Quand vous êtes à Reims le jour où il serait bienvenu de méditer sur la phrase « L’art c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art » et bien, l’envie vous prend de planter une graine dans cette terre. Une graine invisible, dans le noir, qui, sous des airs d’endormie, mijotera des tas de réflexions pour espérer que certains fantômes comme Robert Filliou viennent secouer les vivants. Alors, ne choisissons pas n’importe quel jardin public pour planter cette graine. Rendons-nous dans le Parc de Champagne à Reims, celui qui, à l’origine était destiné au personnel de la Maison Pommery, une des plus grandes marques de Champagne, et aujourd’hui laissé ouvert au public trop généreusement par son propriétaire. Nous sommes à notre place puisque le Groupe Vranken Pommery Monopole (nouveau nom de la Maison) est récompensé en 2012 par l’État en recevant la médaille de « Grand Mécène de la Culture ». Nous passerons, si vous le voulez bien, sur cette condamnation en justice en 2015, pour avoir fait détruire par une société de nettoyage, la sculpture monumentale d’une artiste contemporaine, acquise quelques mois avant, qui devait certainement prendre trop de place au château. Espérons aussi que cette graine n’ai pas tant besoin de ressources puisque ce parc est le fruit de l’habileté humaine, répondant aux caprices des bulles et à la volonté de dédier l’espace à l’entraînement des Jeux olympiques. Le déplacement de 492.000 m3 de craie et l’apport de 278.000 m3 de terre végétale venus des quatre coins de la France promettent alors le même charme que celui d’écouter du fado sans mélancolie. C’est dans le jardin des simples, situé dans un coin du parc artificiel que nous choisissons l’emplacement de la plantation de la graine. Si elle est à la fois élixir et empoisonneuse, elle saura infiltrer de la poésie à nous autres, affamés de rêves. Cette graine est une prière pour l’anniversaire de l’art. Et puisque le visible nous éclabousse, faisons alors confiance à l’invisible.
« l’essentiel est invisible pour les yeux » Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince
À Aix-la-Chapelle, le 17 janvier 1973, nous (c’est-à-dire tout le monde : écoliers, ouvriers, employés, pas seulement « gens du métier »), nous célébrerons le un million et dixième Anniversaire de l’Art. Robert Filliou
À Shanghai, ce 17 janvier 2025, nous (DeYi Studio) vous souhaitons un bon 1.000.062ème anniversaire de l’art !
Depuis 1973 la date anniversaire proposée par Robert Filliou est l’occasion de célébrations dans quelques institutions artistiques. Le plus souvent cet « Art’s Birthday » donne lieu à des « art-projects »… alors que l’idée initiale était de festoyer toute la journée, sans Art, à l’image du 1er mai qui est un jour férié. Pour la fête du travail on ne travaille pas. Mais l’art est-il un travail ?
Les très belles idées de Filliou ont tendance à être retournées comme des gants à force d’être citées sans prendre garde au contexte. On peut rire de n’importe quoi mais pas avec n’importe qui, disait Pierre Desproges. Notre ami Maury ajoute qu’on peut faire de l’art avec n’importe quoi mais pas n’importe où. Quand Filliou nous dit que « l’art c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art » c’est magnifique, mais si c’est LVMH qui le dit il faut entendre que l’art c’est ce qui rend le luxe plus intéressant que l’art. D’une revendication comme « art est vie » on glisse trop facilement vers l’art de vivre et tout le fatras consumériste du Lifestyle ou LifeWear à la Uniqlo & co. L’art en tant que travail n’est-il pas simplement la tête chercheuse et le bras explorateur du marketing ? Dans ce cas il mérite salaire en effet. Mais il faut savoir pour qui l’on travaille. Maury estime en tous cas que les travailleur·ses de l’art vont à contresens de l’idéal de l’amateur porté par Filliou.
Comme Maury nous avons beaucoup d’amis qui se reconnaissent travailleur·ses de l’art. Nos doutes quant à leur perspective ne remettent pas en cause notre amitié et notre estime pour ce qu’ils font. Il faut bien sûr d’abord considérer le côté positif de la démarche. Vigilance et lutte contre les abus et les discriminations sont clairement indispensables, et engagent notre responsabilité partout, tout le temps, dans toutes les activités. Passons sur la perplexité que nous inspire le souci de la retraite chez de jeunes artistes de moins de trente ans, même si c’est raisonnablement légitime dans le contexte actuel. Soulignons plutôt l’organisation manifeste d’une véritable solidarité dans un milieu jusqu’ici miné par les rivalités individualistes. De solitaire à solidaire il n’y a qu’une lettre mais plus d’un pas. Encore deux et voici la très salutaire révolution culturelle de penser et d’agir enfin ensemble concernant une pratique traditionnellement esseulée et rendue hautement concurrentielle par la logique du marché de l’art. Mais cette mutualité nouvelle doit-elle simplement conforter l’oppression en l’aménageant pour la rendre vivable, et donc durable ? On préfèrerait que cette mobilisation vise une sécession plutôt qu’une assurance. Au moment où les jeunes ingénieurs bifurquent n’est-il pas déconcertant de voir les jeunes artistes se raccorder au monde de l’art tel qu’il est ? La faute sans doute à la « professionnalisation » qui sévit dans les écoles d’art.
Les artistes travaillent, oui, certainement, et beaucoup. Mais est-ce un métier pour autant ? Sommes-nous des travailleur.ses de l’art ? Nous travaillons d’autant plus que nous ne vivons pas de notre pratique artistique. Nous sommes donc des travailleurs comme les autres pour ce qui est de « gagner sa vie », comme on dit, ce qui revient surtout à la perdre, comme on sait. Travailler pour financer une activité artistique n’est pas une mince affaire, d’autant que cela n’a de sens qu’à condition de dégager assez de temps pour pratiquer cette activité. Mais là où un travailleur distingue en général le temps du travail de celui du loisir, et cherche à augmenter les revenus du premier pour profiter du second, l’artiste quant à lui distingue le temps d’un travail alimentaire et le temps du travail artistique, méprisant le premier et s’y engageant aussi peu que possible (même quand il s’agit d’enseigner) et laissant croire à son entourage (et aux étudiants en art) que le second lui assure un revenu suffisant, par crainte de n’être pas crédible comme artiste professionnel. Reconnaître le travail artistique comme un loisir – essentiel, exigeant, nécessaire, vital – aurait du moins le mérite de lever la mauvaise conscience qui caractérise les artistes au travail. Et par là même nous épargnerait cette appellation hautement cafardeuse de « travailleur.ses de l’art ». Car non, l’art n’est pas un métier. Ou alors seulement la triste besogne de produire des objets et leurs concepts afférents au profit de l’industrie culturelle. On devrait dans ce cas dire simplement travailleur·ses de l’industrie culturelle, et laisser l’art au dimanche.
Convoquer la mythologie révolutionnaire des travailleur·ses est bien sympathique et réconfortant à nos yeux, mais n’est-ce pas se prémunir un peu vite et trop commodément de la mauvaise conscience d’œuvrer pour le royaume du luxe ? Comme si militer pour un luxe communal en 2025 consistait à rêver d’un sac Vuitton abordable au lieu de renverser la colonne Vendôme. Se libérer de l’oppression du marché requiert des stratégies d’auto-invisibilisation (cryptage, camouflage, furtivité ou simple discrétion) car il n’est pas tant question aujourd’hui de production que d’extraction de valeur. Tout ce qui est visible (au sens médiatique et non optique), rémunéré ou pas, s’offre benoîtement à l’extractivisme forcené de l’économie de plateforme. Réclamer sa part n’y changera rien. Négocier sa place conforte le dispositif.
Il faut en finir avec le travail, sortir d’un imaginaire de la production, penser la décroissance et pratiquer l’art comme une conversation, libre et non rémunérée (ou alors c’est une comédie). Cette conversation, engagée depuis 1.000.062 ans, mobilise des images, des objets, des sons, des rituels, des mots ou des gestes. Elle trouve ses lieux par les réseaux* bien mieux que dans l’exposition, média hégémonique d’une économie qui nous mène au désastre.
Si vous tombez dans un canal cela vous semblera une bonne idée de réclamer une bouée, mais l’essentiel est de sortir de l’eau. Si vous n’êtes pas encore tombé à l’eau rien ne vous oblige à y plonger en réclamant une bouée. Une fois dans la bouée, si elle ne vous est pas tombée sur la tête, elle vous entrainera dans le sens du courant. Le milieu de l’art étant solidement structuré aujourd’hui en France autour du couple marché-institution, avec les fondations d’entreprise comme courroies de transmission, nager à contre-courant, avec ou sans bouée, ne suffit pas, essayons d’en sortir.
Bon anniversaire de l’art, vive l’amateurisme et les loisirs, vive le revenu universel d’existence !
Notes : -> * attention nous dit Maury, parler des réseaux n’est pas promouvoir Facebook, Instagram, X et les autres, bouffis d’algorithmes toxiques, saturés de publicités ciblées, qu’il faut définitivement boycotter sans hésiter.
-> illustration : —> 1) bassin devant le Pearl Art Museum à Shanghai, photo DeYi Studio —> 2) Robert Filliou « whispered ART HISTORY », Clémence Hiver Éditeur, 1994 6 rue de la Planète, 30610 Sauve – > exemple de célébration ART’S BIRTHDAY aujourd’hui : https://www.muhka.be/fr/activities/arts-birthday-2025/
Document : Lettre de Robert Filliou le 17 janvier 1973.
Chers ami(e)s, Par un matin de 1963, improvisant L’Histoire chuchotée de l’art, j’écrivais : « Tout a commencé un 17 janvier, il y a un million d’années. » Drôle mais, indépendamment de la date arbitraire, il semble qu’il y ait environ un million d’année que les êtres humains apparurent sur terre. Pourquoi alors ne pas proclamer ce qui au départ ne fut que chuchoté, tel un dangereux secret : « Voici un million et 10 ans, Art était Vie, dans un million et 10 ans, il le sera encore. Festoyons donc toute la journée, sans Art, pour célébrer ce début heureux et annoncer cette fin heureuse. » Le fond de ma pensée ? : éventuellement, l’art doit revenir au peuple auquel il appartient. Comment ? Et si l’Anniversaire de l’Art était prétexte à congés payés pour les ouvriers du monde entier, à partir du 17 janvier si le poème est pris comme référence, de n’importe quelle autre date s’il ne l’est pas ? D’abord un jour, puis deux, trois, quatre, cinq, et à mesure que les conditions objectives et subjectives du monde le permettent, un, deux, trois cents, et éventuellement (dans un million et 10 ans) trois cent soixante-cinq ? Si ceci était fait, nulle autre festivité ne serait à prévoir. Les peuples joyeux n’ont besoin d’aucune autre « chose ». Non ? Quoiqu’il en soit, à Aix-la-Chapelle, nous avons décidé de créer un précédent. À Aix-la-Chapelle, le 17 janvier 1973, nous (c’est-à-dire tout le monde : écoliers, ouvriers, employés, pas seulement « gens du métier »), nous célébrerons le un million et dixième Anniversaire de l’Art. Une belle journée, souhaitons-le : vacances pour filles et garçons, jour férié pour les ouvriers, musées et galeries débordant de fleurs, banderoles et lanternes par toute la ville, orchestres, danses, bals publics, feux d’artifice… Mes vivantes salutations Robert Filliou Né en 999 963 a.a (après l’art)
Sans doute avez-vous déjà vu sur votre smartphone les très courtes vidéos de Shoji Yamasaki. Peut-être même comptez-vous parmi les millions d’abonnés à son compte Tiktok ou Instagram. Depuis quelques mois Shoji Yamasaki poste des vidéos de 15″ à l’écran divisé juxtaposant deux danses identiques, un détritus à gauche et lui à droite : Littered Mvmnts (2020–ongoing).
Un sac poubelle virevolte dans un courant d’air au coin d’un mur. Un morceau de carton se plie et se déplie au gré du vent sur un trottoir. Un vieux chiffon s’agite au passage d’une automobile. Un sachet plastique transparent coincé sous un grillage se gonfle et se dégonfle. Un papier d’aluminium froissé se dresse et retombe. C’est comme le dernier souffle des objets consommés, bien décidés à une autonomie inopinée.
Autant de détritus animés par le vent, autant de mouvements habituellement indifférents à nos regards trop affairés, mais autant de gestes poétiques pour Shoji Yamasaki, autant de motifs chorégraphiques offerts à son écholocalisation de danseur. Et autant de sourires, ou de ricanements, pour ses milliers de followers sur Tiktok. Prince des nuées, son exil au milieu des huées rencontre un succès inattendu, ou un malentendu sans nom.
Shoji Yamasaki a développé un talent singulier pour voir de la danse dans l’oscillation irrégulière d’un simple bout de papier trainant par terre. La propension du shintoïsme à reconnaître une âme aux pierres ou aux arbres a peut-être infusé chez lui, jusqu’à attribuer une volonté propre aux déchets que nous abandonnons un peu partout. Il a trouvé une manière élégante de partager cette sensibilité particulière. Après plusieurs tentatives expérimentales, une forme très simple s’est imposée qui lui vaut son audience récente sur les réseaux sociaux. Shoji Yamasaki incorpore les spasmes, soubresauts et tremblements des déchets observés dans la rue, et il les réactive aussi fidèlement que possible en s’agitant à leur manière. Là est son geste artistique. De ces gestes minimalistes improbables s’ensuivent des vidéos qui confrontent brièvement côte à côte les deux mouvements synchronisés. Celui du modèle de rebut enregistré sur place à l’improviste, et celui de Shoji Yamasaki, mime halluciné d’un paquet de bonbons ou d’un sachet de chips, filmé dans un contexte similaire. Pour parfaire son mimétisme cinétique Shoji Yamasaki prend soin de s’habiller de façon comparable. En blanc s’il s’agit d’un plastique blanc, en gris ou noir pour un sac poubelle, en body argenté pour un emballage en aluminium, en brun pour un carton, jaune pour une enveloppe de Pulparindo, etc. Il précise toutefois dans un interview qu’il n’utilise que les vêtements qu’il a sous la main chez lui, et qu’il n’achète jamais ni ne fabrique aucun costume pour une vidéo, afin de ne pas produire davantage de déchets. À la fin d’une première compilation postée sur YouTube il y a trois ans vous pourrez lire aussi : « Tous les déchets présentés dans cette vidéo ont été ramassés et mis dans un sac, rejoignant ainsi les quelque 728 000 tonnes d’autres déchets produits chaque jour aux États- Unis et destinés à être enfouis dans les décharges ».
Des pièces chorégraphiques de 15″ donc, postées, repostées et repostées encore sur Tiktok. Jusqu’à atteindre des millions de vues. Le succès pour de mauvaises raisons fait sans doute partie de l’équation qui nous intéresse pour de bonnes raisons. Cette équation opère une drôle de résolution en introduisant la variable de l’humour entre son geste radical hérité des avant-gardes artistiques confidentielles et sa réception collective massive sur les réseaux sociaux. À part la haine, la rigolade reste ce que les algorithmes mobilisent le plus facilement pour capter l’attention et optimiser l’engagement. Mais la blague est juste une parenthèse qui dénature beaucoup moins le propos que le whitecube ne le désactive. Est-ce un savant calcul de la part de Shoji Yamasaki ? Pas sûr. C’est plus probablement une affaire de génération, par où la culture mute selon l’environnement technologique de l’époque.
Pour sonder l’abîme entre générations (entre étudiants et enseignants par exemple) on notera sur son site web l’aplomb avec lequel Shoji Yamasaki (diplômé de CalArts à Los Angeles en 2023) revendique son engagement depuis quinze ans comme bénévole pour l’ASPCA (American Society for the Prevention of Cruelty to Animals), expliquant doctement qu’il a sauvé une trentaine de lapins handicapés et précisant fièrement qu’enfant il a été cité en 2009 dans l’édition annuelle de l’ASPCA Kid’s book. Les sous-cultures japonaises ou californiennes n’expliquent pas tout. Il y a moins de cinq ans pas un artiste raisonnable n’aurait mentionné sérieusement une telle référence dans son CV. Mais aucune dérision semble-t-il ici, et nulle ironie de ce côté aujourd’hui. Plusieurs de ses créations chorégraphiques sont inspirés du langage corporel que les lapins utilisent pour communiquer entre eux… Cela nous laisse un peu rêveurs, mais quel bonheur de regarder danser malgré tout Shoji Yamasaki. Malgré tout. Malgré les immondices, malgré les élections, malgré les incendies, malgré l’effondrement, malgré nous, les artistes se sauvent et nous sauvent.
-> illustrations : copies d’écran Youtube de vidéos de Shoji Yamasaki -> compilation sur Youtube de quelques vidéos publiées sur Tiktok : LITTERED MVMNTS | A Dance Film by Shoji Yamasaki https://youtu.be/VeWFZV1FWFs (peu de vues sur Youtube, contrairement à Tiktok) -> site web de Shoji Yamasaki : https://www.shojiyamasaki.com/
Quand il y a une voix vous pouvez acceptez beaucoup de choses de l’auteur.e. Il y en a une. Des formes, des styles, des choix, des formules qui ne vous auraient pas habituellement emballés mais ici ce n’est pas le cas, tout est dosé, précis, brodé, mystérieux, historique. Ce n’est pas un roman c’est autre chose et tant mieux, il y a des photos, le récit est organisé en blocs, mini définitions, envolées poétiques quand il le faut pas plus. Le sujet est très bien résumé dans la quatrième de couverture de l’éditeur et je ne me risquerais pas à plus :
« Fascinée par une boîte de négatifs dont elle a fait l’acquisition sur un marché à Berlin, une femme s’efforce d’en deviner les motifs. À travers les ombres et les contrastes, elle guette les signes qui lui permettent de les dater et y distingue la silhouette d’une autre femme, dont elle imagine l’existence : celle d’une personne ayant grandi sous le régime nazi, formatée par cette idéologie de la « normalité » et de la performance. Mais à cette réflexion sur le conditionnement social, sur la valeur des images, ce qu’elles fabriquent et transmettent, vient se greffer une interrogation sur la propre trajectoire de la narratrice : pourquoi a-t-elle été attirée par cette femme et ces photos ? N’a-t-elle pas elle-même été considérée comme « différente », inapte à interagir avec les autres ? Si les dictatures sont connues pour contraindre les trajectoires individuelles, au nom d’un idéal supérieur, les sociétés contemporaines sont-elles exemptes de critiques quant aux catégorisations qu’elles créent et aux modalités qu’elles imposent ? Au fil de cette double enquête historique et sensible, Sandra de Vivies traque les trajectoires perçues comme non conventionnelles et interroge les possibilités de leur existence. »
Je ne suis pas très fan de la dernière phrase ou alors je ne comprends pas bien cette phrase. Mais de fait Sandra de Vivies compose un récit imposant des interrogations contemporaines filtrées par une enquête historique, littéraire, mémorielle, cela fonctionne de la première à la dernière page sans oubli, sans relâche, suspendu dans une économie de mots, à la limite de la punchline par instants. La Femme du lac c’est deux heures de lecture en continu qui sont le temps d’un trek, d’une enquête contemporaine, d’une immersion dans les pensées d’une femme qui est vivante, cela se lit.
Extrait, page 78 « Les images nocturnes estompent la frontière entre ces deux types de réels, ce qui semble indiquer que l’aspect tangible vient de l’image plus que de l’évènement en lui-même. Si ces images se sont formées dans le cerveau puis mises en mouvement, si elles ont effréné le cœur élevé la température corporelle jusqu’à déclencher la sudation, si elles ont dérangé le balancier de l’inspiration l’expiration mobilisé la voix, si elles ont suscité la peur les hurlements c’est qu’elles sont vraies, du moins que quelque chose fût-ce par elles a vraiment eu lieu. »
Avec son fusil à bioxyde de carbone, Maury Frauenzimmer abattit soigneusement la réclame Nitz qui adhérait au mur situé à l’opposé de son bureau encombré. Elle s’était infiltrée durant la nuit et l’avait accueilli au matin de sa harangue perçante. Philip K. Dick, Simulacres, 1964 (trad. 1973, éd. Calmann-Lévy)
L’année qui vient ne sera pas marrante, on le devine, mais elle sera marron, on nous le dit. Pas marrante, c’est probable avec aux commandes de nos régimes démocratiques ou autoritaires les joyeux compères trop bien connus. Marron, c’est moins attendu mais soyez-en certain, c’est Pantone qui nous l’assure. Chaque année Pantone propose une couleur sensée incarner l’esprit du temps. Cette année ce sera marron ! Rassurez-vous le marron sélectionné pour 2025 n’est pas celui de la boue des tranchées en Ukraine ni celui de la poussière des ruines de Gaza. C’est un marron réconfortant, le marron Mocha Mousse 17-1230. « Savourez des instants précieux rien que pour vous. Empreinte de richesse sensorielle, la couleur PANTONE 17-1230 Mocha Mousse nous inspire à créer des expériences qui dynamisent notre bien-être et notre confort personnel. » Depuis plusieurs jours, quand Maury sort de chez lui, elle est là, dans l’ascenseur. Et quand Maury rentre chez lui, elle est encore là, dans l’ascenseur. Elle porte un grand manteau noir brillant matelassé de la marque Yaya, un genre d’anorak qui tombe jusqu’au genoux. Elle, c’est Maye Musk. Les chinois pensent qu’elle vit en Chine car on la voit partout sur les réseaux sociaux et dans les publicités, mais elle n’habite pas l’immeuble de Maury. C’est simplement un écran vidéo publicitaire installé dans l’ascenseur qui lui serine des âneries et s’impose à ses regards plus facilement que les voisins à qui il tourne le dos, le nez sur la porte automatique en acier inoxydable. Elle est là, et bien sûr elle parle. Impossible d’y échapper. En vendant notre tranquillité quand il a autorisé ces écrans dans l’ascenseur le gérant s’est bien gardé de diminuer d’autant les charges. Triste sort des locataires qui, faute de fusil à bioxyde de carbone, n’osent pas même donner un coup de coude dans l’écran pour détruire les réclames envahissantes. Mais bon, pas grave, Maury a installé sur son smartphone le fond d’écran marron Mocha Mousse qui reflète nos aspirations collectives sous la forme d’une teinte unique et distincte et ça le réconforte. Avec ses cinq narratifs de couleur, via Pantone Connect, Maury est assuré d’être dans le ton. Et bien entendu ce n’est pas le marron déposé par UPS, ni aucune des autres couleurs déjà déposées par Veuve-Clicquot, Mattel, Louboutin, Valentino, Hermes, Nikon, Decathlon, Ferrari, Milka, Tour de France, Tiffany & co, et les autres, sans parler du Vantablack, le noir le plus noir du monde, produit par Surrey Nanosystems, dont Anish Kapoor a acheté l’exclusivité. Comme tout ce qui nous entoure la liste des couleurs est soumise a des droits de propriété intellectuelle. Maury se plaint qu’Orange nous a exproprié d’une couleur sans que personne ne s’en offusque. Il y a des choses plus graves, bien sûr. Mais ça commence comme ça. Le marketing est un vampire qui se nourrit de nos mots comme de nos couleurs et nous en prive. Nous pensons dans son langage manipulé. L’idiome de la croissance. L’idiome des imbéciles, marrons que nous sommes.
Sorti de l’immeuble Maury traverse la résidence et ses alignements de Tesla multicolores. La Gigafactory 3 c’est ici, à Shanghai – jusqu’à 1600 voitures par jour – et comme il n’y a que 4 modèles il y a mille couleurs (c’est la théorie des couleurs de Maury. Fini le sérieux et la respectabilité imposante des voitures thermiques noires ou grises. Les voitures électriques sont de gros jouets silencieux aux couleurs acidulées). Essayez d’imaginer 35 voitures fabriquées chaque heure sur chaque ligne de production. Maury ferme les yeux, il est dans l’usine, deux minutes, il ouvre les yeux, ça y est une voiture est faite. Bon n’exagérons pas, traînent encore quelques thermiques allemandes sous les arbres de la résidence. Des Volkswagen, Mercedes, BMW, Audi et Porche (Maury n’a jamais vu autant de Porche qu’à Shanghai). Mais aussi quantité de BYD, la firme automobile chinoise aux cent dix mille ingénieurs R&D et au million d’ouvriers qui a vendu 4,25 millions de voitures en 2024. Build your dream, build your dreams, build your dreams se répète Maury en lisant sans le vouloir le slogan de la marque à l’arrière de chaque BYD. C’est quand même très malin d’avoir trouvé ce slogan bien après avoir choisi le nom de l’entreprise. Installé en 1995 dans un village du nom de Yadi près de Shenzhen pour fabriquer des batteries, Wang Chuanfu estime que son entreprise sera mieux placée dans les listes si son nom commence par un B. Ce sera donc Bǐyàdí, BYD : B (pour batterie) et YD (pour Yàdí). Ce n’est qu’en 2003 que BYD se diversifie dans l’automobile. Le slogan arrivera beaucoup plus tard. Les premières BYD qui stationnaient dans la résidence vers 2008 portaient un logo copié sans vergogne sur celui de BMW et Maury prononçait leur nom à la française : bide. Mais il se trompait, et pas seulement sur la prononciation. Ceci dit, aucune BYD ni aucune Tesla marron dans les parages. Pantone se serait planté ? Quand il habitait Nice Maury roulait en 504 break marron. Pas vraiment la classe, mais une occasion bon marché. L’été en France c’est une Twingo électrique bleu layette avec 190 km d’autonomie. Un peu juste mais un leasing abordable. Ce week-end à Wuhan Maury n’a vu ni Renault ni Peugeot ni Citroën. On lui dit que Dongfeng Motors a racheté les 3 usines de Stellandis de Wuhan. Bon, tout s’explique, et au fond ça lui est franchement égal.
Ce qui ne lui est pas du tout égal c’est que madame Musk s’infiltre chez lui. Pire qu’une réclame Nitz imaginée par Philip K. Dick il y a soixante ans. Sans être visionnaire Maury est persuadé que les profondes mutations culturelles à venir sont lisibles à la surface du quotidien dans le détail du réaménagement ordinaire de notre environnement. Une opération marketing, un écran vidéo publicitaire dans un ascenseur ou une nouvelle automobile participent au façonnage de nos existences. Une Tesla modèle Y n’est plus une Citroën DS 19 et Maury n’est pas Roland. D’ailleurs il ne dirait pas que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques considérées en tant que créations collectives anonymes, ne serait-ce que parce la Tesla Roadster couleur Midnight Cherry expédiée en orbite elliptique héliocentrique par une fusée Falcon Heavy de Space X en 2018 est signée Musk. Non, l’automobile serait plutôt l’équivalent approximatif d’une sculpture abstraite. L’expérience que la plupart des citadins font de l’automobile est celle d’un gros objet immobile encombrant l’espace public. Ce qui est une définition de la sculpture au moins aussi juste et en tous cas plus contemporaine que celle d’Ad Reinhart datant de l’époque des expositions (« la sculpture est ce dans quoi on se cogne quand on recule pour mieux voir un tableau »). Les milliers de véhicules garés le long des rues sont autant de sculptures offertes à l’appréciation sensible quotidienne des piétons. Étalage de carrosserie sans cesse renouvelée et jugement esthétique toujours renégocié. On pourra au moins reconvertir les centres d’art en parking quand les subventions culturelles ne seront plus qu’un vieux souvenir de 2024.
Quoi qu’il en soit, subventions ou pas en 2025, Gros-Jean comme devant, nous sommes marrons !
Le monde ne va pas bien. L’impression depuis des années d’atteindre le pic mais comme celui des hydrocarbures il est sans cesse repoussé, la stupidité humaine ne semble pas posséder de limites. Après la première guerre mondiale le monde ne va pas bien non plus et l’immersion que nous propose Antonio Scurati est d’une puissance fascinante.
Version 1.0.0
1919
Oui, comme il serait bon de se réveiller à l’aube et d’envoyer tout au diable, de monter dans un coupé rouge et de marcher sur Rome à la tête de la nouvelle génération, d’une colonne de combattants, de jeunes gens de vingt ans, d’Arditi ! Le délire violent du poète est séduisant, magnifique – on en a les larmes aux yeux -, mais il n’a rien à voir avec la politique. La politique requiert le courage grossier et mauvais des combats de rue, non le courage aérien des charges de cavalerie. La politique, c’est l’arène des vices, non des vertus. Elle n’a besoin que d’une vertu, la patience. Pour arriver à Rome, il faudra d’abord interpréter cette parodie sénile, se faire entendre du sanhédrin des vieillards, cette demi-douzaine de gâteux, de naïfs et de canailles qui gouvernent le monde.
2025
M, l’enfant du siècle d’Antonio Scurati, 2018, 2020 pour la traduction française parue chez Les Arènes, 1090 pages est une plongée saisissante dans l’Italie de 1919 à 1924, retraçant la prise du pouvoir de l’Italie par Bénito Mussolini. Deux autres tomes forment la saga historico-politico-littéraire M, l’homme de la providence (2021) et M, les derniers jours de l’Europe (2023).
1920
« Ici, on se prépare à accomplir le crime. Es-tu prêt à envahir avec tes hommes préfectures et commissariats ? » L’appel des assiégés que renferme une lettre parvenue à Milan est dramatique. La brume enveloppe la capitale lombarde depuis deux jours, les plus froids de l’année. Le givre se dépose en écailles sur les toits des voitures garées le long du trottoir. La veille de Noël, Mussolini pénètre au siège du faisceau, la lettre de D’Annunzio dans la poche intérieure de sa veste.
2025
Élans populistes, nationalistes, d’hyper et d’extrêmes droites sont eux aujourd’hui en pleine progression, le monde ne va pas bien. Antonio Scurati s’incruste dans la tête des milliers de personnages qui forment cette saga en trois volumes et bien sûr on ne peut s’empêcher de penser à des situations, des contextes, des tournures similaires avec l’époque contemporaine.
1921
Les fascistes sont jeunes, ils n’ont pas d’histoire -il l’a écrit le matin même dans le Popolo d’Italia – ou peut-être en ont-ils trop. Et pourtant, il y a des jours où les anniversaires donnent le frisson de la conspiration cosmique, comme si un dieu sanguinaire et stupide choisissait avec une cruauté parfaite les dates du destin sur le calendrier du siècle. Deux ans plus tôt exactement, lui, Mussolini, fondait les Faisceaux. Ils ne rassemblaient alors qu’une poignée d’hommes, aujourd’hui ils sont très nombreux.
2025
Elon Musk estime que l’AFD est la dernière lueur d’espoir pour l’Allemagne. Cela a le mérite d’être clair.
1922
C’est l’obscurité qui a donné le signal. À 18 heures, l’éclairage public, saboté par un squadriste, s’est éteint subitement dans toutes les pièces de la préfecture de la petite ville lombarde et dans les rues voisines. À ce signal, environ soixante-dix squadristes ont pénétré dans le bâtiment sur l’odre de Roberto Farinacci. Les carabiniers et les gardes royaux qui servent dans cette province cédée aux fascistes depuis des années ne leur ont guère opposé de résistance.
1923
La masse est un troupeau, le siècle de la démocratie est achevé, la masse n’a pas d’avenir. Les instructions du Duce sont claires. Laissés à eux-mêmes, les individus s’agglutinent en une gélatine d’instincts élémentaires mû par un dynamisme apathique, fragmentaire, incohérent.Bref, ils ne sont que matière.
2025
L’impossibilité des gauches européennes a se réunir pour formuler un projet cohérent et fédérateur a donné, donne et donnera le pouvoir aux droites extrêmes, populistes, disciplinaires.
1924
On raconte que, lors de son voyage en Angleterre, Matteotti a rassemblé les preuves des graves irrégularités commises par le gouvernement dans concession pétrolifère à Sinclair Oil. Le député socialiste se préparerait à les exposer publiquement lors de la séance parlementaire du 11 juin, consacrée à la discussion de l’exercice provisoire du budget.
1 – « Écrire à Tokyo » a débuté en juillet 2020. Quelles étaient vos motivations initiales pour créer ce groupe et comment ont-elles évolué au fil des années ?
EàT est né au cœur de la période de la Covid à Tokyo, où le confinement était massivement mental, le confinement physique n’étant légalement pas applicable. Il y a eu très peu de temps entre l’exposition de l’idée entre Julien Bielka et Lionel Dersot, et le lancement de la dynamique de réunions mensuelles. Tout s’est fait très vite, bien que les détails soient déjà dilués dans la légende. EàT a profité de la Covid et du besoin conséquent de certains de sortir du marasme en s’engageant à participer, la garde assez baissée dans des circonstances d’abord mentalement difficiles. Les premières sessions ont été émotivement chargées, l’écriture devenant un prétexte à se confier, y compris devant des inconnus puisque tous les participants ne se connaissaient pas nécessairement. Ensuite la Covid prenant moins d’importance, la participation s’est normalement décantée mais le fond de bienveillance initiale, totalement imprévu et impensé, demeure. Nous sommes probablement passé d’une quasi vingtaine de participants d’origine à une dizaine au mieux, mais le nombre n’est pas le sujet.
2 – Vous mentionnez que « Écrire à Tokyo » n’est « ni un réseau, ni une association, ni un organisme, ni un collectif ». Comment décririez-vous alors la structure et l’organisation du groupe, et qu’est-ce qui motive ce choix de « dés-organisation » ?
(Lionel Dersot). Personnellement, j’ai été très marqué dans l’enfance par le feuilleton américain Mission Impossible, la version d’origine, pas les séquelles progressivement affligeantes. Cette réunion d’électrons libres immédiatement opérationnels autour d’une mission, qui se séparent une fois le job donne avait un charme fou. Et l’a encore. Se réunir pour faire façon Hannah Arendt recèle un potentiel puissant de devenir, la difficulté à l’usage étant de continuer à s’investir, l’investissement étant absolument un choix personnel. Dans ce sens, la dés-organisation est le meilleur terme – à défaut de mieux – pour évoquer même si en sourdine cette nécessité à mon sens de se démarquer en affirmant la liberté de chacun, mais en restant ferme sur le principe qu’il n’y a que la participation qui fait sens et carburant de la dynamique. C’est aussi pour cela par exemple qu’il n’y a pas d’inscription préalable aux sessions et l’on ne sait vraiment pas exactement qui va participer à chaque fois. Et c’est bien ainsi. L’engagement sans liste est la preuve d’un engagement voulu par l’individu. Le groupe n’existe alors essentiellement que dans le moment de la session et bénéficie de cette volonté de chacun. L’organisation demeure essentiellement pratique, un sujet, une date, une heure.
(Kazuaki Miyagishima). Je le vois comme un rassemblement d’insectes méliphiles autour d’une fleur. En fonction de la saison, la fleur change et les abeilles sont attirées par elle mais il y a toujours quelque chose en commun en bourdonnements. Et tout ça dans un écosystème de l’écriture.
3 – Votre groupe se distingue par son rejet du « fétichisme endémique dont la chose Japon est l’objet ». Comment cette position se traduit-elle concrètement dans le choix des thèmes abordés et dans les discussions au sein du groupe ?
Au départ, avec des ressentis d’intensité variable selon les individus, se trouvait un certain malaise vis-à-vis de ce qui est publié sur et autour du Japon, grosso modo à partir de l’après Seconde Guerre Mondiale, jusqu’au moment présent qui dans les lettres françaises est de l’ordre du Japonisme 3.0 à fond mercantile. Ce qui est publié exclut la production universitaire mais concerne ce que l’on peut nommer la littérature “grand public”. Les thèmes d’origine de EàT ont été à mon sens des prétextes pour relever les manches et s’arcbouter à la tache de désosser l’animal contemporain nommé “cette passion si française pour le Japon”, dans le domaine des lettres. Très tôt, nous avons évoqué au début avec maladresse en tout cas, mais rapidement avec plus de finesse et de regard stratégique au fur et à mesure que les affects de ce malaise se dissolvait, la nécessité de ne pas tomber dans le piège de l’ironie critique en boucle. Dès lors que les grandes lignes très répétitives des formules et des contextes d’écritures autour du Japon étaient à peu près délimités, il s’agissait de ne pas s’y attarder mais de partir ailleurs, car affirmer vouloir penser d’autres récits nécessite de passer avec célérité à des stades suivants de réflexion, et d’action. Il est apparu par exemple récemment que l’écrivant allochtone au Japon n’est pas tenu d’écrire sur le Japon. Cet énoncé tarte à la crème peut paraître évident, une fois énoncé seulement. Tant qu’il n’est pas dit clairement, et à haute voix, il constitue un non-dit délétère pour ce qui est de l’effort de penser – et d’écrire – d’autres récits. Aussi, nos vies d’allochtones ou pas sont tellement percutées d’intrants géographiquement autres et multiples que se buter sur le principe qu’il me faille écrire sur Tokyo parce que j’y habite est une contrainte à la fois prétentieuse et ridicule. En conséquence de quoi, nous tentons de nous immiscer dans des thématiques où le couple Tokyo-Japon peut ou ne pas apparaître sans que cela soit un problème. Il suffit d’annoncer la couleur : il n’y a pas que le Japon dans nos vies. Un prochain thème que l’on va aborder est l’IA et la poésie. Comment situer géographiquement ce sujet n’est qu’une petite question parmi d’autres. Je pense que nous avons encore beaucoup de travail pour se démarquer de l’obligation “par nature” de penser le Japon et Tokyo comme des incontournables. La mobilité du quotidien, au moins mentale si pas physique, est inévitable et une source de richesse, diversions et échappatoires.
4 – La « résidence d’écriture mobile » est un concept original. Pouvez-vous nous en dire plus sur son fonctionnement et son impact sur les participants ? Y a-t-il eu des collaborations ou des œuvres littéraires nées de cette expérience ?
Une résidence fonctionne sur l’à-priori de l’existence d’un lieu. En l’absence d’un lieu, on range l’idée dans le tiroir des nice to have et on l’oublie. Sauf dans ce cas présent. La question étant comment envisager une résidence hors lieu, la réponse devient alors évidente : pour Tokyo, le lieu est bien évidemment le territoire de la ville, territoire d’une multiplicité de lieux auxquels s’attachent des ressentis et vécus personnels et singuliers dont certains éléments peuvent être offerts à l’écrivant de passage. Ce que je nomme par exemple des savoir-ville. Bien sûr, ce concept de résidence d’écriture sans lieu dédié mais riche de lieux prend tout le monde à contre-pieds (mais putain ! sortez des quatre murs !). Il faut, il faudrait à EàT la rencontre fortuite et heureuse d’un mécène de type noble florentin de la Renaissance. On n’en a pas encore croisé mais ce n’est pas l’essentiel. En attendant oui, il y a eu une seule expression d’intérêt, ou plus exactement une expression de déroute des sens émanent d’un jeune français qui a eu l’audace, le courage donc d’entrer en contact, pour signifier sa curiosité et son incompréhension. Cette valeureuse personne qui se trouve actuellement au Japon mais pas à Tokyo n’a pas donné suite, mais se trouve être sans le savoir lui-même un véritable pionnier dans l’acte pas anodin d’entrer en contact pour s’enquérir. C’est extrêmement rare de nos jours où les applis ont réponses à tout qui permettent l’évitement de la rencontre. Il y a des idées mais qui en reste à ce stade d’idée actuellement mais les énoncer est un pas important. Il faut énoncer les choses et EàT a d’abord cette fonction. Par exemple, la ville (de Tokyo ou d’ailleurs) étant un élément singulier majeur et redondant des discussions, j’ai évoqué pour ma part un projet-souhait d’un ouvrage à deux : deux personnes ne se connaissant pas résidant l’une à Tokyo, l’autre à Berlin (ou ailleurs) s’engagent dans un dialogue épistolaire à présenter à l’autre sa ville. Ce serait au départ, par exemple, un blog à deux voix, avec un ouvrage à la clé. La résidence d’écriture issu de cette expérience pourrait être un voyage réciproque dans la ville de l’autre, chacun étant lesté déjà d’une vision bien entendu non-touristique et non-extatique (la passion est un poison) de la ville de l’autre. Une suite de l’expérience – Maintenant, j’ai vu ta ville – permettrait d’aller encore plus loin dans ce chassé-croisé de ressentis et d’affects transmis via l’écriture.
5 – Vous avez publié un recueil d’écrits d’auteurs indépendants en 2024. Quels sont vos projets éditoriaux pour l’avenir ? Envisagez-vous de créer une maison d’édition « Écrire à Tokyo » ?
Là encore, le mécène renaissant serait bienvenu d’apparaître car autant la résidence d’écriture d’EàT dans son évocation actuelle n’a pas besoin d’un lieu et d’un budget associé, autant une maison d’édition engage à une entreprise capitaliste où l’argent et les volontés sont indispensables. Mais on peut écrire avant cela.
6 – Quelles sont les ambitions du groupe pour 2025 ? Y aura-t-il de nouveaux thèmes ou de nouvelles initiatives ?
L’ambition première est de perdurer, donc 12 sessions pour 2025. Il est tellement facile de se laisser aller à la paresse du désengagement. Sur les thèmes, il s’agit de d’exploiter le surcroît de lucidité que l’on se situe d’abord dans une approche “amateure” de l’écriture – ce qui n’est ni un stigmate ni un aveu de dé-légitimité – pour investir ou s’inspirer de sujets et accroches exposés par exemple dans les études littéraires académiques. Il n’y a aucune raison de ne pas piocher dans la marmite de ce que concocte avec une fermeture absolue et cool des sites comme Fabula, par exemple. En tant que source d’idées, les annonces de colloques sont riches de morceaux et pistes à accaparer comme des pirates incultes. Nulle jalousie ou mépris dans ce qui précède, mais aussi aucune génuflexion ou fétichisme, de même que pour Tokyo et le Japon.
NB : “La paresse du désengagement” tout comme le désengagement stratégique qui consiste à ne pas ou plus vouloir participer pour éviter d’être associé à ce truc déplaisant nommé EàT. Mais il ne s’agit pas de tomber dans la stigmatisation mièvre de ce type de personnes, mais au contraire souligner que le top de la lucidité et du courage pour un écrivant serait d’être capable d’énoncer – encore une fois, il faut dire les choses pour passer à autre chose – qu’une partie de sa “production” est clairement à des fins alimentaires – faut payer le loyer – et de stratégie de présence dans un milieu de spectacle qui rapporte, qui n’empêche pas en parallèle de participer à une dynamique de bons à rien comme EàT. Rares sont de tels participants qui demeurent mais il y en a, difficilement.
7 – Les rencontres « Écrire à Tokyo » se déroulent en ligne. Pourquoi ce choix et envisagez-vous des rencontres physiques à l’avenir, notamment à Tokyo ?
Tous les participants ne se trouvant pas à Tokyo, il n’est pas possible hélas de se faire un grand évènement de 45 000 personnes dans un stade survolté, mais un peu plus d’occasions proposées et mises en acte de boire un coup ensemble ont déjà eu lieu récemment, et auront lieu peut-être plus, mais avec spontanéité, au cours de 2025. La spontanéité a prouvé plus d’une fois déjà qu’elle est l’énergie la plus pure pour faire que quelque chose ait lieu.
8 – Qui sont les « concierges résidents » et quel est leur rôle au sein du groupe ?
Ils méritent à juste titre d’être ignorés, ne servant à rien sinon. qu’à perpétuer l’idée qu’il y aurait a Tokyo une loge dédiée qui s’ent le pot au feu de chou rance alors que ces dames sont dans l’escalier. Que les concierges passent l’aspirateur pour couvrir le bruit de leurs élucubrations vaines est tout ce que l’on peut souhaiter pour 2025.
9 – Comment les personnes intéressées peuvent-elles participer à « Écrire à Tokyo » et quelles sont les conditions de participation ?
C’est donc – si vous avez suivi – le grand secret d’EàT : pour participer, il suffit de le vouloir.
10 – Le groupe « Écrire à Tokyo » semble attirer des participants d’horizons divers. Quel est le profil type des participants et qu’est-ce qui les rassemble ?
Profils multiples et singularités plurielles borderline folie douce. Ce qui les rassemble est l’envie d’y être.
Le 26 décembre la série Squid game saison 2 inonda le monde. Tellement attendue. La série Squid game nous dit si tu es endetté tu ne vaux plus rien (on parle d’individus pas d’États :)). La série Squid game nous dit les incompétents au capitalisme ne sont rien, que de la chair à rire pour des VIP hyper-diaboliques qui se délectent de leurs morts dans des jeux. Dans la vraie vie les incompétents au capitalisme ne sont rien, que de la chair à aides sociales qu’il faut remettre au travail, les libertariens, eux, souhaiteraient entamer une nouvelle phase de délaissement. Mais même chez les incompétents au capitalisme la performance reste de mise, la motivation intacte, le capital win toujours présent même au bord du sur-endettement ou de la mort.
Un événement mondial du divertissement qui ne dit rien, rythmé par des meurtres (des éliminations) et des bribes de vie des candidats incompétents au capitalisme. La performance, la réussite financière, la prise de risque ou devenir des loosers qui ne tentent rien donc peuvent mourir. C’est long, larmoyant, filmé avec les pieds, mal joué, mais une esthétique, des meurtres en cascades et des pensées profondément sociétales accrochent les télespectateur.trice.s. Squid game est l’héritier massifié de Battle royale. La saison 2 de Squid Game est une demie-saison, la suite est en post-production et arrivera en mi-fin 2025 pour découvrir enfin si les méchants VIP compétents en capitalisme vont devoir fermer définitivement leur Colosseo.
La question du vote, nouveauté de la saison 2, après chaque épreuve iels peuvent voter pour arrêter ou continuer le jeu (le massacre). Et … ??? iels s’arrêtent pas les pignoufs (1. la série partirait en sucette 2. les symboles développés ne fonctionneraient plus puisque dans la jungle capitaliste il faut prendre tout les risques pour vraiment réussir). Quand les candidats du Squid game votent vous pouvez, suivant votre pays, imaginer vos représentants en train de censurer un gouvernement, et comme c’est toujours à une ou deux voix près, le suspens est à son comble, magie du vote démocratique.
25 décembre place Stalingrad, départ à pieds à 1H02 puis Jaurès, Belleville, Couronnes, Père Lachaise, Nation, Michel Bizot, 2h25 je traverse le bois de Vincennes pendant seize minutes (de Porte Dorée à Charenton) je rentre chez moi, je marche d’un pas soutenu, il faut nuit noire, un bois c’est toujours impressionnant la nuit même entouré de villes. Les cirques pelouse de Reuilly fournissent de la lumière pendant quelques minutes, je croise deux silhouettes, attentif je suis, le dernier kilomètre est le plus long mais une descente dans Charenton me redynamise quelques minutes, il n’y a personne, aucune voiture en feu, aucun groupe de fêtards en quête de destinations improbables, je longe le gymnase Tony Parker (moins de 600 mètres de chez moi) deux corneilles se dispute des traces de graisse sur un emballage en polystyrène de Donner kebab, je leur dit bon app, j’emprunte la passerelle entre Charenton et Alfortville (1897 refaite en 1952) à la confluence de la Marne et de la Seine, c’est beau deux fleuves la nuit.
Fin décembre 2024 c’est aussi la sortie de Gladiator II, retour au Colosseo et si vous voulez absolument ne rien apprendre sur Rome et les Romains vous pouvez regarder ce film d’une stupidité colossale avant ou après Squid game
2h37, dans ma rue, encore 300 mètres, je suis vanné mais je dois réussir cette épreuve, pas d’adversaire en vue, le bitume glissant ne se prêterait pas de toute façon à l’action ou la course, pas besoin de performer donc, de se la raconter, juste enchainer des pas, moins espacés, tout aussi efficaces, l’épreuve touche à sa fin, je semble être qualifié pour la prochaine saison.
À propos du livre de Martin Le Chevallier, Répertoire des subversions. Art, activisme, méthodes, Zones, 2024.
Dans un entretien publié en 2017 dans les Cahiers du cinéma, Jonas Mekas répondait ainsi à la question « quel est le rôle de l’art ? » : « Résister, tout simplement, et poursuivre la magnifique œuvre que nous ont laissé les grands artistes et poètes du passé ». Avec son Répertoire des subversions, Le Chevallier nous invite à nous réinscrire dans une histoire des résistances, contre l’amnésie collective et autres tentatives de diversions.
Qu’un artiste et enseignant chercheur décide, aujourd’hui, de publier un «répertoire des subversions », ne peut qu’attiser la curiosité, à une époque où l’on juge passée de mode la transgression des règles, propre aux dites « avant-gardes ». La petite musique est désormais bien connue : dans notre monde, il serait inutile de retourner ou « renverser » (subvertere) quoi que ce soit puisqu’il n’y aurait pas d’alternatives possibles au capitalisme tardif qui disposerait, en outre, de cette surprenante capacité à digérer tout acte de résistance à son égard. Bref, exit la croyance, pour les artistes, en leur capacité à « changer le monde ».
♦ FAIRE UNE GRÈVE GÉNÉRALE. En théorie, une véritable grève générale provoquerait l’effondrement du capitalisme. Chiche ? […]
Le Répertoire des subversions conçu par Martin Le Chevallier et publié sous le label « Zones » des éditions La Découverte (et accessible entièrement en ligne à ce lien), vient placer un sabot dans l’engrenage de ce récit. Sous-titré art, activisme, méthodes, il rassemble, sous la forme d’un inventaire composé d’une liste alphabétique de verbes, eux-mêmes subdivisés en une série d’exemples, l’histoire de ces gestes, mineurs ou majeurs, à l’initiative d’artistes ou d’activistes plus ou moins anonymes, qui ont un jour décidé de résister à une autorité, et ce depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours ! L’intention de l’ouvrage, particulièrement ambitieuse, est affichée en quatrième de couverture :« À la fois boîte à outils, ouvrage de référence et promenade facétieuse, cet inventaire rend hommage à celles et ceux qui désirent agir plutôt que subir. Et invite à en faire autant. » Un « répertoire » ayant pour vocation à être utilisé, chacun en fera l’usage (et la lecture) qui lui convient et pourra ainsi juger de l’effet produit. La lecture des plus de 1200 exemples invite à une réflexion sur la porosité de différents types d’engagement, et sur la portée d’actes a priori symboliques dont personne n’était en mesure de prédire l’avenir. Plutôt revigorant dans le marasme politique actuel !
♦ JETER DE L’ARGENT DEPUIS UN HÉLICOPTÈRE (PROPOSER DE). La politique économique consistant à verser de l’argent directement aux citoyen·nes, notamment pour lutter contre la récession, est appelée « monnaie hélicoptère ». En 2000 en Italie, invité à créer une œuvre pour une exposition à Pescara, l’artiste français Matthieu Laurette propose de jeter, depuis un hélicoptère, le budget qui lui est confié. Refus (The Helicopter Project/The Money Rush).
Qui connaît le travail de l’artiste ne sera, en revanche, pas totalement surpris par cette intention. Ce Répertoire des subversions, certainement né d’une nécessité de mieux situersa pratique (peut-être à un moment de doute sur l’efficacité de l’art exposé en galerie et musée ?), aurait pu accueillir certaines de ses œuvres. Sa série deProjets refusés (ou la stratégie du râteau) [« Proposer à des entreprises des projets difficilement acceptables »] qu’il poursuit depuis 2014, ses interventions urbaines d’Ici, autrefois (2020) imaginant le monde de l’après-covid [« Annoncer la fermeture définitive d’un commerce non essentiel à l’occasion d’une crise sanitaire »], ou encore L’Audit (2008) [« Se faire auditer en tant qu’artiste »] y trouveraient, en effet, tout à fait leur place. Ce répertoire lui permet de s’inscrire dans une histoire des résistances, d’en cartographier les différents acteurs, et de s’interroger sur les affinités de sa pratique exercée dans le champ de l’art, avec d’autres qui ne s’inscrivent a priori pas dans cette perspective.
♦ FAIRE GALOPER L’INFLATION. Le 7 novembre 1988, pour figurer l’hyperinflation que subit la Pologne,Krzysztof Skiba et quelques autres artistes se munissent de pancartes portant l’inscription « Inflation » et descendent en courant la principale rue de Łódź. La milice stoppe alors cette inflation galopante (Galloping Inflation). […]
♦ FAIRE UN TIERS. De 2006 à 2009, l’artiste français Yann Vanderme fait 33 % de toutes sortes de choses : il fait couper 33 % de ses cheveux, voit 33 % d’un film, compose 33 % d’un numéro de téléphone, etc. (Faire les choses à 33 %).
Si quelques-uns des exemples évoqués dans l’ouvrage en sont restés au stade d’intentions, portant alors la réflexion sur les motivations du refus (« Envoyer un africain sur la Lune », « Jeter de l’argent par les fenêtres », « Montrer la mort », etc.), la plupart des autres décrivent des actions réalisées par des individus afin de produire un effet dans leur monde.
♦ LEURRER LES MOTEURS DE RECHERCHE. À partir des années 2000, les moteurs de recherche en savent beaucoup sur les internautes grâce à l’observation de leurs requêtes en ligne. En 2006, les chercheur et chercheuse états-uniens Daniel Howeet Helen Nissenbaum mettent au point « TrackMeNot », un outil permettant de perturber cette surveillance par l’ajout de nombreuses recherches fictives. Ainsi, si une personne s’intéresse aux problèmes d’érection, ses recherches seront noyées parmi d’autres, portant sur l’éducation des chihuahuas, la physique quantique ou le débouchage des éviers. […]
Le sérieux de la mise en forme contraste avec l’humour dont fait preuve l’auteur dans l’effet de surprise produit par la lecture de l’intitulé de l’entrée principale (un verbe-méthode comme « Demander ») suivie de celle des exemples qui viennent l’illustrer, passant du coq à l’âne (« Demander le rattachement la Belgique au Congo », « Demander moins de douches », etc.,), dans les titres de certains de ces exemples (« Résister avec des résistances » n’équivalant pas à « Saboter avec des sabots »). On le retrouve encore dans l’enchaînement même de deux exemples qui n’auraient a priori rien – ou tout – à voir (« Semer du blé à New York » est suivi de « Semer des doutes »), dans l’originalité d’un exemple, ou encore dans la description, particulièrement synthétique, des histoires. L’humour de l’auteur résonne ainsi avec celui déployé par de nombreux acteurs présentés, arme imparabledans certaines situations où les rapports de force sont inégaux. C’est cet humour que l’on retrouve, par exemple, chez le collectif « Sauvons les riches » (dont on découvre la source américaine à l’entrée « Soutenir la droite »), ou encore les « manifs de droite » menées par La Brigade activiste des clowns et le ministère de la Crise du logement. Cette stratégie de l’humour, proche de celle développée par un François Ruffin dans son documentaire Merci Patron ! en 2016 (cas non cité qu’on se permet d’ajouter), contrebalance ainsi la structure prévisible de l’abécédaire et l’effet autoritaire du verbe à l’infinitif.
♦ OFFRIR TOUT LE MAGASIN [1]. Dans les années 1960, le collectif anglais anarchiste King Mob fait imprimer des affiches proclamant « Free shopping day » et le placarde à l’entrée de grands magasins. Les affiches précisent que les client·es peuvent emporter, sans payer, un plein chariot de marchandises. Une autre fois, déguisés en pères Noël, ils dévalisent les rayons d’un supermarché de Londres et offrent les articles aux enfants.
♦ OFFRIR TOUT LE MAGASIN [2]. En 2003, le collectif d’artistes danois Superflex met en place la gratuité dans un magasin de Tokyo (Free Shop). Aucune annonce ni explication ne sont fournies. La durée de l’opération n’est pas divulguée. Lorsque les client·es arrivent à la caisse, le total de leurs achats s’élève à zéro.
♦ OFFRIR TOUT LE MAGASIN [3]. À Toulouse, les employé·es d’un supermarché font grève et laissent les client·es tout emporter.
♦ OFFRIR AU MAGASIN. En 1995, l’artiste français Pierre Huyghe entre dans un supermarché, se dirige vers le rayon des livres, sort furtivement un volume de sa poche, le dépose sur la pile, puis s’enfuit. L’œuvre, susceptible de fausser l’inventaire du commerçant, s’intitule Dévoler.
C’est bien la diversité et la richesse des récits de résistance qui frappent en première instance, dans cet étonnant inventaire. On revisite certes des cas connus, mais on peut également découvrir des actions pas (ou moins) connues de personnes connues ou de parfaits anonymes. On alterne entre des intitulés faisant référence à une action située (« Protéger la Russie avec une craie »), et d’autres plus génériques (« Déplacer un musée », pour présenter le Musée Précaire Albinet de l’artiste Thomas Hirschhorn dont on vient de célébrer les 20 ans et qui a bien dû inspirer, par la suite, le Centre Pompidou mobile des années 2009-2013).
La « voie balte », 23 août 1989
♦ SE DONNER LA MAIN. Le 23 août 1989 dans les pays baltes, près de 2 millions de personnes (soit un tiers de la population) se donnent la main pour former une chaîne humaine et réclamer ainsi l’indépendance de leurs pays. Cette chaîne humaine, allant de Vilnius à Tallinn en passant par Riga, sera appelée la « voie balte »
Certaines entrées décrivent des gestes relativement simples à mettre en oeuvre (« Éteindre la lumière », « Se donner la main », « Insulter ses maîtres », etc.) quand d’autres renvoient, au contraire, à des dispositifs élaborés, comme ce « système d’usurpation de géolocalisation qui permet d’être localisé.e dans la piscine de l’un des magnats de la collecte de données », conçu par l’artiste Adam Harvey (Data Pools, 2016, à l’entrée « Envahir une piscine »).
♦ RESTER ASSISE. Le 2 mars 1955 dans l’Alabama, Claudette Colvin, une jeune fille noire âgée de 15 ans, s’assoit dans un bus pour se rendre à l’école. Lorsque le chauffeur du bus lui demande de se lever pour laisser la place à un passager blanc, conformément à la loi, elle refuse. Le chauffeur appelle la police qui, face au refus persistant de l’adolescente, l’arrête et la met en prison. Elle sera ensuite condamnée pour agression sur agent de police.
Si certaines personnes ou collectifs bien connus figurent dans ce livre (Les révolutionnaires français.e.s, les Suffragettes, La Barbe, les Femen, etc. ; les artistes Hans Haacke, Valie Export, Julien Prévieux, Matthieu Laurette, Jérémy Deller, les Yes Men, etc.), le Répertoire fait également découvrir des personnes qui le sont moins, et certaines anonymes : un développeur informaticien, Claudette Colvin refusant dans un bus de laisser sa place pour un Blanc, dans les années 1950 aux Etats-Unis, avant la fameuse Rosa Parks (mentionnée en note), et des artistes comme Julien Berthier, Christian Jankowski, Nina Katchadourian, Leopold Kessler, Kateřina Šedá, Mierle Laderman Ukeles, ou le Laboratoire de tourisme expérimental (Latourex), qui traversa la France en ligne droite en 1991. Le Chevallier fait ainsi le choix de privilégier les premières occurrences, occasion aussi méditer sur la notoriété d’un.e tel.le.
♦ SE BAIGNER DANS UN CANAL. Le 21 septembre 2013 à Venise, un groupe d’activistes nagent dans le canal de la Giudecca, empêchant le passage des navires de croisière géants. Cette périlleuse baignade leur vaudra de lourdes amendes. Mais, le soir même, la ministre de l’Environnement proposera d’interdire la traversée de la Sérénissime aux monstrueux paquebots.
Le livre suscite un certain nombre de questions : qu’est-ce qui distingue fondamentalement l’action d’un.e artiste de celle d’un.e activiste dès lors que son action prend place dans l’espace public ? Qu’est-ce qui participe de l’efficacité ou de la viralité d’un geste de résistance ? Que penser de la récupération et du détournement de certains de ces gestes par d’autres, comme par exemple, dans le cas d’une rumeur médiatique (ce qui a conduit le collectif Wu Ming 1, ancien Luther Blissett évoqué par ailleurs dans le livre à « Lancer une rumeur médiatique », à publier en 2022 Q comme complot) ?
♦ HÉBERGER. Au XVIII siècle en France s’amorce le contrôle des étrangers. En juin 1772 à Bordeaux, le portefaix Pierre Bernon, dit l’Espérance, héberge, sans les déclarer, des migrant·es venu·es de Touraine, de Saintonge ou du Languedoc. Son sens de l’hospitalité lui vaudra une amende.
On peut évidemment s’interroger sur la pertinence de tel ou tel exemple retenu, qu’on ne rapportera pas à un cas de « subversion », même s’il ne manque pas de poésie, comme l’évocation du projet A Modified Threshold … (for Münster) Existing church bells made to ring at a (slightly) higher pitch de l’artiste Cerith Wyn Evan dans « Refroidir les cloches ». Ces cas sont cependant plutôt rares, et reprocher un manque de rigueur scientifique à son auteur – qui précise, par ailleurs, dans sa note introductive », avoir fait le choix de privilégier « des motivations généreuses, des tactiques non violentes et des oeuvres dont le sujet n’est pas l’art, mais l’espace public avec lequel elles interfèrent » – est ici hors sujet. Car là n’est pas l’enjeu. Cet assemblage hétéroclite d’actions artistiques à d’autres qui ne prétendent pas l’être, nous invite certes à réfléchir à la signification de ce terme de « subversion » – à l’issue de la lecture, on lui préfèrera toutefois le terme de « résistance » – et à ce que « résister » veut dire en différents lieux et époques, mais aussi et surtout à bien identifier, dans les exemples choisis, les forces et valeurs en présence, comme les moyens employés pour résister aux dominations.
♦ TOUT MONTRER. De 1996 à 2003, l’artiste états-unienne Jennifer Ringley diffuse en direct sur Internet, au moyen de webcams, tous les instants de sa vie chez elle. [→ Voir aussi « saturer la CIA »]
♦ NE RIEN MONTRER. En 1969, l’artiste états-unien Robert Barry envoie des invitations pour des expositions à Los Angeles, Amsterdam et Turin, tout en précisant que les galeries concernées seront fermées (Closed Gallery Piece). [→ Voir aussi « inviter à des expositions qui n’existent pas »]
Les verbes et les quelques mots qui les accompagnent (comme par exemple “Fleurir une tombe”) sont la plupart du temps insuffisants à détailler les acteurs, le contexte ni les destinataires de l’action, qui lui donnent sens en un lieu et à une époque donnée. À « Montrer son sexe » peut ainsi succéder l’exemple « Ne pas montrer son sexe ». Qu’une intention soit donc étouffée dans l’oeuf, qu’une action réalisée n’en reste qu’à sa portée symbolique ou, au contraire, ait une incidence significative sur la société, l’auteur livre un hommage à l’ingéniosité humaine, quelle que soit, au final, l’issue de l’action envisagée, et indifféremment au fait qu’un artiste ou un activiste (parfois les deux) en soit à l’origine. « Ajouter », Annoncer », « Brandir », « Cacher », « Colorer » « Déplacer », « Détourner », « Détruire », « Être nu », « Faire un faux », « Infiltrer », « Offrir », « Révéler », « Vendre » ou encore « Voler », entrées les plus fournies, constituent alors ces « méthodes » partagées par les artistes et activistes. Mais ce sont deux stratégies opposées, maximalistes ou minimalistes, portant sur la visibilité de l’action envisagée, qui ressortent avant tout comme approches potentiellement communes aux artistes comme aux activistes. Et au-delà de certaines parentés formelles, voire d’esprit, c’est plutôt l’unicité et l’irréductibilité de chaque acte né de circonstances bien singulières (cette inventivité), qui marque le lecteur.
Certaines actions relevant de l’art et/ou de l’activisme seront certes connues du lecteur (« entarter », « perruquer », etc.), mais, confrontées à d’autres, sans hiérarchie, ils participent d’un programme plus large, constituant une sorte de communauté de résistants agissant « avec courage, humour et poésie », comme on a aussi pu le voir dans l’exposition Volcanic Excursion (A Vision) deDominique Gonzalez-Foerster en 2021, au Palais de la Sécession à Vienne, à même de redonner foi en l’action individuelle comme collective par leur faculté à (parfois) déplacer des montagnes. Le Chevallier invite d’ailleurs, en fin d’ouvrage, à lui communiquer d’éventuels manquements qu’on jugerait pertinents et qu’il se propose d’intégrer dans une réédition, afin d’élargir cette assemblée combative imaginaire.
♦ AFFICHER SAUVAGEMENT. Au XVI siècle, l’apparition de l’imprimerie facilite le développement de l’affichage sauvage. Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, des protestants collent ainsi dans Paris des « placards » anticatholiques. En réaction à ces affichettes virulentes, le roi François Ier ordonnera des exécutions et instaurera le monopole royal sur l’affichage public. […]
♦ FAIRE LA GRÈVE DANS UNE NÉCROPOLE. Au XII siècle avant Jésus-Christ en Égypte, les ouvriers bâtissant des tombes de la vallée des Rois sont affamés. Ils décident de cesser le travail. Face à cette grève – la première connue des historien·nes –, les autorités rétabliront un approvisionnement régulier en blé. […]
♦ OFFRIR DES FLEURS. En 1965, le poète états-unien Allen Ginsberg suggère aux manifestant·es d’offrir des fleurs à la police venue les affronter. Largement repris, ce geste deviendra le symbole du pacifisme du mouvement hippie et de son slogan « Flower power ».
La profondeur de champ historique importe dans ce projet. Si certains actes relèvent – mais rétrospectivement – du coup d’épée dans l’eau, d’autres gestes sont au contraire promis à un plus grand avenir. On apprend ainsi que la première pétition remonte à l’Egypte antique, que le premier objecteur de conscience serait un jeune Berbère chrétien du nom de Maximilien, ayant refusé d’être enrôlé dans les légions romaines en 295 en Numidie (il fut alors décapité) ; que le premier tract connu daterait de 1488 ; que la pratique du squat remonterait au groupe des True Levellers, en Angleterre, en 1649, que le premier sit-in aurait eu lieu 1939 aux Etats-Unis, etc. D’autres exemples, en revanche, peuvent prêter à sourire, car, en tant geste individuel avant tout symbolique, on peut mettre en doute leur efficacité à une plus grande échelle d’usage (« égarer Facebook » où le développeur états-uniens Kevin Ludlow déroute l’algorithme de Facebook en publiant de fausses informations sur son fil d’actualités, ou bien « nous égarer » avec l’application sur téléphone conçue par l’artiste Mark Shepard pour rallonger nos itinéraires) quand d’autres, plus graves voire tragiques, nous feront réfléchir sur le courage des personnes qui en sont à l’origine – notamment quand ils évoquent la résistance lors de la Seconde guerre mondiale, qu’il s’agisse de « Faire de faux papiers » avec Adolfo Kaminsky pour sauver des Juifs lors ou quand le prêtre polonais Maximilien Kolbe décide de « Remplacer un condamné », ou la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis). Probablement parce que certaines actions – plus fréquentes dans le champ artistique – visent davantage notre perception, autrement dit ici cherchent à nous réveiller – quand d’autres entendent surtout transformer les pratiques et usages, c’est-à-dire produire un effet plus direct (et donc aussi plus visible) sur le monde. Tous ces cas, on ne peut plus différents dans leurs intentions et par les circonstances qui les ont vu naître, invitent donc tous à réfléchir à l’articulation de la perception à l’action. Et ils ont aussi en commun d’avoir (eu) tout simplement le mérite d’exister, proposant d’autres manières de percevoir, d’agir, et donc de vivre dans ce monde, manières potentiellement reprises et parfois même réorientées. Ainsi en est-il de ce dernier exemple, plus intéressant encore que ne laisse suggérer sa description dans le Répertoire, par l’articulation originale qu’il propose entre représentation et action, et entre art et activisme :
LEVER UN POING ANTIFASCISTE. Dans les années 1920, en réponse au salut fasciste, l’organisation communiste allemande Roter Frontkämpferbund (Union des combattants du Front rouge) invente le symbole du poing levé, signe de révolte, de force et de solidarité. Il sera mondialement repris.
L’histoire que nous rapporte l’historien Gille Vergnon de cette « forme symbolique fixe », devenue par la suite à la fois un motif présent dans de nombreuses illustrations (Mai 68, les Black Panthers, [on vous laisse compléter la liste…]) et un geste bien identifiable dans de nombreuses manifestations, est encore plus riche. Elle nous rappelle, en effet, que c’est l’artiste allemand John Heartfield qui l’a élaborée pour cette organisation, en s’inspirant lui-même du dessin d’un autre artiste allemand, Georges Grosz,représentant un homme en blouse, le poing levé de rage, dans un cimetière où figurent ses camarades morts. Pensez-vous que ces deux artistes aient eu une quelconque idée de la postérité de leur travail ?
Georges Grosz, « Abrechnung Folgt ! » (On règlera nos comptes), 1923.
Post-Scriptum 1 : si le livre est entièrement disponible en ligne (on peut également consulter le compte Instagram de l’artiste), efforcez-vous de l’acheter, ne serait-ce que pour saisir l’humour de l’entrée « Retourner des panneaux indicateurs », p. 234, qui n’a pas survécu à sa traduction numérique.
Post-Scriptum 2 : compléments possibles, dans l’esprit de l’ouvrage (puisque l’auteur l’y invite)
Marvin Minsky, Ultimate Machine, pour l’entrée « Fabriquer » : « Fabriquer une machine inutile » (petit objet philosophique très « subversif »).
Marina Abramovic, Rhythm 0,1974, pour l’entrée « S’exposer » (certes, pas très drôle dans son déroulement, mais la performance Shoot, 1971, dans laquelle l’artiste Chris Burden se fait tirer dessus, ou Rape Scene, 1973 d’Ana Mendieta, qui figurent dans le Répertoire, ne le sont pas spécialement non plus).
Ben Vautier, « S’exposer comme sculpture vivante pendant 15 jours et nuits dans une vitrine de galerie d’art », Gallery One, Festival of Misfits, Londres, du 23 octobre au 8 novembre 1962 (même si on peut y voir la préfiguration de la voyeuriste télé-réalité…)
François Ruffin, Merci Patron ! 2016 : « Duper le plus grand groupe de luxe du monde »
Josh Kinberg, Bike against Bush, 2004, à « Écrire » : « Écrire des graffiti tout en pédalant pendant une Convention républicaine »
Mark Lombardi, à l’entrée « Dessiner » : « Dessiner les réseaux politico-financiers (des structures narratives) » (tellement subversif que ses parents pensent qu’il a été assassiné par les services secrets américains, comme on peut le voir dans ce documentaire).
Pierre Huyghe, certes cité à 3 reprises, mais pas pour sa création, en 1995 de « Association des temps libérés » ou l’« A.T.L. », pour le « développement improductif ») : « Libérer le temps » ?
William Karel, « Opération Lune », 2002. France, Arte : « Réaliser un canular sous la forme d’un documentaire » (ou dans l’existante : « Lancer une rumeur médiatique »… à leur insu)
Christophe Bruno, Google Adwords Happenings, 2002, à ajouter à l’entrée existante « Remplacer des publicités par des œuvres ».
« Une cabane c’est pas un cabanon » : cette épitaphe gravée dans le marbre sur la tombe d’un vieil homme, voisine de celle de mon aimante mère, me distrait toujours alors que je souhaiterais, en bon fils, apprendre à prier et à me recueillir. Philosophique, comique, ou peut-être simplement indécrottable bricoleur, ce grand-père parti ni trop tôt, ni trop tard, repose en paix selon les vœux de ses enfants et petits-enfants.
Et voilà qu’à des siècles et des milliers de battements d’ailes migrateurs de ce cimetière du sud de la France se trouve aux quatre vents et au beau milieu d’une large plaine d’Islande une maigre architecture, un monticule, un têtu talus, qui n’est pas plus cabane que cabanon mais véritable Palace sans dorure, et voici sa véritable histoire.
Trois vieilles âmes vivaient sous ce même toit. Juste un toit. Þorbjörn, Grímur et Sturla se sont retrouvés pas totalement par hasard, mais après avoir été tous trois excommuniés de la société des Hommes.
Þórbjörn Oddsson « jambe raide » fut le premier à se poser dans ce qui restait d’un refuge de berger abandonné ; assez loin des côtes pour ne pas être retrouvé, pas trop à l’intérieur pour ne pas y être mortellement oublié. Þorbjörn avait volé, violé et tué, et vécut là des années durant, seul, cela s’entend. Avant que Grímur Logason le noir ne le rejoigne par le hasard des ornières ovines. Condamné lui aussi à un éternel retranchement pour avoir tenté d’étrangler, pour de faux, son frère à plusieurs reprises, Þorbjörn l’accueillit sans grande joie. Mais la compagnie autre que celle de sa propre ombre ne pouvait pas être totalement mauvaise. Tous deux, pas très éloquents, ont trouvé cet équilibre des hommes assagis, presque sages. Une vie quotidienne à perpétuité essentiellement régulée par deux saisons ; l’une obscure remplie de chieuses chimères, l’autre lumineuse qui emmerde sérieusement le repos de Grímur.
Plusieurs hivers après, Sturla Hinriksson, proscrit lui aussi, les retrouva au bout de longues pérégrinations sur l’île pour avoir déclaré fort et pas si haut que ça qu’un ciel sans cieux était notre seule, unique et dernière demeure.
Il était tout à fait laid et n’avait pas de sobriquet. Mais Sturla était bavard, et participait assez peu aux tâches quotidiennes du trio. Cela ne dérangeait pas plus que cela les deux autres. Grímur était celui qui entrenait les lieux, Þorbjörn, lui, chassait, cueillait et avait la connaissance de l’art de la conservation de toutes possibles pitances. Sturla, lui, était bavard. Et ça c’était bien, des fois.
En ce talus têtu, au beau milieu d’une plaine de la peu fertile terre d’Islande, ont vécu ces trois cœurs animés par la survie, sans véritable amitié, en ce Palais sans mortaise ni souverain, tantôt sous la neige obscure des mondes sans fin, tantôt sous la danse des herbes folles animées par un astre solaire qui n’arrive plus à se cacher.
Ce texte est extrait du livre d’Aubin Chevallay, « Kyrrðin að mála / Le silence de la peinture », qui présente ses photographies des expositions organisées en Islande en 2022, ses paysages islandais et des textes de ses modèles et de personnes contactées sur les médias sociaux.
Serge Comte, né en France à la Tronche, l’été 1966, a été bon ramasseur d’abricots, mauvais dessinateur, passable professeur de français pour enfants, et désormais excellent brancardier au CHU de Reykjavik.