout marchand qu’est cette ”PassionSiFrançaisePourLeJapon”, bloc-sens qui se traduit entre autre par la quasi-absence d’une véritable production littéraire allochtone singulière. Nous sommes pour un maximum de diversité générique, stylistique, tonale, etc. sans pour autant transiger avec certains partis pris éthiques qui sont les nôtres : d’autres récits, anti, anté, post, para-spectaculaires marchands.
La dés-organisation Écrire à Tokyo n’est ni un réseau, ni une association, ni un organisme, ni un collectif, mais se veut simplement souple, agile et ouvert, être un lieu de passage où se réunissent le temps d’une session Zoom des personnes pour lesquelles l’écriture de/sur/avec Tokyo et le Japon compte ou interpelle, parler d’écritures, et de lectures, puis disparaître jusqu’à la session prochaine, ce qui n’exclut pas un café ou d’autres boissons de temps en temps à Tokyo.
Quelques thèmes déjà abordés ou envisagés Anatomie et taxonomie de cette “PassionSiFrançaisePourLeJapon” Tokyo au prisme du post-modernisme Les dispositifs de non-fiction Expériences de micro-édition Les écritures de la solitude D’autres guides touristiques et de voyages Détournement des récits gastronomiques Introduction à la micro-uchronie Les écritures neutres et blanche Les écritures d’enquête au Japon L’esprit des lieux Les écritures hors-sol : de l’impact de la mobilité sur les récits entre Japon et ailleurs Entre utopie et envie réelle : énoncer les conditions pour développer un autorat allochtone et l’utopie d’une résidence d’écrivain Ecrirea.tokyo située à Tokyo accessible aux écrivains résidents permanents. Politiser ses écrits : enjeux, risques réels et imaginaires. Chronique du non-événementiel et de l’ordinaire Uchronies intersticielles : fictionaliser le réel sans laisser de traces. Nouvelles écritures hédonistes sur le Japon : changer de braquets. Écrire sans être publié. Diarisme : écrire au quotidien. Investir le diagrammatisme littéraire. Détester Tokyo : penser les écritures contre.
Ecrirea.tokyo étant une dynamique qui fait progresser la compréhension des choses, certains sujets sont ré-abordés sur la base des acquis et l’ouverture des chakras conséquents à des échanges et analyses antérieurs. L’univers est en expansion. Ecrirea.tokyo aussi.
Par une belle journée de printemps, les cerisiers alors en pleine floraison, mon corps a décidé de faire une apparition à l’exposition « Happy Spring » des Chim↑Pom, au prestigieux musée Mori, situé dans le quartier huppé de Roppongi.
Chim↑Pom, collectif d’artistes créé en 2005, s’auto-proclamant avec panache « néo-dadaïste », est bien connu pour ses œuvres insolentes et subversives, n’hésitant jamais à bousculer les convenances, à briser les tabous, dans un pays où le conformisme n’est pas un vain mot. Les enfants terribles de la scène artistique japonaise n’en font qu’à leur tête et créent sans discontinuer, souverainement, des œuvres autant potaches que politiques, semant le trouble dans les institutions : ainsi, devant un tel hapax, il m’est impossible de ne pas vous proposer un compte-rendu tentant d’analyser les enjeux de cette exposition qui, je n’en doute pas, fera date dans l’histoire de l’art, comme dans celle des cataclysmes.
Bon, allez, j’arrête de mentir. Cette expo est une daube cuite à la sauce verte, un véritable affront à tout ce qui m’importe ; un truc de gros vendus, un simulacre de radicalité dont on se passerait bien, surtout en ce moment.
Elie des Chim Pom avec feu Shinzo Abe et sa femme Akie, pour toujours plus de subversion non compromise !
Le lieu déjà. Roppongi Hills et ses alentours sont immondes, ambiance fin du monde de duty free : Barbouze de chez Fior, Hugo touchez ma Boss, Herpès, j’en passe. Le musée Mori est glacial, hyper surveillé, aussi convivial qu’un grille-pain connecté. Note pour moi-même : ne plus jamais y mettre les pieds, à part en cas d’occupation sauvage. Occupy Mori Museum !
Les sponsors de l’expo : pas besoin d’enquêter pendant des semaines pour comprendre que ça ne sent pas tout à fait le patchouli : la louche Nippon Donation Foundation, Adidas (on en parle, des Ouïghours ?), Ginza 8, Parco, la Obayashi Foundation… On nage en plein flouzoir, flouze et pouvoir. Pour des néo-dadaïstes, ça la fout mal, à moins qu’il ne s’agisse d’un dadaïsme parfaitement soluble dans le spectaculaire-marchand, bref, après le néo-dadaïsme d’État (Buren), le néo-dadaïsme financier, on n’est plus à un oxymore (oxy-moron) près. Je ne parle pas non plus des t-shirts WE ARE SUPER RATS (c’est pas moi qui le dis !) vendus 7000 yens à la sortie de l’expo, disons que j’imagine mal Antonin Artaud vendre des tote bags.
Inutile donc de s’attarder sur le contenu de l’expo, les œuvres en elles-mêmes sont chouettes, mais tout ce qui pourrait me plaire est instantanément annihilé par la dégueulasserie qui les entoure. Ces zigomars font vraiment un mal fou à toute la scène underground-outsider japonaise, à tous ces artistes indifférents aux tendances qui ont pu un instant trouver les Chim↑Pom crédibles. Je n’imagine pas un concert de punk à la salle Pleyel, ni une expo de graffs au Centre Pompidou (et aucun punk ni graffeur digne de ce nom n’accepterait).
Pour revenir à l’expo, une œuvre m’a paru hautement significative : une grosse tente noire (symbolisant un sac poubelle) dans laquelle est installé un trampoline : l’idée est de s’amuser dans les déchets. Pourquoi pas ? Mais avant d’y pénétrer, deux réduits de gorille me font savoir qu’il est interdit de sauter sur le trampoline. D’accord… Même l’aspect ludique neuneu (que j’apprécie) est entravé par la nature même du lieu. Avec cette expo, le ludique-subversif est donc valorisé par sa négation, dans une forme légale et institutionnalisée, encadrée, aseptisée et régulée. Rien de nouveau sous le soleil, mais il est nécessaire parfois de rappeler certaines choses.
En sortant de l’expo, j’ai éprouvé le désir très fort de jouer à Goat Simulator. Ce n’est pas un hasard. Comme son nom l’indique, ce jeu vidéo permet d’incarner une chèvre : Goat Simulator est la toute dernière technologie de simulation de chèvre, en proposant la dernière génération de simulation de chèvre pour VOUS. Vous n’avez plus à rêver d’être une chèvre, vos rêves sont enfin devenus réalités !
Au joueur de créer les situations les plus absurdes possibles en milieu urbain, de ruiner les repas de famille, de lécher des quidams, de faire exploser des voitures (la chèvre, comme les rats de Chim↑Pom, est extrêmement résiliente), de voltiger en jet pack, de devenir girafe, pingouin, œuf, de s’incruster un peu partout (dont une galerie d’art), le tout accompagné par une musique irritante, qui pousse au vandalisme pulsionnel. Comme dans un rêve… (les miens en tout cas). Ce jeu a plus d’un point commun avec les Chim↑Pom (qu’ils fassent attention à la chèvre : un simple coup de corne et les voilà en orbite !), mais il coûte moins cher que leur expo, il est plus drôle, plus idiot, plus cathartique, plus ludique et en définitive plus inspirant, amenant à se poser ce genre de questions : comment empêcher la circulation sociale, marchande, culturelle, sans que personne n’ose intervenir ? Comment devenir chèvre ?.. J’appelle de mes vœux les chèvres néo-dadaïstes à faire irruption à Tokyo, disons à Roppongi Hills, et à y amener un peu de sauvagerie obsessionnelle et colorée !
Chim↑Pom: Happy Spring Celebrating Japan’s Most Radical Artist Collective in Their Largest Retrospective 2022.2.18 [Fri] — 5.29 [Sun]
Ça commence pas un peu à ronronner, cette histoire ?
Eh bien non. Il suffit de voir ce que la JR a osé commettre sous la voie ferrée près de la station, en imposant un complexe prout-prout de restos bobos et autres bars à vin en carton, qui jurent tellement avec les alentours crados du quartier, pour se dire qu’on a raison de se révolter, qu’il faut continuer à faire savoir que non, on n’en veut pas, de cette normalisation répressive. Que cette gentrification, ils peuvent s’en faire des papillotes et se les insérer dans l’orifice de leur choix, car leur projet sent tout simplement l’ennui et la mort.
Rien à dire de particulier sur le déroulement de la manif, ça s’est passé comme les années précédentes, flics en surnombre toujours aussi hébétés, musique toujours aussi bonne (punk, électro, hip-hop en majorité), plaisir de voir des gens qui se parlent, qui vivent, qui rient, malgré les giboulées démobilisatrices. Un peu plus de participation ou de soutien ne ferait quand même pas de mal : cent manifestants pour une ville comme Tokyo, c’est ridicule et déprimant après coup. Pour plus de détails, je renvoie à ce que j’écrivais les années précédentes. Très bonne after party dans un lieu clandestin, avec concert de punk bien énervé et discussions marrantes au balcon, c’est bien de ne pas s’éparpiller après les manifs, ça devrait être toujours comme ça.
Pendant la manif, une pancarte m’a interpellée : « TSUMARANAI MACHI NI SURU NA! », qu’on peut traduire par « n’en faites pas un quartier chiant » et par extension une ville chiante. J’ai repensé à Perec et à son poème « L’inhabitable » : L’inhabitable : la mer dépotoir, les côtes hérissées de fils de fer barbelés, la terre pelée, la terre charnier, les monceaux de carcasses, les fleuves bourbiers, les villes nauséabondes L’inhabitable : l’architecture du mépris et de la frime, la gloriole médiocre des tours et des buildings, les milliers de cagibis entassés les uns au-dessus des autres, l’esbroufe chiche des sièges sociaux L’inhabitable : l’étriqué, l’irrespirable, le petit, le mesquin, le rétréci, le calculé au plus juste L’inhabitable : le parqué, l’interdit, l’encagé, le verrouillé, les murs hérissés de tessons de bouteilles, les judas, les blindages L’inhabitable : les bidonvilles, les villes bidons L’hostile, le gris, l’anonyme, le laid, les couloirs du métro, les bains-douches, les hangars, les parkings, les centres de tri, les guichets, les chambres d’hôtel les fabriques, les casernes, les prisons, les asiles, les hospices, les lycées, les cours d’assises, les cours d’école l’espace parcimonieux de la propriété privée, les greniers aménagés, les superbes garçonnières, les coquets studios dans leur nid de verdure, les élégants pied-à-terre, les triples réceptions, les vastes séjours en plein ciel, vue imprenable, double exposition, arbres, poutres, caractère, luxueusement aménagé par décorateur, balcon, téléphone, soleil, dégagements, vraie cheminée, loggia, évier à deux bacs (inox), calme, jardinet privatif, affaire exceptionnelle On est prié de dire son nom après dix heures du soir (j’ai mis en gras ce qui me parle le plus) L’inhabitable, la ville bidon, la ville chiante. J’ai envie de continuer le poème de Perec. La ville chiante : une ville où on a honte d’être pauvre. Le contraire : une ville si belle qu’on préfère y vivre pauvre que riche n’importe où ailleurs, pour paraphraser Debord à propos du Paris des années 60. Une ville où on ne peut pas créer, faire son truc, sans être jugé, ou alors parce qu’on est trop pris par l’esclavage salarié. Une ville normale, pas psycho-friendy (psycho-friendly, qu’est-ce que c’est ? Fafafafa), une ville sans efflorescence artistique, politique, socio-éthique. Une ville sans labyrinthe, une ville où on ne peut pas se perdre. Une ville surveillée, fliquée de partout. Une ville étroite d’esprit, où personne ne se parle, une ville sans fantaisie, où on n’a pas le droit d’être soi-même dans le devenir de son choix, enfin heureux de jouer son propre rôle. Une ville sans vie nocturne, sans musique, sans sexualité libre. La ville du couvre-feu perpétuel. Une ville de bourgeois ringards et ressentimentaux, castrateurs d’avoir été castrés toute leur vie ; vraiment il faut se protéger de ces gens-là, ce sont les pires. Une ville de spectateurs passifs, où rien n’arrivera jamais. Une ville de familles conformistes et répressives. Une ville de l’isolement, où on peut crever la bouche ouverte dans le caniveau, symboliquement y compris. Une ville conçue par et pour des vieux slips consuméristes. Une ville grise, prétentieuse, de la distinction foireuse de bobos-gogos, faut bien s’habiller bien proprement, parler et écrire bien proprement, comme ça on aura un bon point de la maîtresse. En gros, la ville bourgeoise telle qu’on la connaît trop bien, anti-bonobo (bohème non-bourgeois). On la subit déjà un peu partout. Et comme si c’était désirable, comme si l’absence de libido était bandante, comme si on était non seulement condamnés à subir ce genre de villes moisies, villes de la pauvreté du vécu, mais à les désirer ! Comme si au contraire, on n’avait pas envie de désirer, délirer, jouer, jouir sans entraves dans un devenir-minoritaire en éventail ! Koenji le permet encore plutôt bien, donc on ne lâche rien.
Dans le capitalisme greenwashing les jours comme celui-ci où la température frôle le zéro, les démocrates n’ont qu’une phrase à la bouche « réchauffement climatique mon cul », iels glissent, ressemblent à des explorateur.trice.s affrontant le Pôle Nord par -40.
8h30, je pars à pieds d’Alfortville à Nation, soixante minutes, 0 degrés c’est la grosse flippe, les vieux ne sortent pas, les enfants manquent de s’étouffer sous neuf pulls, les retards au travail s’assument et se programment plus facilement.
Dans le capitalisme greenwashing « le climat » reste pour la plupart des gens « la météo » et ce n’est pas la peine de se la raconter, personne (ou presque) ne veut changer ses modes de vies si problématiques.
10h25, juste avant de rentrer dans un café pour mon rdv TINA j’observe bouche bée une murmuration* d’étourneaux assez impressionnante, fréquentes en ville (la ville est plus chaude, moins dangereuse, nourriture plus abondante), mais celle-ci est sans conteste dans mon top 3, il neige depuis deux minutes.
Dans le capitalisme greenwashing les industriels et les organisateurs des sommets internationaux ont toujours des bonnes idées pour sauver la planète. Au G20 à Rio de Janeiro en novembre 2024 les intervenants s’affichaient à côté de leur bouteille d’eau qui n’était plus en plastique mais en aluminium (c’est fou non ? Et le verre vous connaissez ?).
11h30, je repars à pieds vers Alfortville, la neige tombe en continue depuis une heure sur Paris et les démocrates lâchent un « putain », les enfants un « super », les vieux depuis leurs fenêtres un « c’est beau ».
Statistiques de la demie-journée marche : 12 km. lecture : 30 pages de Tianxan protéines animales ingérées : 0 écriture : une page sur une murmuration d’étourneaux visiteurs uniques sur la revue TINA à midi : 28 glissades : 3 schtroumpfs qui tentent de me viser avec des boules de neige : 2
Dans le capitalisme tardif, bien trop long mais sans doute indépassable, la journée est rythmée par la montée des voix pour Trump et par le nombre de grands électeurs rouges qui augmentent d’heure en heure, la ligne rouge grossit telle un téléchargement lent mais inéluctable.
12H00. Je croise Jésus, c’est une cloche de 30 ans qui en paraît 45 et le corps 60 qui a choisi d’être une cloche, ce n’est pas la société qui l’a rejeté c’est lui qui a rejeté la société. Je lui achète deux bières car le sandwich tofu que j’ai en mains il n’en veut pas.
Dans le capitalisme archi-tardif bien que sans doute indépassable les libertariens (anarchistes de droite) sont la nouvelle tendance, supprimons les États qui ne servent à rien à part entraver la liberté individuelle (des riches).
15h00. Je croise Jésus mais il est avec ses potes éphémères alors ce n’est pas le moment, ils se chauffent avec des 8.6 avant le grand saut dans le monde cotonneux et incompréhensible.
Dans le capitalisme tardif nous pourrions tenter plus souvent des expériences pieds nus (barefoot) – David Carradine le faisait souvent dans son quotidien et même lors de ses rendez-vous professionnels dans les studios d’Hollywood – un acte fort de véritable insoumission.
19H30. Je croise Jesus il me dit Tu veux fumer ? – non merci – j’ai pas de problème tu sais me dit-il, je lui réponds Tant mieux tant mieux en regardant ses pieds noirs comme le goudron sur lequel ils sont posés.
Statistiques de la journée marche : 3 km. calories brûlées : 200 Franceinfo : 4 heures temps à compter les fascistes dirigeant des pays : 2 heures l’envie de mettre des baffes a des individus de gauche qui ne sont pas de gauche : incalculable Alcool : 2 gin-to Protéines animales ingérées : 0