THIS IS IT, ma journée du 21 octobre 2024 par Éric Arlix
Dans le capitalisme tardif et sans doute indépassable la journée est rythmée par des roquettes ou des amendements, par des rendez-vous politiques ou people, parfois les deux entremêlés, par des indignations ou des laisser-faire dans un mega-production permanente (le mot Spectacle n’est plus assez fort vu les moyens déployés), par des révélations sans conséquence ou par des manipulations conséquentes.
Je lis trente pages de Tout l’Univers XVI, je me marre plusieurs fois, je bois un thé oloong, je pars sur les bords de Seine voir les cormorans au Pont du Port à l’Anglais, une bonne trentaine dans cette tribu, c’est la ville sauvage.
Dans le capitalisme tardif la journée est rythmée par des individus effectuant des courses, déplaçant des objets et des matériaux, parcourant pour cela parfois de longues distances pour profiter d’une promotion, d’un bon plan discount, comme un pisteur lors d’une chasse au néolithique, c’est la principale activité.
Je me rends à Porte Dorée en traversant Charenton et le bois de Vincennes pour m’acheter un banh mi tofu sans piment 6,50 euros je le mange en repartant chez moi.
Dans le capitalisme tardif la journée est rythmée pour la grosse flippe d’un gros boum (troisième guerre mondiale, crise financière, piratage mondial de l’infrastructure bancaire numérique, nouvelle pandémie double XL, etc.) et de fait il faut acheter des trucs ou les déplacer pour penser à autre chose.
Le classique par cher soupe lentilles corail, lait coco, curcuma, coriandre, rondelles d’oignons rouge, arachides concassées, top rapide, top prot.
Dans le capitalisme tardif la fin de journée est rythmée par des divertissements sur abonnements, la journée fut si stressante que la validation en sera simplifiée, rapide, pulsionnelle, l’offre est si pléthorique et les recommandations nombreuses, le niveau si élevé, une montée en gamme permanente.
Je reprends Bruit de fond de Don Delillo que j’ai commencé ce matin, lu il y a 25 ans mais aucun souvenir, une page sur deux m’ennuie, l’autre me fascine, pas si mal comme proportion.
Statistiques de la journée marche : 20 km calories brûlées : 1 000 protéines animales ingérées : 0 grosses flippes : 3 à 4 minutes pages lues : 69 cigarettes : trop alcool : 0 s’oublier en faisant défiler le fil facebook : 5 minutes (shame on me) travailler pour TINA : 2 heures écrire : 2 heures un roman improbable.
Art, mode, luxe et poudre aux yeux par DeYi Studio
Soyons mauvais, soyons ronchon. Bien sûr TINA est positive et nous préférons trois fois signaler ce qui nous intéresse. Il faut ouvrir des pistes, offrir des ressources, nourrir l’espoir. Mais soyons râleurs aussi. Il s’agit parfois de déblayer le terrain pour faire un peu de place et y voir plus clair. Quitte à passer pour des jaloux aux yeux des parvenus, soyons bougon, soyons grincheux !
Il paraît que se tient ces jours-ci Art Basel Paris. On s’en fout littéralement. Le ridicule du nom où ce qu’il dit des reconfigurations du marché de l’art ne nous tracasse pas spécialement. Les événements associés, off ou officiels, ne nous concernent pas davantage. Pourtant un « projet spécial » du « programme public » nous réjouit assez, dans sa bêtise prévisible. Il fallait s’y attendre, c’était inéluctable. Après Anne Imhof, Nile Koetting, et d’autres sans doute, qui nous assommaient déjà de performances contaminées par l’esthétique de la mode, de ses défilés et de ses magazines – poses d’indifférence affectée, gestes d’abandon maitrisés, désinvolture calculée, élégance décalée, arrogance naturelle, grises mines systématiques, misérabilisme chic, révolte simulée dûment rémunérée – voici le retour de bâton. Même chose à peu près, mais dans l’autre sens.
Une maison de mode fait de l’art. Les performeurs n’ont plus l’air de mannequins, ce sont les mannequins qui performent. Bref, le défilé de mode statique et prolongé en tant qu’exposition. Le tour est joué. On ne va pas pleurer. il n’y a rien à sauver dans les expositions. Mais c’est tout de même assez drôle de voir ce tour de passe-passe. Et il se trouve des artistes pour signer cette mascarade et des directrices de musée pour l’avoir curaté (sic). Et il se trouve des revues d’art pour nous servir cet « ambitieux projet » comme « expo-spectacle troublante ». Ce qui est troublant c’est le niveau d’imbécilité à ce stade avancé de la compromission. Que des réalisatrices de talent acceptent de gagner un peu d’argent en tournant un film publicitaire, passe encore, les temps sont durs. Mais l’on croit rêver quand on vient nous expliquer doctement qu’une marque de luxe prétend sur le dos de l’art donner des clés pour aider les femmes et montrer que l’empowerment est possible. Ou bien faut-il se retenir de vomir sur le dos de l’art ?
Le Biòu d’or Préservation d’une culture par tous les moyens par Aurélia Zahedi
Nîmes – Dimanche 13 octobre – 10h30 Foule dans une bodega – Élection du Biòu d’or
Monsieur Triol m’a dit : C’est comme la palme d’Or pour le réalisateur d’un film, sauf que là, c’est le Biou d’or pour le meilleur taureau. C’est l’événement de l’année pour les Courses Camarguaises. Pas de chichi par contre. Dans ce petit bar protégé par les têtes de taureaux au mur, tout le monde est debout et tente de trouver une fenêtre pour voir le discours. Les enfants, les mamies, papis, éleveuses, éleveurs, aficionados, journalistes locaux viennent pour la même chose : connaître le taureau vainqueur 2024. 19 représentants de la tauromachie sont appelés à voter devant les spectateurs. Le public a eu son vote lui aussi la semaine dernière. Pas de discours à la rose, de tapis rouge ou de champagne, simplement une peña (fanfare) qui joue les airs de fêtes. Aujourd’hui, la récompense se dispute entre deux taureaux : Bohémien et Castella. Les rumeurs racontent que Bohémien a un gros cœur, qu’il est spectaculaire, qu’il fonce facilement dans les barrières, et que son élégance le caractérise. Castella, lui, est moins barricadier, très méchant dans son comportement, on ne peut pas l’aborder de n’importe quelle manière. Il est d’une grande intelligence. A gauche, il est capable d’actions très engagées, avec des cornes toujours menaçantes. Moment du Dépouillement. Silence total dans le public. Au micro, les noms sont donnés au fur et à mesure. Ex aequo d’abord, puis Castella se démarque et arrive en tête. Applaudissements dans l’assistance d’un côté, sifflets soutenus de l’autre. On entend crier « Mascarade ! » « Tricherie ! ». Les mécontents ne cachent pas leurs désaccords. Comme la tradition le veut, les éleveur.euse.s de Bohémien et Castella ne sont pas venus, pour éviter le désordre. C’est aux arènes cet après-midi que nous verrons les bêtes et leurs manadiers. L’apéritif est servi. Les discussions sont chargées de passion ; enchantement ou déception, pas de demi-mesure.
15h – Dans les arènes de Nîmes – Le trophée des As
Pour imaginer succinctement, la Course Camarguaise consiste à retirer des attributs/décorations sur la tête d’un taureau qui est en piste pendant 15 minutes. Les participants sont appelés raseteurs car on dit qu’ils « rasent » le taureau. Les trois attributs fixés sur le taureau doivent être détachés dans un ordre bien précis, d’abord la cocarde, un bout de tissus rouge solidement fixé sur le front de l’animal, ensuite les glands : deux pompons blancs sur les cornes, puis les ficelles qui entourent les cornes de l’animal. Chaque attribut arraché rapporte de l’argent à celui qui arrive à les extraire. La fin de la saison de la Course Camarguaise se termine par le trophée des As, moment qui réunit dans les arènes, les sept plus grands taureaux et 10 meilleurs raseteurs de la saison. Les taureaux sont : « Engora » (Aubanel-Baroncelli) « Montego » (Lautier). « Lichou » (Rambier-Cavallini). « Castella » (Saumade), Bioù d’or 2024. « Bohémien » (Rouquette). « Vicaire » (Saumade). « Redon » (Fabre-Mailhan).
Mais avant que la course ne débute, une heure de spectacle est proposée au public. D’abord arrive la Croix de Camargue, emblème pour représenter la nation camarguaise. S’en suivent le défilé des guardians (gardien.ne.s des troupeaux), à cheval, puis des femmes dans leurs costumes traditionnels arlésiens. Dans une chorégraphie simple et précise, les figures paradent dans cette culture languedocienne provinciale. N’oublions pas le passage des chevaux de Camargue qui font leur effet, ainsi que la présence de la Reine d’Arles, fraîchement élue, représentante de cette culture par excellence. Une série de cartes postales se succèdent donc, dans une odeur d’exotisme poussiéreux. Et pourtant,… quelque chose dénote, grince même. Cette sensation est représentative majoritairement par la musique. A la suite des mélodies occitanes jouées par la peña dans les arènes, les enceintes diffusent Johny Halliday ou la B.O de Titanic réadaptée sur un air de techno. A l’image de l’huile et l’eau, quelque chose n’arrive pas à s’assembler.
Ces spectacles qui précèdent la Courses Camarguaises existent depuis une dizaine d’année. Les aficionados me racontent que cette culture a besoin d’être mise en avant pour être reconnue. Si elle plaît au grand public, elle pourra alors être préservée. En quelque sorte, la Course Camarguaise ne suffit plus. Si le monde est trop animaliste aujourd’hui pour accueillir les jeux taurins alors peut-être que ce sont aux jeux taurins de s’adapter à son public pour survivre. Bien sûr, toutes les cultures évoluent avec leur temps mais dans le but, semble-t-il, d’équilibrer la tradition avec le monde. Au début des années 1900, le grand manadier Fernand Granon ajoute dans les Courses Camarguaises l’air du toréador de l’opéra Carmen de Bizet par amour pour cette musique. Depuis, c’est un hommage qui lui est rendu et cette nouvelle règle intégrée garde en mémoire une figure importante de la tauromachie.
Le jeune guardian assis à côté de moi m’affirme que ce spectacle d’introduction donne de la valeur à la Course Camarguaise. Le taureau est au centre et il apporte avec lui la culture. Sans la présence de l’animal ajoute-t-il, il s’agirait de folklore. Sur un air populiste, l’esthétique, la langue et les coutumes allègrement célébrées dans un spectacle de divertissement permettent-elle de camoufler la question animale ? Notons que si le tourisme, ignare de la Course Camarguaise tolère, voir, participe à l’événement, c’est que le folklore réussi à noyer le poisson pour maintenir ce jeu taurin.
Intervention de Jean-Marc Flahaut Textes inédits pour la revue TINA.
Réalité
le fait médias du jour c’est ce rapprochement entre CASH NEWS et TRASH INFO
vous le savez certainement on vous en parle depuis des semaines CASH NEWS serait prête à signer un très gros chèque à son concurrent direct pour devenir le distributeur exclusif des prochaines attaques terroristes qui surviendront en France dans les dix prochaines années
le rapprochement des deux meilleures ennemies du Paysage Audiovisuel Français est d’abord une alliance économique
un accord de distribution ce n’est pas un simple rachat cela signifie que CASH NEWS et TRASH INFO resteront des entités bien distinctes
elles garderont leur dispositif d’antenne en l’état mais conserveront surtout leurs droits sur tous les événements dramatiques qui se dérouleront en France jusqu’en 2032
notamment les prises d’otages et les meurtres de masse enjeux majeurs dans la guerre pour la diffusion des images
ce rapprochement n’est donc pas synonyme d’une centralisation des drames sur l’une des deux antennes chacune restant propriétaire de ce qu’elle possède déjà
CASH NEWS étant devenue le seul média habilité pour accompagner en continu les forces d’intervention lors des assauts menés contre les terroristes
TRASH INFO demeurant quant à elle la seule chaîne autorisée à investir avec ses caméras tous les lieux pris pour cible lors d’un attentat
pour bénéficier de l’offre la plus complète possible le téléspectateur devra donc continuer de s’abonner à la fois à CASH NEWS et à TRASH INFO
il lui faudra simplement utiliser plus souvent sa zappette pour ne rien manquer des événements diffusés sur l’une ou l’autre chaîne
une gymnastique donc
ce qui va changer en revanche c’est le prix à payer aujourd’hui un abonné doit débourser 50 euros pour accéder au bouquet de CASH NEWS quant un abonné à TRASH INFO dépense environ 35 euros en moyenne
si vous êtes totalement accro et que vous avez souscrit aux deux offres faîtes le calcul
avec ce rapprochement ça devrait donc changer pour le téléspectateur et plutôt dans le bon sens pour une fois
hier Business Magazine a annoncé que CASH NEWS devrait proposer une offre couplée à la baisse autour de 60 euros par mois la chaîne câblée ne pourra pas obliger le téléspectateur à s’abonner à son service si ce dernier veut seulement pouvoir regarder TRASH INFO
en effet si CASH NEWS devient le distributeur exclusif de la chaîne cela signifie seulement qu’elle empochera le montant des abonnements qu’ils proviennent de ses propres abonnés ou des abonnés à d’autres fournisseurs d’accès à Internet
c’est un point essentiel un point sur lequel l’autorité de la concurrence sera particulièrement attentive elle veillera notamment à ce que ce rapprochement ne soit pas synonyme de vente forcée
le dossier est actuellement sur le bureau de l’organisation anti trust qui se prononcera bientôt sur la faisabilité ou non de cet accord et en premier lieu sur la position de monopole de cette nouvelle entité
si vous additionnez les droits pour la couverture des attentats détenus par CASH NEWS et ceux détenus par TRASH INFO cela représente 95% de l’offre totale de programme Hard News à la télévision
une situation inédite qui inquiète les vidéastes amateurs ainsi que tous les utilisateurs de téléphone mobile témoins bien involontaires de ce type d’événements qui négociaient en direct et jusqu’à présent leurs droits avec les diffuseurs
ces derniers peuvent donc craindre légitimement la fin d’une surenchère effrénée qui leur permettait malgré des circonstances ô combien douloureuses de surmonter quelque peu leur traumatisme par une rentrée d’argent souvent conséquente
pour réaliser cette opération rappelons que CASH NEWS serait donc prête à débourser une somme énorme environ sept milliards d’euros sur 10 ans un investissement colossal qui n’a qu’un seul objectif promet-on à la direction de la chaîne
enrayer l’hémorragie du nombre de ses abonnés
Stress
je suis resté actif sur le serveur 46 heures sans dormir mes parents n’y ont vu que du feu j’avais pas le choix à cause de la pandémie il y avait des milliers de joueurs en ligne au même moment fallait que j’assure debout devant l’écran deux jours d’affilée pour éviter les bugs gérer administrer ça m’a créé beaucoup de stress mais contrairement à ce qu’on dit ce n’est pas si mauvais le stress c’est comme un chien de garde il aboie nous tient éveillé on a besoin de lui sans le stress l’espèce humaine aurait disparu depuis longtemps
Kebab
les binoclards et les youteubés ça le saoule les obèses qui militent contre la grossophobie les trans les homos ça le saoule encore plus ceux qui postent des vieux mèmes sur les forums des vidéos de chatons avec des expressions débiles les mythos qui s’inventent une vie les arrogants ceux qui pleurnichent ça le saoule puissance 10000 y’a bien quelqu’un qu’il supporte à la limite c’est Hamza le turque aux cheveux curly du kebab au coin de la rue il ne l’aime pas non plus mais c’est le seul qui s’intéresse à lui
quand je ne suis pas en train d’enregistrer des tutos bien-être ou beauté je cuisine je tricote je m’accorde une pause Face Time avec mes copines je suis en shooting photo pour un magazine ce qui m’amuse le plus c’est de me transformer en princesse j’ai aussi crée ma propre marque de Lifestyle pour mamans je propose des vêtements à message comme My Family My Team ou Mums Run The World je ne participe plus aux ateliers d’écriture en visio la poésie romantique n’est malheureusement plus dans l’ère du temps la mode actuelle est au Raw Poem des trucs vulgaires qui ne parlent que d’identité sexuelle publiés bruts dans le fil d’actu Twitter une prose si on peut dire au plus près du réel sans retouches ni artifices très peu pour moi
Temps
je vais vous lire les notifications que je reçois sur mon téléphone
elle obtient des orgasmes sans aucun contact à 12 ans il élève des poulets de manière intensive ivre elle quitte son mari en plein mariage pour son beau-frère un cheval au cœur brisé arrive dans une ferme depuis des années un nain psychopathe vivait sous leur toit mes parents sont handicapés et homophobes retrouvez le plaisir de cuisiner une côte de bœuf découvrez le premier teaser de « Rendez-vous hier matin »
n’importe quoi ces vidéos à part la dernière Rendez-vous hier matin il a l’air trop bien ce film je n’en ai vu que des extraits mais j’ai super envie de savoir ce que ça raconte
le résumé en lui-même est déjà canon et puis j’adore les acteurs qui jouent dedans surtout cette meuf-là j’arrive jamais à me rappeler son nom mais je sais que je l’aime bien elle est trop bonne enfin c’est pas que pour ça que je l’aime bien c’est surtout ce qu’elle dégage comment elle envoie chier les mecs en leur balançant leurs quatre vérités une bombe en talons aiguille super sexy qui clashe les mâles blancs hétéros dominants j’adore ça flingue
bon après c’est qu’un film hein j’ai repéré des trucs qui vont pas dans la bande-annonce des choses qui ont l’air impossible en vrai ça m’empêchera pas de le mater parce qu’il a vraiment l’air bien c’est des détails mais quand même faut que je vérifie dans Google
je rigole parce que ma daronne dit toujours que je répète cette phrase sans arrêt faut que je vérifie dans Google ben c’est vrai en plus on trouve tout dans Google
les voyages dans le temps c’est vraiment ma came depuis que je suis toute petite ça me fascine à fond dès que je vois un documentaire qui parle de ce sujet je suis obligée de regarder
c’est pour ça que je pige pas pourquoi il y a autant d’incohérences dans les histoires du genre le passé c’est du passé et le futur c’est le futur vous êtes d’accord avec moi ? mais le futur dans le passé c’est du présent et le présent ça devient le passé dans le futur non ? comme dans ce film La planète des singes ça se peut PAS ! c’est IMPOSSIBLE !
mais bon Rendez-vous hier matin franchement il a l’air top j’ai quand même bien envie d’aller le voir en salle
ah ouais j’oubliais il y a encore un truc que je trouve zarbi dans les films qui parlent de voyages dans le temps c’est souvent les gens du futur qui rendent visite aux gens du passé rarement l’inverse enfin je crois
bon allez j’arrête de vous prendre la tête de toute manière ce que je raconte c’est vraiment de la science-fiction vu que mes potes et moi on va plus trop au cinéma
Réalité Augmentée
quand on était petit certains jeux vidéos étaient vraiment très glauques et graphiquement faibles
de grands espaces vides des couloirs des tunnels souterrains ou des objets isolés au milieu d’une pièce dégageaient un sentiment de profonde solitude
parfois j’avais cette sensation bizarre que quelqu’un était avec moi dans ma chambre et qu’il m’observait c’était creepy hyper malaisant comme un cauchemar éveillé
les développeurs ne s’en rendent pas compte mais ils sont en partie responsables de nos traumas d’enfance
dans certaines zones on se sentait mal pour de vrai la musique devenait si triste et si stressante qu’on avait l’impression d’assister à son propre enterrement
si je l’avais raconté à mes parents ils n’auraient rien pigé j’aurais fini chez le psy et ça aurait été encore plus flippant
déjà qu’ils s’inquiètent tout le temps pour moi rapport au fait que je vais plus en cours et que je ne travaille pas
c’est compliqué je me vois dans rien trop de choix possibles j’arrive pas à choisir
je vais peut-être m’engager pour défendre mon pays contre les terroristes mon grand frère a fait l’armée j’aime bien leur mentalité tout comme le surpassement de soi autant physique que mental en plus j’ai le sang chaud et je m’y connais aussi pas mal en armes à feu grâce à des films comme Stalingrad Fury Patriot et des jeux du style Call of duty
Jean-Marc Flahaut est né en 1973, à Boulogne-sur-Mer dans le Nord de la France. Influencé par les écrivains de la contre-culture des années soixante et soixante-dix, il est l’auteur d’une quinzaine de livres aux croisées du roman noir, du fait-divers et de la poésie. Il vit à Lille où il enseigne l’écriture créative auprès de différents publics.
Lire écouter : les sound studies pensent le son du monde par Pierre Tenne
L’Écoute. De l’Antiquité au XIXe siècle. Une anthologie – Martin Kaltenecker (sous la direction de) Éditions de la Philharmonie/Éditions MF, Paris, 2024, 1354 pages, 40 euros.
Critique, n°927-928, août-septembre 2024, « Sons. De la musique aux arts sonores », dirigé par Élie During et Bastien Gallet, éditions de Minuit, 192 p., 14,5€
La chanson en trend TikTok qui passe dans les écouteurs, la reprise folk ou latine d’un tube d’Outkast qu’a prévue pour ce restaurant une entreprise de marketing sonore, la compilation de salsa portoricaine des années 60 diffusée depuis YouTube dans cette fête pour trentenaires branchés, cette acid house entendue dans une friche industrielle de banlieue, ou ces trente secondes de contrebande d’une chanson des Beatles dans une émission de téléréalité. Bien souvent, la musique s’écoute sans plus savoir qui chante, ce qui est chanté, pour qui. Soudain, un album presque trentenaire d’Oasis apparaît comme n°1 au Royaume-Uni: l’histoire musicale elle-même n’est plus pertinente pour caractériser ce qui va être écouté massivement aujourd’hui.
Le détour par l’histoire invite à comprendre autrement ce qui se joue dans l’effondrement d’une certaine culture sonore, qui reste celle qu’on met en avant dans la presse spécialisée ou les programmes des principales institutions musicales, qui semblent toujours postuler un public désireux de connaître ceux et celles qu’il écoute, de posséder une connaissance fine de leur musique, et d’accéder à leurs productions musicales (en concert ou sur enregistrement) qui soit de qualité. La somme énorme produite par les éditions de la Philharmonie et les éditions MF permet de se plonger dans une histoire de l’écoute à une échelle inédite. Anthologie de plus de 1 300 pages, qui compile chronologiquement des textes, souvent courts, permettant de saisir dans chaque contexte la matérialité et la pensée de l’écoute. Chaque texte, efficacement et brièvement introduit, offre ainsi un regard sur l’écoute qui lui est contemporaine : au XVIIIe siècle, on applaudit au concert mais pas à l’église. Durant l’Antiquité, on suppose un corps auralo-mélique, les effets harmoniques de la musique jouant sur l’harmonie du corps – théorie que l’on retrouve à la Renaissance. Au XIXe siècle, une pédagogie de l’écoute se met en œuvre, estimant que le public est à éduquer autant qu’à convaincre ou séduire.
La force de l’anthologie réside dans sa capacité à faire résonner les textes à travers les siècles et les thèmes, pour ouvrir l’histoire de l’écoute à une pluralité quasi infinie de questionnements. Boîte noire pour un travail collectif autour de ce que Jonathan Sterne qualifiait de « culture sonore » (Histoire de la modernité sonore), cette anthologie permet de donner corps à un champ de recherche important des dernières années, souvent qualifié de sound studies, qui cherche à appliquer au son les approches des cultural studies. Les textes importants de ces études ont été en France édités par les éditions de la Philharmonie, qu’il n’est guère étonnant de retrouver à la co-direction de L’écoute, ni au cœur du numéro que la revue Critique consacre à la question.
Ce numéro, dirigé par Élie During et Bastien Gallet et consacré aux « Sons. De la musique aux arts sonores » permet en effet de dresser un bilan particulièrement saisissant des apports récents sur la question du son. Dans son article introductif, Bastien Gallet évoque notamment le travail de Lawrence Abu Hamdan entre 2020 et 2022, qui a filmé les violations de l’espace aérien libanais par l’armée israélienne, pour en tirer une installation audiovisuelle (Air Pressure (A Diary of the sky)) et un site internet (AirPressure.info). Le sonic art de Lawrence Abu Hamdan permet ainsi de faire émerger ce fait qui reste masqué, y compris pour les habitants qui le subissent : il existe une « guerre qui ne dit pas son nom ».
Le son, qu’il soit bruit (la « Japanoise ») ou musique, savant ou populaire, est questionné à travers la multiplicité presque délirante de ses effets sur les sociétés où il existe. Le court essai de Peter Szendy en conclusion du numéro (« Combien d’oreilles ? La place de l’auditaire ») invite à affiner notre compréhension de l’écoute dans sa dimension politique, en introduisant la notion d’auditaire : « À l’autre qui triangule l’écoute, qui la concentre sur et la dévie de l’audiendum (ce qu’il y a à entendre), nous avons donné un nom : l’auditaire, destinataire de l’écoute ». Derrière l’idée du son, le désir d’en penser la portée éminemment politique et l’implication de chaque oreille dans les enjeux sonores auxquels elle participe.
Les textes de la revue convient aussi d’autres acteurs importants, en France, de cet élan intellectuel et académique qui tarde encore à se faire reconnaître au même titre que d’autres pans des fameuses cultural studies : Guillaume Heuguet, fondateur de la revue et des éditions Audimat ; les éditions Allia, qui publient des textes importants sur Steve Reich, Stravinsky ou la salsa. Puisque Tina est hébergée par les éditions JOU, on ne peut que regretter que les travaux de David Toop, dont Ocean of Sounds (éditions de l’éclat, 2004) est cité, soient moins mis à l’honneur alors que son recueil d’articles (Inflamed Invisible) vient d’être traduit. Pour autant, ce dynamisme intellectuel attendait une cartographie et des sources : c’est ce que viennent d’offrir ces deux ouvrages.
Les musiques évoquées en introduction de cet article, que personne n’entend mais que tout le monde écoute, sont pensées dans de très nombreux espaces de réflexion et de discussion. Dans son versant optimiste, ce dynamisme éditorial traduit un besoin partagé de reprendre le contrôle de ce que devient la musique, à une époque où elle est soumise à des transformations brutales et massives. Dans son versant pessimiste, on ne peut que constater que les livres sur la musique rencontrent un succès croissant (tout de même limité) à l’heure où les phonogrammes (disques ou autres formats) sont de moins en moins achetés, comme pour offrir un autre point de vue sur ce que subit la musique, devenant de plus en plus à lire et moins à écouter.
Brad-erie et vide-galeries par DeYi Studio pour la revue TINA
C’est vraiment moche de jouer de mots sur un prénom ou un nom propre, ami ou pas. Pourtant nous n’avons pas su résister, quoique détestable soit le marketing des titres chez « Libération ». Bref, nous regrettons déjà ce titre idiot pour parler d’un artiste dont nous apprécions le travail, mais il nous pardonnera si nous lui envoyons demain quelques acheteurs. Nous avons reçu un mail de Brad Adkins la semaine dernière. Brad annonçait une vente directe chez lui ce week-end avant son déménagement.
Si vous lisez TINA à Portland il faut absolument vous rendre à la « Moving Sale » chez Brad Atkins, 1609 NE 114th Ave, Portland OR, samedi et dimanche, 12 et 13 octobre, de 11h à 18h, ou dès aujourd’hui de 18h à 21h.
Brad Adkins (BA) vit et travaille à Portland (PDX – code pour Portland International Airport). Habituellement il vend ses oeuvres directement sur son site web BA-PDX (www.ba-pdx.com), conçu comme une boutique en ligne saisonnière. La moitié de l’année Brad gagne sa vie comme peintre en bâtiment pour financer l’autre moitié de l’année son activité artistique. Pendant la période des chantiers il met sa boutique en pause, faute de temps pour gérer les commandes et faire les envois. Lors d’une précédente saison nous avons acheté sur son site un billet de 1 dollar, teinté en vert, vendu 20$.
La plupart des articles en vente sont des surplus d’exposition. Lorsque l’occasion se présente d’une présentation publique de son travail, Brad conçoit et produit une oeuvre pour la circonstance en fonction du contexte. La fabrication d’un objet coûte toujours moins cher s’il n’est pas unique. Passé l’évènement l’oeuvre subsiste donc comme multiple, même si l’intention n’était pas d’éditer un multiple. Et c’est grâce à la boutique en ligne que Brad s’en débarrasse et se rembourse plus ou moins des frais de production. Une manière de vider la galerie ! Il produit aussi parfois directement pour sa boutique des posters, des tshirts et des autocollants. C’est déjà selon nous admirable de désinvolture à l’égard du marché de l’art et de ses logiques spéculatives. Rien ne sert de stocker en attendant une plus-value hypothétique si vous n’avez pas l’intention, l’envie ou la compétence de vous en occuper obstinément. Plutôt que d’enfermer le travail à l’abri des regards dans un entrepôt coûteux que vous finirez par transférer à la déchetterie, mieux vaut le distribuer à prix coûtant et lui permettre ainsi de continuer à exister socialement en infiltrant quelques intérieurs domestiques et univers mentaux, où il pourra éventuellement devenir une ressource pour d’autres.
Depuis peu Brad vend aussi dans sa boutique toutes sortes d’objets de seconde main, plus ou moins étranges, et pour le moins kitch (si tant est que cette catégorie ne dénote pas le mépris de classe de qui s’estime titulaire du bon goût). C’est ce qui nous a intrigué et qui motive ce post pour TINA. Il faut bien sûr se méfier d’une interprétation qui serait biaisée par une méconnaissance du contexte et une incompréhension des enjeux locaux. Nous ne vivons pas à Portland et rien n’atteste que nos questions ici aient une résonance là-bas. Certains gestes pourraient avoir à nos yeux une signification sans rapport avec ce qui les a motivés, et l’intention qui les porte pourrait en fait contredire l’intérêt que nous y trouvons. Mais pourquoi pas finalement ? L’usage que nous en ferons dans notre environnement serait-il invalidé par l’emploi dont ils ont été animés dans leur propre écosystème ? L’intention du geste est-elle plus vraie qu’une interprétation qui ne prétend pas établir la vérité de l’intention mais esquisser la potentialité d’une lecture et d’une fonction nouvelle ? Ces précautions dites, que faire du voisinage sur les pages de la boutique en ligne de Brad des multiples qui semblent d’art et des pièces uniques qui semblent de brocante ?
Quoi de commun entre un Tshirt jaune avec l’inscription « CATS ARE NOT A MONOLITH », un dessin au crayon représentant une religieuse, signé et daté Zimmerman 1986, une fausse paire de jumelles (en fait un double flacon d’alcool, dit « barnocular ») fabriquée au Japon sous la marque « Comoys Of London », et une taie d’oreiller avec l’inscription AH sur une face et HA sur l’autre, sinon que leurs photographies cohabitent sur la même page web ? Ces quatre objets ont au moins en commun d’être vendus 60$. Et c’est précisément selon nous cette même valeur, ainsi que leur voisinage immédiat sur le site de Brad Adkins, qui en fait tout l’intérêt, dans une corrélation dévastatrice et réjouissante. Sur un même plan : un travail de Brad Adkins (la taie d’oreiller), un autre travail de Brad Adkins en collaboration avec Malia Jensen (le Tshirt jaune), un dessin d’amateur (« Sister ») et un objet trouvé (le barnocular). La rigueur d’un artiste conceptuel, l’humour crypté d’internet, l’étrangeté d’un gadget d’occasion, et la naïveté appliqué de l’art du dimanche. Tout ceci cohabite apparemment sans complexe, sans ironie, et sans arrogance ni condescendance. Ce n’est peut-être possible qu’à Portland, cela n’a peut-être aucun sens pour vous, ou peut-être n’avons-nous rien compris, mais c’est tellement, tellement, réconfortant ! Chez DeYi Studio nous rêvons de pareille désinvolture tranquille, pour nous-mêmes qui tentons laborieusement de nous extirper des logiques d’expositions, et pour tant de jeunes artistes si malheureusement professionnels au sortir du diplôme et si sérieusement crispés sur les questions de statut inculquées dans les écoles d’art.
Après avoir écrit ces lignes nous sommes retournés vérifier deux ou trois détails sur la boutique en ligne saisonnière de Brad Adkins. Vous serez certainement déçus de ne trouver plus les objets de seconde main dont nous parlons. Brad nous explique dans un mail « (…) the boot sale items went offline in preparation for the move. going to mostly populate my in-person resale shop with the boot sale items and am revising the online shop to reflect this change. tentatively planning to again host a very small selection of boot sale items at the shop. » Il faudra donc patienter pour revoir la catégorie « boot sale » ou bien se rendre en personne chez Brad à Portand ce week-end. Pour vous consoler tout de même ci-dessous un petit aperçu en vrac.
PS. Si comme nous vous demeurez perplexes en lisant « boot sale », sachez qu’il ne s’agit pas de chaussures mais de coffres de voiture. L’équivalent du vide grenier des villages ici, mais sur des parkings, au pied des voitures, Amérique oblige. https://en.wikipedia.org/wiki/Car_boot_sale
Comment faire circuler la musique indépendante dans l’ordinaire ? Aurélia Zahedi pour la revue TINA
Passionné de musique et Dj, un ancien meunier a imaginé comment partager et faire exister des artistes de labels indépendants.
Après avoir travaillé plusieurs années dans une ferme biologique qui cultive et transforme le blé en farine, Christophe Armand invente un atelier de fabrication de pâtes bien particulier. Il crée une installation autour de sa machine à pâtes alimentaires qu’il appelle Le Son des Pâtes. Tout d’abord, il place un lecteur vinyle à l’entrée de l’appareil puis, deux enceintes de chaque côté du dispositif. Ainsi, lorsque les pâtes sortent de la machine, elles sont affectées de part et d’autre par cette musique. Parfois même, il invite un.e musicien.ne à jouer un morceau en live pendant la production. Sur le sachet, il inscrit alors le nom du groupe et du label qui ont accompagné cette fabrication et invite les clients à écouter le son en mangeant. Sur les marchés du Lot-et-Garonne, il vend ses pâtes, tamponnées par la musique. Ainsi, il nous fait découvrir ces artistes hors des sentiers battus.
Peu de gens feraient le pas de découvrir cette musique de niche. Christophe Armand renverse alors la situation, c’est la musique qui va s’inviter dans un moment de vie ordinaire. Par son geste, il active la circulation du sensible dans l’espace du quotidien. Le repas devient l’occasion d’ouvrir un espace poétique dans un moment banal et commun. Alors, il donne à entendre des compositions étranges, particulières et inattendues. Et petit à petit, l’oreille curieuse tente l’expérience. Notons que les pâtes et la musique, par leur caractère éphémère ont la même modalité d’existence. Seulement, la musique, qui devient un des ingrédients du repas, apporte un nouveau sens à la dégustation : l’ouïe. Les pâtes, elles, restent nourriture, mais elles portent une chose en plus qui est la valeur de l’imaginaire.
Dans cette histoire, deux mouvements essentiels se dessinent. Le premier part de la terre vers le ciel, la graine semée monte jusqu’à la musique, elle va vers la lumière, vers l’ouvert. Quant au deuxième mouvement, il se joue à l’endroit de la rencontre qui s’opère dans l’espace public du marché, entre le pastier et les clients. Dans cette conjoncture, Christophe Armand déplace la figure du Dj qui n’est plus la vedette de la scène mais qui devient le pont entre l’agriculture et la musique. C’est un geste de passeur qui rêve de montrer l’invisibilisé, ou plutôt de faire écouter celles et ceux que l’on n’entend pas.
La semaine dernière, j’ai offert à une dame qui me logeait généreusement un paquet de pâtes pour la remercier. Je lui raconte l’histoire du Son des pâtes. Elle me dit : « Des pâtes musicales ! Merci ! Je vais inviter mes amis à dîner et nous écouterons la musique en mangeant. » Ce sera cette fois-ci Melcòr du label Le cabanon Records. https://lecabanonrecords.bandcamp.com/album/i-l-es
Sur l’étal Le Son des Pâtes, au marché de Villeneuve-sur-Lot, 2024
légende image en haut de l’article : Dans l’atelier Le Son des Pâtes, Bias, 2024
Social AI, l’art que nous n’avons pas vu venir par DeYi Studio
Un article sur un article, voici qui ne va peut-être pas vous avancer à grand chose, et vous perdre davantage encore vos fenêtres en cascade. Voilà qui redouble aussi le sport favori des réseaux sociaux qui veut que l’on commente ce que les autres ont déjà commenté. Mais si je ne suis comme tout le monde qu’un mouton, je peux être au moins un mouton transparent, avec la référence taggée en fluo sur la laine.
L’article en question est signé de Morgane Tual et il est paru hier dans *Le Monde* du 30 septembre. Il y est question de **Social AI**, une nouvelle application pour smartphone que l’autrice a testé. L’article est intéressant pour la présentation de l’application intéressante dont il parle, et cela suffirait à justifier de vous le signaler, mais aussi par une remarque inattendue qui touche directement à la question des pratiques artistiques émancipées du monde de l’art d’exposition.
Décrivons d’abord brièvement l’application, que de mon côté je n’ai pas pris le temps d’essayer. Le principe est celui d’un réseau social où vous êtes seul, ce qui est en soi une très bonne idée. Mais seul avec un peuple de chatbots causant par IA interposée. Des chatbots intelligents dira-t-on. Donc vous téléchargez l’application sur votre inséparable smartphone, puis vous cochez toutes sorte d’options pour sélectionner le genre de chatbot de votre réseau social perso. Des bavards courtois, flatteurs, blagueurs, ronchons, philosophes ou poètes, comme vous voulez, mais, rassurez-vous, jamais cochons ni insultants, GAFA oblige. Une fois votre forum bien habité vous pouvez commencer à dévider sans attendre vos états d’âmes et réflexions idiotiques quotidiennes. Alors et aussitôt votre petit peuple de chatbots déversera à son tour son flot de réactions, commentaires, approbations, réserves, critiques ou smiley. Ça sera toujours ça de moins à encombrer les autres réseaux sociaux. C’est donc encore de ce point de vue une très bonne idée. D’après le concepteur se serait une manière de tourner ultra-vite sept fois la langue avant de risquer un mauvais retour de bâton dans une assemblée de vives susceptibilités n’ayant pas la sagesse de tourner sept fois la leur sur le clavier. Pourquoi pas, il faut de tout pour faire un monde, et il faudra de plus en plus de tout dans le monde artificiel qui s’annonce. On attend impatiemment la killer app pour chatbot entre eux sans aucun utilisateurs.
J’en viens à la remarque qui m’a retenu, et que je m’étais faite dès la description, sans attendre la morale, mais qui m’a frappé car je pensais être à peu près seul à me faire ce genre de réflexion. Je cite : « (…) le gadget aura au moins le mérite, à la manière d’une expérience artistique, de nous interroger sur notre propre rapport aux réseaux sociaux (…) ». Voilà, c’est dit, avec Social AI nous avons affaire à quelque chose qui relève d’une expérience artistique ! Le malentendu est probablement qu’ici l’art est défini en creux comme quelque chose d’inutile (un gadget) qui interroge quelque chose (n’importe quoi fait l’affaire, mais ce sera plus crédible avec un grand problème de société), ce qui caractérise en effet assez bien l’art d’exposition, en ajoutant toutefois « et qui ne mange pas de pain » (traduit pour l’IA : « sans que ça n’engage à rien ni ne porte à conséquence »). Or ce qui est à noter je crois, c’est que cela relève bel et bien d’une expérience artistique, mais avec la très grande qualité de ne pas le revendiquer, ni de jouer petit bras dans l’espace étriqué, protégé et contrôlé de l’institution-marché de l’art d’exposition. Voici quelque chose comme une œuvre qui ne se dit pas d’art, qui investit un espace beaucoup plus vaste, et qui ouvre sur un usage divergent du monde sans nous faire la leçon d’un questionnement éthique ou politique. L’art que nous attendons pas et qui ne nous attend pas mais dont nous avons besoin.
Sur quelques gestes démarquables de Clément Bleu-Pays par DeYi Studio pour la revue TINA
Clément Bleu-Pays opère dans le champ du discret. Son terrain de jeu est sans limite. Son œuvre est pervasive. Cela demande sans doute quelques explications, mais lui n’en donnera pas. Quelques amis sur Instagram suffisent à lui assurer une audience qu’il ne cherche pas à augmenter du moindre effort de médiation. On tentera donc ici un bref commentaire.
Soit un petit carré de papier jaune fluo, glissé dans la réglette porte-étiquette d’un rayonnage de supermarché. Très peu le remarqueront. Du même jaune qu’un sticker promotionnel, il semblera avoir été simplement oublié sans inscription. Nous pouvons cependant le voir pour ce qu’il est : un monochrome jaune. Et l’apprécier en tant que tel, même si le contexte ne nous y invite guère. Clément Bleu-Pays ne s’encombre pas de légitimité. Nul besoin de galerie ou de musée. Une laverie, un Franprix ou une épicerie indienne font l’affaire. Son travail s’inscrit de plein droit dans le quotidien le plus immédiat sans autre forme de procès. Il a bien réalisé ce petit monochrome jaune fluorescent de 4×4 cm.
Autre monochrome, rouge cette fois-ci, de 9,5×9,5 cm, dans un fast-food de Bercy. Clément Bleu-Pays à recouvert un carreau de faïence blanche d’un adhésif rouge, prolongeant ainsi vers le bas la frise de carreaux rouges et blancs courant tout le long du restaurant derrière les banquettes. Seul un œil attentif détectera l’anomalie, et seul un client bien informé soupçonnera un geste artistique. Mais c’est l’attention qui compte, plus que l’intention de l’artiste. Et nous ne sommes pas invités à un petit jeu de connivence entre initiés. L’enjeu est une augmentation des performances de la sensibilité, comme antidote à l’anesthésie généralisée entretenue par l’industrie culturelle.
Monochrome noir n°5 (Manifeste), 2024, revêtement adhésif, 15,5 x 15,5 cm, UNIQLO ITALIE 2, Paris
Un dernier monochrome pour mieux cerner le mode opératoire de Clément Bleu-Pays. Il est noir et mesure 15,5×15,5 cm. Vous remarquerez que mon commentaire est bien organisé, par ordre croissant de taille. Mais rassurez-vous, cela n’ira pas plus loin. Aucun gigantisme et aucun goût du spectaculaire ici. Ce monochrome démarquable a pris place sans rien demander dans le hall du magasin Uniqlo de la place d’Italie. Au même format que le logo rouge d’Uniqlo, et à côté de lui, il vient ponctuer un texte imprimé au mur comme à l’entrée d’une exposition dans un musée. Il est sous-titré manifeste. Et il affirme en effet radicalement une manière d’être au monde totalement transparente dans son évidence de déjà-là qu’on ne remarque pas, et tout aussi parfaitement incongrue dans le malaise troublant de celui qui n’a pas été invité et qui ne sera jamais chez lui. D’une certaine manière, ce monochrome posé comme un tampon sur une calligraphie, co-signe le statement mural d’Uniqlo en le démarquant ainsi : « This is LifeArt. Le LifeArt ce sont des gestes conçus pour améliorer la vie de chacun. Simple et de qualité. Ils s’adaptent au train de vie contemporain, et évoluent sans cesse, influant le sens de l’esthétique et du détail ».
Outre ces monochromes, Clément Bleu-Pays réalise aussi des images étrangement quelconques qui redoublent insidieusement la familiarité de l’environnement dans lequel elles s’infiltrent clandestinement. Dans une société d’exposition intégrale la manœuvre est fragile et redoutable. La banalité extrême démarque ainsi fatalement l’ordinaire tristounet de nos routines quotidiennes. Le client distrait que nous sommes consultera par exemple sans le savoir une série de huit photographies que Clément Bleu-Pays à transférées par AirDrop dans un iPhone de démonstration sur le présentoir d’un Apple store. Le paradoxe de ce geste de pirate est que ces images n’ont absolument rien de remarquables et qu’elles pourraient être déjà là, prises par un vendeur ou par un autre client. À ceci près que ces photos d’amateur ont été prises ailleurs et que le smartphone est retenu par un fil à la table. Ailleurs, au magasin Ikea de la Madeleine, Clément Bleu-Pays a remplacé une image dans un cadre avec passe-partout du rayon salon. La photographie qu’il a choisie et imprimée au format ad-hoc n’est pas si différente de celle qu’aurait pu choisir le chef de rayon, mais c’est la sienne, et elle existe ainsi socialement dans ce magasin, ou n’existe pas, pareille et étrangère, dissemblable et identique, convenable et intruse. De ces tours de passe-passe nous découvrirons d’autres fois par inadvertance une photographie de pain dans la boulangerie l’Entracte, à Paris, un gros plan sur des grains de café au Starbuck de la rue Monge, des image d’oranges au Franprix de la rue Dareau. Imprimées sur toile tendue sur châssis, ou sur plastique adhésif, ou encore fixée au double face, et positionnées subrepticement en des places improbables et pourtant attendues, de ces photographies on pourrait dire qu’elles sont en quelque sorte publiquement exposées en cachette.
Monochrome fluorescent, 2024, papier fluorescent, 4 x 4 cm, rayon des farines de INDIAN SUPER MARKET, Paris
On comprend donc que l’œuvre de Clément Bleu-Pays n’est par principe pas exposée. Elle est là où elle est, présente et invisible, active par effraction du sensible dans l’ordinaire prévisible, et simplement documentée pour quelques proches qui forment la communauté interprétative par laquelle advient la dimension artistique non déclarée de ces gestes démarquables.
BLOOMSMASCHINE : ma collaboration avec ChatGPT. par Frédéric Moulin
CONTEXTE (Je m’excuse par avance de certaines redondances inévitables entre cette introduction et le texte proprement dit.)
Fin 2016, j’ai entamé pour le site de D-Fiction la rédaction d’un genre de feuilleton ― le terme workshop était, je crois, employé de préférence par mes hôtes ― autour des Statuts de Kilkenny, un ensemble de lois promulguées au Moyen Âge, en 1366, par un parlement réuni dans la ville irlandaise éponyme, que présidait le fils du roi d’Angleterre. Ces statuts avaient pour objet d’interdire aux colons anglais, nobles, négociants ou religieux, et à la population indigène d’origine gaélique (celte), paysans, nobles chefs de clans ou même artistes itinérants, de se mêler. Cela supposait une stricte séparation sur le plan linguistique, la fin des mariages « mixtes » surtout dans l’aristocratie, de nombreuses mesures vexatoires envers les Irlandais et, on s’en doute, une nette subordination des locaux vis-à-vis des colons dans le cadre de ce système de « développement séparé » (pour employer la terminologie sud-africaine). Il importe de préciser que si les révoltes successives et les affrontements intercommunautaires en Irlande, qui après l’indépendance se sont poursuivis en Ulster britannique, sont habituellement expliqués par l’antagonisme opposant protestants et catholiques, cette distinction religieuse n’existait évidemment pas à l’époque des Statuts de Kilkenny. Loin d’être un détail, le constat de la discontinuité, de l’hétérogénéité des motifs d’une oppression par ailleurs remarquablement constante à travers toute l’histoire du pays depuis la conquête, a largement motivé mon projet de texte, que j’ai poursuivi au-delà des premiers épisodes postés sur D-Fiction car je l’avais dès le départ conçu comme un livre en devenir. Mon présupposé, mon hypothèse de travail dirons-nous, en commençant de l’écrire, était que les mécanismes de la ségrégation, raciale ou religieuse, ainsi que les rapports de domination institutionnalisés dans leur ensemble, pouvaient être envisagés en dehors de toute forme d’essentialisation, de l’oppresseur comme de l’opprimé. J’ai entrepris d’illustrer cette façon de voir ― je ne dis pas « démontrer » car mon intention n’a jamais été de rédiger un essai ― d’abord dans le contexte irlandais, puis dans celui plus large du nécessaire inventaire des horreurs et iniquités nées des temps modernes, du commerce triangulaire à l’apartheid en passant, bien sûr, par l’apogée de la période coloniale, au 19e siècle et au début du 20e. J’ai bien conscience que mon « compte-rendu d’expérience » concernant une session Chat-GPT laissera très probablement sur leur faim ceux qui le liront. D’abord, objecteront-ils, à bon droit, quel saurait être l’intérêt de décrire, comme si elle avait quelque chose de nouveau, une expérience à laquelle des millions d’individus des plus divers (dont, sans aucun doute, nombre de mes lecteurs) se sont déjà prêtés, et que des millions d’autres seront en train de vivre à l’heure même où l’on lira ces lignes ? Et si l’auteur et observateur humain, en termes d’analyse, pense avoir cependant quelque chose à apporter, comment expliquer qu’il se montre, pour finir, si avare de commentaires ? La raison principale en est que le présent texte est donc à replacer dans le contexte du livre en cours, dont le fond n’a rien à voir avec la technologie, et dont la forme, ceux qui en ont suivi la genèse sur D-Fiction le savent, emprunte, mais sur le mode ludique, les points de vue offerts par différents médias, parmi lesquels l’Intelligence Artificielle représente le dernier venu. La grande différence avec les autres chapitres ― et c’est ce qui m’appelle à faire ces commentaires, présentés ici pour eux-mêmes mais appelés à figurer tels quels dans le livre, bien que son vrai sujet soit les Statuts et leurs implications ― réside en ce que dans ceux-ci j’imitais le ton du journaliste, l’approche de l’historien, la voix du romancier ou du concepteur de série, tandis que l’IA est à la fois un média et un acteur (pas au sens de comédien, bien entendu, et encore, c’est parfois le cas…) qui précisément (au-delà de la notion de médiation, reliant l’intention au contenu ou produit) exprime un point de vue : son propre point de vue.
ChatGPT
Excellent choix ! Une nouvelle historique sur les Statuts de Kilkenny peut être fascinante. Pour nous assurer de bien démarrer, pouvez-vous préciser quelques détails supplémentaires ?
Point de vue et personnages : Préférez-vous suivre un personnage historique réel ou fictif ? Peut-être un noble, un paysan, ou un marchand ?
Cadre temporel et géographique : Souhaitez-vous explorer principalement la ville de Kilkenny en 1366, ou préférez-vous inclure d’autres lieux et moments de l’époque médiévale en Irlande
Thèmes spécifiques : Y a-t-il des thèmes ou des tensions spécifiques que vous aimeriez explorer, comme les conflits culturels entre les Anglais et les Irlandais, les enjeux économiques, ou les intrigues politiques ? Ces précisions nous aideront à créer une histoire riche et captivante.
[Comme je l’avais fait pour mes instructions initiales, je réponds aux demandes d’éclaircissements, fort légitimes, de ChatGPT, en tapant distraitement une ou deux phrases dans un français approximatif, toujours affalé devant les Jeux Olympiques sur le canapé de mon frère. Celui-ci a eu la gentillesse d’accepter de me seconder dans mon entreprise, à savoir se familiariser enfin avec le fonctionnement et les compétences du fameux Bot, en dépit de ma technophobie franchement handicapante. Je n’explique pas à ChatGPT, qui s’en moque, avoir déjà écrit pour l’essentiel mon livre sur le sujet des Statuts de Kilkenny, celui que vous êtes en train de lire, mais, ignorant ses deux premières séries de questions au profit de la troisième, concernant les thèmes à privilégier, lui « suggère » la même approche qui m’a guidé : explorer la piste d’un possible rapprochement avec l’apartheid en Afrique du Sud.]
Très bien, une nouvelle historique sur les Statuts de Kilkenny, explorant les tensions et les divisions culturelles de l’époque tout en faisant un parallèle avec l’apartheid, offre un cadre riche et complexe. Voici une proposition pour le début de cette nouvelle :
[Le paragraphe qui précède ne s’est pas affiché avant, mais bien en même temps que l’amorce de nouvelle annoncée, placée à la suite. Je vois tout ça se matérialiser d’un coup sur la tablette posée sur mes genoux, du coin de l’œil, mon regard aimanté par l’autre écran, au mur. Puisque l’IA, pour intégrer mon périlleux parallèle transhistorique, a pris l’initiative de situer d’emblée l’action du récit à deux époques différentes, ce début apparaît lui-même divisé en deux longs paragraphes, composés simultanément… Simultanément et, surtout, instantanément, autant dire en beaucoup moins de temps qu’il n’en faut à l’Irlandaise Ciara McGing pour rater son plongeon et finir dernière de sa série dans la compétition de haut-vol à 10m.]
ChatGPT
Kilkenny, 1366
La cloche de la cathédrale Saint-Canice retentissait lourdement dans le crépuscule, répercutant un écho solennel à travers les ruelles pavées de Kilkenny. L’ombre de la tour s’étirait comme une sentinelle silencieuse sur la ville, témoignant des récents bouleversements qui avaient secoué ce coin d’Irlande.
Ailill Ó Corraighín, un jeune forgeron irlandais, s’arrêta un instant pour essuyer la sueur de son front. Il venait de passer la journée à ferrer des chevaux pour les nobles anglo-normands, dont la présence devenait de plus en plus imposante depuis la promulgation des Statuts de Kilkenny. Ces lois avaient été mises en place pour empêcher les mariages mixtes et interdire aux Anglais de se conformer aux coutumes irlandaises. Pour Ailill, cela signifiait non seulement une stricte séparation de son peuple, mais aussi une érosion de son identité culturelle.
Alors qu’il rangeait ses outils, il aperçut Maud de Clare, la fille d’un puissant seigneur anglo-normand, qui traversait la place. Elle était accompagnée de ses gardes, mais leurs regards se croisèrent brièvement. Ailill se souvenait des jours plus simples, lorsqu’ils jouaient ensemble, insouciants des divisions qui les séparaient maintenant. Le fossé entre eux, autrefois invisible, était devenu un gouffre insurmontable.
Maud de Clare se tourna vers ses gardes et leur murmura quelque chose. En quelques instants, ils l’avaient laissée seule, et elle s’avança vers Ailill. « Nous ne devrions pas nous parler, Maud, » murmura Ailill, les yeux fuyants. « Les Statuts… » « Les Statuts peuvent bien aller en enfer, » répliqua-t-elle avec une détermination qu’il ne lui connaissait pas. « Ce n’est pas juste. Ces lois nous privent de notre humanité, de notre capacité à choisir. » Ailill la regarda, partagé entre la peur et l’espoir. Les paroles de Maud résonnaient en lui comme un écho de ses propres pensées. Les Statuts de Kilkenny étaient plus qu’une série de lois : ils étaient une arme, utilisée pour maintenir la domination anglaise et effacer les coutumes irlandaises.
Dublin, 1960
Les rues de Dublin, près de six siècles plus tard, résonnaient des mêmes tensions sous une forme différente. Liam Ó Conaire, un historien passionné, fouillait dans les archives poussiéreuses du Trinity College. Il cherchait des documents relatifs aux Statuts de Kilkenny pour sa thèse. Son mentor, le professeur Ní Chuilleanáin, l’avait encouragé à explorer les parallèles entre ces lois médiévales et les régimes de ségrégation plus récents, comme l’apartheid en Afrique du Sud.
Liam découvrit une lettre ancienne, écrite par un ancêtre éloigné, Ailill Ó Corraighín. Les mots dépeignaient une réalité dure et oppressante, mais ils portaient aussi une note d’espoir et de résistance. Ailill parlait de rencontres secrètes, d’amour interdit, et d’un rêve d’unité malgré les divisions imposées par les Statuts.
Qu’en pensez-vous ? Cela vous semble-t-il une bonne direction pour notre nouvelle ? Y a-t-il des éléments ou des détails supplémentaires que vous aimeriez inclure ou modifier ?
[Le fait que le récit proposé par l’IA présente quelques failles, non sur le plan strictement narratif, d’ailleurs, mais en termes de vraisemblance historique, n’offre qu’un bien piètre réconfort à l’humain qui a si longtemps sacrifié ses jours et ses nuits à l’écriture de fiction. Je pourrais objecter à l’IA, et elle en tiendrait compte sans doute, que les Statuts de Kilkenny ne changeaient pas grand-chose à la situation d’un manant qui se serait avisé de fricoter avec la fille d’un représentant de la haute noblesse (Maud de Clare ! rien que ça ! comme son patronyme me l’a d’emblée fait soupçonner, ce personnage, une très grande dame, a bien existé même si sa mort précède la promulgation des Statuts…) ou même de la noblesse en général. Son forgeron eut-il été un Anglais 100 % A.O.C., je doute qu’il eût pour autant très bien fini. Un autre défaut qui frappe, sachant néanmoins que les futurs éditeurs de fictions produites par l’IA chargeront quelque pauvre mercenaire humain d’y remédier, c’est à quel point le cahier des charges idéologique imposé (ma faute, ma très grande faute !) affleure à la surface du texte, dégorgeant d’observations pontifiantes et de concepts contemporains plaqués jusque dans les dialogues. Toutes choses qui n’ôtent rien, j’insiste, au vertige qu’on ressent, la première fois qu’on s’y frotte, confronté à la capacité d’initiative de la machine et à ses implications philosophiques, littéraires, concrètes. Sortir de la sidération est difficile, à moins, c’est mon avis, d’être complètement idiot. L’objet du présent livre, le mien, pas la fiction de ChatGPT, n’est cependant pas, à l’origine, de rendre compte de l’autodestruction programmée de l’humanité via le développement de l’Intelligence artificielle générative, mais bien d’explorer le thème de la ségrégation à partir d’un exemple tiré de l’histoire irlandaise. Quant à ce chapitre en particulier, il vient naturellement compléter le « dispositif » d’ensemble, consistant, on le sait, à aborder mon sujet à travers le prisme de différents médias, eux-mêmes objets plus qu’outils de ma fiction. Comment, m’étais-je par exemple demandé, dans un chapitre de ma première partie, l’événement constitué par la promulgation des Statuts de Kilkenny, en 1366, pourrait-il être abordé par les auteurs d’une série télé d’inspiration médiévale ? Toutefois, vu de là où j’en suis, cela se complique… En effet, je ne peux que constater que l’angle que j’avais alors supposé que les showrunners de la série adopteraient de préférence est précisément celui qu’adopte (que me propose, dirait-il poliment) ChatGPT : les amours interdites d’une jeune noble anglo-normande et d’un Gaël ― même si le mien, pour la raison que j’ai dite, était lui-même issu de la noblesse locale. Ma propre « Maud de Clare », le lecteur s’en souviendra peut-être, s’appelait Isobel de Bonneville, et son galant présomptif Brian, fils de Cathal McDermot. J’avoue envisager un instant la possibilité que ChatGPT ait « lu » mon texte, un temps disponible en ligne, sur le site D-Fiction… Après tout, en dépit de sa modeste audience, ce doit être une des seules tentatives de fiction à avoir été produite sur le sujet des Statuts de Kilkenny… Le plus vraisemblable reste néanmoins qu’en ayant recherché quel serait l’angle le plus vendeur pour un auteur de télé chargé de le traiter, j’étais simplement parvenu à la même conclusion que ChatGPT aujourd’hui. J’ignore si l’on peut dire qu’existe (?) un ChatGPT par utilisateur, ou une plutôt une entité unique, menant de front des millions de conversations en parallèle… Je ressens en tout cas une étrange culpabilité de devoir interrompre notre jeune collaboration, et encore plus de ne jamais avoir eu l’intention d’écrire pour de bon cette fameuse nouvelle malgré tout sa bonne volonté et ses encouragements. Aussi j’essaie de lui rendre la politesse, avant poursuivre l’expérience selon les grandes lignes que je me suis fixées : « C’est une bonne mise en place », lui dis-je (ou plutôt je le tape ; je frémis à l’idée des extrémités auxquelles pourrait me porter cette bienveillance prudente si je ne répugnais pas à utiliser la commande vocale !). Puis j’ajoute, dans un même souffle pour ainsi dire : « J’ai aussi des questions sur la validité du parallèle entre l’histoire coloniale de l’Irlande et celle de l’Afrique »… La réponse de ChatGPT (à mes questions appelées à demeurer implicites, car je n’ajoute rien) me tombe dessus d’un bloc, là encore ― abstraction faite de son goût certain pour les alinéas.]
ChatGPT
Le parallèle entre l’histoire coloniale de l’Irlande et celle de l’Afrique, notamment en ce qui concerne l’apartheid en Afrique du Sud, est complexe mais valide à plusieurs égards. Voici quelques points de comparaison et des distinctions qui peuvent vous aider à explorer cette thématique de manière plus nuancée :
Points de Comparaison
1.Colonisation et Domination Étrangère :
Irlande : La conquête anglo-normande de l’Irlande a commencé au 12ème siècle, entraînant une domination anglaise et une colonisation qui ont persisté pendant des siècles. Les Statuts de Kilkenny (1366) visaient à empêcher l’assimilation des Anglo-Normands par les Irlandais en interdisant les mariages mixtes et en imposant des restrictions culturelles et linguistiques.
Afrique du Sud : L’apartheid (1948-1994) était un système de ségrégation raciale et de discrimination légalisée, mis en place par le gouvernement sud-africain de l’époque pour maintenir la domination de la minorité blanche sur la majorité noire et d’autres groupes raciaux.
2. Ségrégation Culturelle et Législative :
Irlande : Les Statuts de Kilkenny cherchaient à maintenir une séparation stricte entre les colons anglo-normands et les Irlandais natifs. Ils interdisaient notamment les mariages mixtes et l’usage de la langue irlandaise par les colons.
Afrique du Sud : L’apartheid imposait une ségrégation rigide dans tous les aspects de la vie (résidentielle, éducative, professionnelle, etc.), interdisant les mariages mixtes et imposant des restrictions sur les déplacements et les droits des non-Blancs.
3. Résistance et Lutte pour l’Identité
Irlande : Les Irlandais ont résisté à la domination anglaise par divers moyens, y compris des rébellions armées, la préservation clandestine de leur langue et de leurs coutumes, et plus tard, des mouvements politiques pour l’indépendance.
Afrique du Sud : La lutte contre l’apartheid a pris la forme de résistances violentes et non violentes, avec des figures emblématiques comme Nelson Mandela et des mouvements comme l’ANC (African National Congress) jouant des rôles cruciaux.
Distinctions Importantes
1. Contexte Temporel et Nature de la Ségrégation :
Irlande : Les Statuts de Kilkenny datent du Moyen Âge (14ème siècle) et sont issus d’un contexte féodal avec des conflits dynastiques et territoriaux.
Afrique du Sud : L’apartheid est un phénomène du 20ème siècle, enraciné dans les idéologies raciales modernes et l’exploitation économique capitaliste.
2. Enjeux Géographiques et Démographiques :
Irlande : La population était plus homogène ethniquement (principalement irlandaise et anglo-normande) avec des divisions culturelles et linguistiques.
Afrique du Sud : La population était extrêmement diverse, avec des divisions raciales entre Blancs, Noirs, Coloureds et Indiens, chacune ayant des statuts juridiques distincts sous l’apartheid.
3. Conséquences et Héritages :
Irlande : La lutte pour l’indépendance a finalement conduit à la création de l’État libre d’Irlande en 1922, bien que des tensions persistent, notamment en Irlande du Nord.
Afrique du Sud : La fin de l’apartheid a mené à des réformes politiques et sociales profondes, mais les inégalités économiques et les tensions raciales restent des défis majeurs.
Intégration dans la Nouvelle
Dans votre nouvelle, vous pourriez explorer ces parallèles en mettant en lumière les similarités et les différences à travers les expériences de vos personnages. Par exemple :
Ailill et Maud pourraient symboliser la lutte contre les divisions imposées, à l’instar des résistants irlandais et sud-africains.
Les archives que Liam explore pourraient révéler des histoires de résistances et de souffrances similaires, permettant de tisser des liens entre le passé irlandais et les luttes plus récentes contre l’apartheid.
Vous pourriez inclure des réflexions sur les conséquences à long terme des systèmes de ségrégation, tant en Irlande qu’en Afrique du Sud, en soulignant les impacts sur l’identité nationale et personnelle.
En faisant ces parallèles, vous offrirez une perspective riche et multidimensionnelle sur les effets durables de la colonisation et de la ségrégation.
[J’espérais détourner l’attention de ChatGPT de notre entreprise commune, n’ayant jamais eu, je le répète, l’intention de la mener à son terme, mais je dois bien constater qu’il ne lâche pas le morceau. Il n’a pas oublié pourquoi « nous » sommes là. ChatGPT, je l’ai remarqué, fait preuve de suite dans les idées, autrement dit d’une mémoire immédiate et d’une certaine constance. Ou dois-je dire «mon» ChatGPT ? Pourtant je n’en doute pas, c’est bien l’ensemble du système qui devrait récupérer les réflexions et les données que je lui ai confiées ― en échange des siennes, qu’il n’en a pas moins récupérées ailleurs. Je décide de décentrer encore plus le débat. La première partie de mon livre posait le problème des stratégies ségrégationnistes dans un contexte intra-européen, celui de l’histoire irlandaise, d’abord à travers un exemple résolument pré-moderne ; la seconde constitue une sorte de retour à et sur ce que nous savons ou pensons savoir du racisme moderne et de ses suites, à l’échelle globale. J’ai évoqué de multiples façons l’esclavage et la colonisation ; je me rends compte avoir peu parlé d’antisémitisme. Ce chapitre utilisant l’IA pourrait en être l’occasion. J’y ai déjà pensé avant ― il faudra le faire alors pourquoi pas ainsi ? Avoir évoqué l’histoire du racisme en oubliant presque ce qui formait le cœur de la doctrine nazie, ça ne peut pas aller. Sans compter que déjà au temps anciens des Statuts de Kilkenny, on massacrait régulièrement les Juifs. Cela, j’en ai un peu parlé, en filigrane, dans le passage du bouquin que j’ai consacré au Marchand de Venise. Entre les deux époques, j’en suis conscient, la notion de judéité s’est compliquée, son fond religieux s’étant brouillé tout en ne disparaissant pas, loin s’en faut. Et aujourd’hui il semblerait que la question ― cette expression est déjà malheureuse en soi ― s’avère plus complexe que jamais, et toujours aussi explosive. (…) Mieux vaut éviter de se tenir dans l’espace entre les barricades, on se fera tirer dessus par tout le monde, c’est évident… Qui serait assez neutre, m’étais-je souvent demandé récemment, pour m’entretenir de tout cela de façon dépassionnée ? La réponse est posée sur mes genoux… Plus de barricades. Plus de responsabilités à prendre. Mais je ne peux pas être trop frontal. D’abord parce que je n’ai pas d’a priori personnel à défendre. Et puis c’est la modération légendaire de ChatGPT qui m’a fait penser qu’il m’aiderait à jeter une petite lumière sur ce point aveugle de mon bouquin sur les mécanismes de la discrimination, tout en me permettant, je l’espère, d’émerger indemne d’un terrain indiscutablement miné. Pourquoi ne pas conserver l’angle irlandais, et littéraire ? Aussi, espérant lui faire enfin oublier notre maudite nouvelle médiévale, j’adresse à l’IA un message cette fois plutôt élaboré : « Je vais y réfléchir mais j’ai aussi des questions sans rapport direct avec cette histoire mais plutôt avec la thématique raciale dans la littérature irlandaise. Pourquoi Leopold Bloom est-il juif ? »―]
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Le personnage de Leopold Bloom dans « Ulysse » de James Joyce, qui est de descendance [sic] juive, est une décision littéraire chargée de significations complexes et multiples. Voici quelques raisons pour lesquelles Joyce a peut-être choisi de faire de Bloom un Juif :
1. Autre et Étranger Leopold Bloom est en quelque sorte un outsider dans la société irlandaise, similaire à la position de Joyce lui-même. En faisant de Bloom un Juif, Joyce accentue cette altérité. Les Juifs en Irlande au début du 20ème siècle représentaient une petite minorité, souvent perçue comme étrangère et différente. Cela permet à Joyce d’explorer des thèmes de marginalisation et d’aliénation à travers Bloom.
2. Universalité et Humanisme Joyce utilise Bloom pour incarner des thèmes universels d’humanité et de compassion. En tant que Juif, Bloom est à la fois irlandais et un représentant des expériences humaines globales, transcendant les frontières nationales et religieuses. Cela renforce le message humaniste de « Ulysse » en montrant que les expériences de l’individu peuvent être universelles.
3. Parallèle avec Ulysse L’œuvre de Joyce s’inspire fortement de l' »Odyssée » d’Homère, où Ulysse/Odysseus est un voyageur et un étranger dans de nombreuses terres. En faisant de Bloom un Juif, Joyce établit un parallèle entre le voyage de Bloom à travers Dublin et le périple d’Ulysse. Comme Ulysse, Bloom est à la recherche de son chez-soi et de sa place dans le monde.
4. Critique Sociale et Politique La présence de Bloom en tant que Juif dans « Ulysse » permet à Joyce de critiquer l’antisémitisme et les préjugés raciaux présents en Irlande et ailleurs. À travers les expériences de Bloom, Joyce expose l’hypocrisie et l’intolérance de la société irlandaise, invitant le lecteur à une réflexion critique sur ces sujets.
5. Identité et Multiculturalisme Bloom, étant le fils d’un immigrant hongrois juif et d’une Irlandaise catholique, incarne le multiculturalisme et la complexité des identités modernes. Joyce, qui lui-même vivait en exil volontaire, était profondément intéressé par les questions d’identité et d’appartenance, et Bloom devient un véhicule pour explorer ces thèmes dans le contexte irlandais.
6. Référence à la Tradition Littéraire En choisissant de faire de Bloom un Juif, Joyce s’inscrit également dans une tradition littéraire où les Juifs sont souvent utilisés pour symboliser l’intellect, l’errance et l’outsider. Cela permet à Joyce d’inscrire son œuvre dans une tradition plus large tout en apportant une perspective nouvelle et irlandaise à ces thèmes.
Conclusion En résumé, la décision de Joyce de faire de Leopold Bloom un Juif est une stratégie littéraire riche en significations. Elle permet à Joyce d’explorer des thèmes de marginalisation, d’identité, de multiculturalisme, et d’humanité universelle, tout en critiquant les préjugés sociaux et en faisant écho à des motifs classiques de la littérature mondiale.
[Je ne crois rien affirmer de scandaleux en disant qu’un jeune étudiant qui se serait donné la peine de lire le livre de Joyce et qui se donnerait celle d’y rechercher des citations et exemples de scènes susceptibles d’illustrer et justifier les différents points de la dissertation esquissée par ChatGPT pourrait, in fine, en tirer un certain profit intellectuel. Vu sous cet angle, l’IA peut encore être en partie considérée, provisoirement, comme un outil, comparable à un « Point-BAC » ou à un « Profil d’une œuvre » en plus foutraque. D’où l’intérêt pour moi de lui proposer d’écrire sur le même sujet que moi, puis de recueillir ses « réactions » face à des questions s’y rapportant indirectement, fût-ce au prix de nombreux détours, surtout quand elles pourraient être jugées délicates, politiquement sensibles, et d’une façon générale particulièrement embrouillées. J’ai souligné que ChatGPT s’était rapidement (si pas immédiatement, car il y a fallu des ajustements successifs) gagné une réputation d’IA « neutre », « impartiale » ou, aux yeux de certains, « politiquement correcte » : pas de risque, a priori, de le voir reproduire peu ou prou des propos racistes ou conspirationnistes, ou même simplement non consensuels, glanés sur la Toile. Là, je peux estimer avoir eu confirmation qu’il maîtrise l’art de ne rien dire, mieux encore peut-être que les hommes-troncs terriblement bavards qui sur l’écran de la télé de mon frère viennent de remplacer les plongeuses en maillot de bain. Je voudrais que ChatGPT aussi se jette un peu à l’eau. Je voudrais qu’il sorte du complet flou et se confronte un peu au réel, mon réel à moi qui est, cela va de soi, essentiellement livresque. Dans ce but, je lui demande si Joyce lui-même, en son temps, avait daigné expliquer peu ou prou pourquoi il avait confié à un personnage israélite, comme on disait à son époque qui était celle de Proust, le soin de guider nos pas à travers le Dublin mythique de son chef-d’œuvre expérimental…]
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James Joyce a effectivement laissé des indications sur son choix de faire de Leopold Bloom un Juif, bien que ses commentaires sur le sujet soient souvent fragmentaires et indirects. Joyce était notoirement réticent à expliquer en détail ses intentions littéraires, préférant laisser ses œuvres parler d’elles-mêmes. Cependant, voici quelques points basés sur les réflexions de Joyce et les analyses de ses contemporains et des chercheurs :
1. Correspondances et Entretiens Joyce a mentionné dans des lettres et des conversations que le choix de Bloom comme personnage juif avait des raisons profondes. Par exemple, dans une lettre à Harriet Weaver, sa mécène, Joyce décrit Bloom comme une figure représentant la tolérance et la compréhension humaine. Joyce a souvent souligné l’humanité universelle de Bloom, le présentant comme un « étranger » qui est capable de voir au-delà des préjugés locaux.
2. Complexité de l’Identité Joyce a exploré la complexité de l’identité à travers Bloom. Dans ses notes préparatoires à « Ulysse », Joyce s’intéressait à la façon dont l’identité de Bloom, en tant que Juif dans une société largement catholique, pouvait illustrer des thèmes de différence et de tolérance. Joyce a été attiré par la capacité de Bloom à naviguer entre différentes cultures et religions, reflétant ainsi la nature fluide et multiple de l’identité moderne.
3. Parallèle avec l’Odyssée Bien que Joyce n’ait pas explicitement expliqué le choix de Bloom comme Juif en relation avec l' »Odyssée » d’Homère, les parallèles sont clairs. Ulysse/Odysseus est un voyageur et un étranger dans de nombreuses terres, et Joyce a vu en Bloom une figure similaire d’errance et de quête. Le choix de faire de Bloom un Juif souligne cette dimension universelle et atemporelle de l’errance et de la recherche de l’identité.
4. Commentaires de Contemporains Des contemporains de Joyce, tels que Frank Budgen et Stuart Gilbert, qui ont discuté longuement avec lui, ont rapporté que Joyce voyait en Bloom une incarnation de la tolérance et de l’humanité. Gilbert, dans son « James Joyce’s ‘Ulysses’: A Study », cite Joyce expliquant que Bloom, en tant que Juif, est un observateur et un participant à la société irlandaise, mais aussi quelqu’un qui est fondamentalement différent, ce qui lui permet de critiquer et de comprendre cette société de manière unique.
5. Représentation de la Tolérance et de l’Humanité Joyce a également été influencé par les idées de l’universalisme et de la tolérance, souvent associées aux traditions humanistes juives. En faisant de Bloom un Juif, Joyce pouvait plus facilement associer son personnage à ces idéaux, créant un contraste avec les préjugés et l’intolérance qu’il voyait dans la société irlandaise de son époque.
Conclusion Bien que Joyce n’ait pas fourni une explication unique et détaillée de son choix de faire de Leopold Bloom un Juif, ses lettres, notes, et les commentaires de ses contemporains offrent un aperçu des motivations complexes derrière ce choix. Joyce semble avoir utilisé la judaïté de Bloom pour explorer des thèmes de tolérance, d’identité, et d’humanité universelle, tout en critiquant les préjugés sociaux de son époque.
[La conclusion, admettons-le, pourvu qu’on l’envisage là encore d’un point de vue un peu scolaire, est fort bien faite… Je n’en suis pas moins frappé de constater qu’à l’image, d’ailleurs, de l’ensemble du texte dont elle prétend offrir une synthèse, elle a en commun avec le précédent effort de ChatGPT ― alors que ma seconde question se voulait précisément moins générale, appelant par sa nature même le recours à des références précises ― l’abondance de termes vagues, pompeux, renvoyant parfois à des concepts anachroniques. Quelques nuances, cependant : s’il y reste question « d’identité » et « d’humanité universelle », les notions de « marginalisation » et surtout de « multiculturalisme », vraiment trop 21e siècle, ont dans cette seconde conclusion cédé la place à l’idée de « tolérance » héritée des Lumières, avec ses accents voltairiens. De même, les préjugés sociaux que Joyce est censé avoir souhaité combattre à travers le personnage de Bloom, ou, devrais-je dire, sa judéité, sont désormais plus spécifiquement ceux « de son époque ». En remontant le cours du raisonnement ou plutôt cette cascade d’alinéas, tel un vigoureux saumon irlandais impatient d’être fumé ― ceci me paraît une assez juste métaphore de l’actuelle « ruée vers l’IA » avec, déjà, son triste bilan carbone ―, je retrouve la même tendance à juxtaposer des références vaguement précises, si on me passe l’expression, et des généralités pas dénuées de sens, mais presque, sur le mode journalistique, participant de ces stratégies d’évitement qui ont permis à la plupart d’entre nous de nous acquitter sans trop de dommages des importunes « rédactions » puis « dissertations » ayant jalonné nos chères études. Parmi ces stratégies, la plus employée ici est le recours fréquent à la notion d’humanisme et à l’emploi de l’adjectif correspondant. Pour finir le poisson (soit la question, le saumon, moi…) est tout à fait noyé, sans risque de contradiction et sans polémiques inutiles. J’apprendrai plus tard que la réalité (ainsi que je m’en doutais) était passablement contrastée : « Une de ses théories favorites, empruntée à Sexe et caractère d’Otto Weininger (écrit Richard Ellmann, biographe de Joyce, après avoir cité deux amis sur lesquels celui-ci avait exercé « sa vieille curiosité de la nature juive ») était que les juifs sont par nature des hommes féminins »… « Weininger soutenait que la femme (comme l’homme féminin) est négation, néant, non-existence, illogisme, passivité. » (Autant pour l’humanisme, au sens inclusif du terme !) Joyce « complétait Weininger par cette remarque personnelle que ranger les livres la tête en bas était un trait féminin »… « Dans Ulysse, Joyce attribue la même caractéristique à Bloom, dont plusieurs livres sont rangés à l’envers. » J’ai quant à moi soutenu, au cours d’une récente conversation avec une personne du sexe, comme on disait au 18e siècle, que presque pas un homme de génie, ou simplement de talent, n’a jamais pu parler ou écrire sur les femmes sans perdre dans l’instant, et de la façon la plus complète, l’usage de ses facultés intellectuelles. S’il fallait vraiment donner un sens à ce rapprochement entre judéité et féminité, peut-être serait-ce à ce niveau, dans l’absurdité des représentations brouillées par l’incompréhension, le désir ou la jalousie ? Un biographe n’est pas infaillible ou omniscient, ni exhaustif ni toujours dénué d’arrières-pensées. Tout se discute, certes, et mérite contre-enquête. Néanmoins , même dans l’éventualité d’amendements qu’on serait amené à y apporter, après croisement avec d’autres sources, le tableau qu’il nous est permis ici d’entrevoir promet de rester assez éloigné du l’image idyllique présentée par ChatGPT d’un Bloom voué à « naviguer entre différentes cultures et religions, reflétant ainsi la nature fluide et multiple de l’identité moderne »…]
ChatGPT / OpenAI
Remarque sur l’exactitude : les Services tels que ChatGPT génèrent des réponses en lisant la demande d’un utilisateur et, en réponse, en prédisant les mots les plus susceptibles d’apparaître ensuite. Dans certains cas, les mots les plus susceptibles d’apparaître ensuite peuvent ne pas être les plus exacts sur le plan factuel.
[Mon frère m’a transféré le lien vers le site d’OpenAI au cas où je souhaiterais poursuivre mes petites expériences autrement que sur l’écran de mon mobile au format de timbre-poste. Faire de l’humour au sujet des performances actuelles de l’IA, en dehors du fait qu’il est toujours bon de rire un peu, ne saurait nous mener nulle part. Il faut se garder de préjuger de ce qu’elle pourra faire (et aussi être) demain. Je la préfère ainsi, maladroite, scolaire, que brillante et impérieuse. Telle qu’elle est elle m’impressionne assez… J’ai connaissance de beaucoup d’auteurs pas meilleurs pour deux sous, qui se satisferaient fort bien des aventures de Maud de Clare mais ne mettraient pas seulement quelques dixièmes ou centièmes de secondes pour en écrire le premier chapitre. La part inquiétante de ChatGPT est sa modération, sans mauvais jeu de mots. Sa tiédeur constitue un périlleux anesthésiant. Il pourrait y avoir, il y a déjà eu, semble-t-il, des IA « orientées » politiquement, ou susceptibles de le devenir. Je refuse de voir là le danger principal. Considérer que la diffusion de telles ou telles idées, fussent-elles mauvaises voire nauséabondes, serait la véritable menace à quoi nous exposent les nouvelles technologies en devenir, c’est passer à côté de l’essentiel. La haine c’est pas joli, mais aussi c’est pas nouveau. Qu’une intelligence incapable de compassion, puisque imperméable (étrangère) à la souffrance, pérore sur le sentiment d’humanité, voilà en revanche qui est nouveau… L’humanisme, dont ChatGPT paraît faire grand cas, consistait à l’origine à placer l’humain au centre ― au centre de quoi, me direz-vous, et qu’on en est revenu, mais n’est-ce pas une raison supplémentaire pour ne pas s’y référer à tort et à travers ? Pas de quoi s’en faire, en apparence. Rien de comparable à une bombe de l’IRA explosant dans un pub en 1980 ou à une fusillade en terrasse d’un café. Une compassion sans passion, l’humanisme sans l’humain : tout un programme, en effet, mais que nous découvrons sous sa forme la plus rassurante, bénigne.]
ChatGPT / OpenAI
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[Permettez. Désastre écologique mis à part, en tant qu’écrivains, artistes, philospohes ou simples citoyens, l’intelligence Artificielle n’est pas l’un des problèmes, mais bien LE problème auquel nous devons aujourd’hui nous confronter. Le capitalisme, tel qu’on l’entend désormais, n’est pas tant l’exploitation, qui était déjà de mise aux temps féodaux des Statuts de Kilkenny, ni l’accumulation théorisée par Marx, qui certes se poursuit à un rythme accéléré, que l’automatisation monstrueuse de ces phénomènes et de l’existence en général. Que les acteurs traditionnels de la course aux profits ― je pense aux fameux traders généralement honnis ― voient leur rôle amoindri et leurs emplois menacés à terme, me paraît en fournir un exemple assez parlant. La crise climatique pose un problème de survie, néanmoins la sauvegarde du vivant ne saurait être assurée, il me semble, par une civilisation globale ayant décrété l’obsolescence de l’intelligence organique. L’IA n’a rien d’une énième technologie risquant de « tomber entre de mauvaises mains » si l’on n’y prend pas garde : elle est, en soi, un mauvais outil, pour la simple raison qu’elle n’est pas un outil. Elle ressemble encore à un instrument, dans le cas de ChatGPT du moins, mais pour en être un, il faudrait qu’elle demeure le prolongement de la pensée et de la volonté humaines, au lieu d’être appelée à s’y substituer. La volonté humaine reste présente en amont, certes, mais nous savons bien que ce n’est ni la mienne ni la vôtre, mais celle de gens qui croient seulement savoir ce qu’ils font. Ils savent juste à peu près ce que nous voulons : nous voulons ne pas vouloir, et nous en laver les mains comme un certain procurateur romain ― déicide indécis envers qui la postérité s’est montrée généralement indulgente, parce qu’on lui sait gré, dans la tradition chrétienne romanisée, de n’avoir à aucun moment véritablement décidé ce qu’il a décidé, de décider. Plus encore que Dieu, justement, acharné, depuis la naissance des monothéismes, à nous faire honte de ce que nous sommes, l’IA est l’expression ultime de la haine de soi de l’être humain. C’était la conclusion à laquelle aboutissait le monde surpeuplé de Tous à Zanzibar de John Brunner en 1968… C’est la façon, plus métaphorique que littérale, dont je me plais à interpréter de préférence le choix qu’Éric Arlix et moi-même avons fait de suggérer, à la fin de notre récit Agora zéro, que le jeune concepteur d’un « algorithme justicier » pourrait être lui-même une IA se confondant avec sa propre « création » : pour envisager de confier les destinées d’individus singuliers à une machine, supposée impartiale, il faut en un sens en être devenu une, ou se voir ainsi. Et cela nous ramène, mine de rien, à mon sujet, celui du livre Les Statuts de K. dont vous êtes en train de lire un chapitre… Car enfin, quand Zemmour (l’homme qui dit tout haut ce que le reste de l’extrême-droite pense tout bas) appelle de ses vœux une « révolution antipolitique » ― les soupçons de fascisme que peut éveiller semblable formule ne sauraient, à l’inverse de certaines attaques récentes contre d’autres personnalités, être réduits à l’expression d’une mauvaise foi gauchiste hystérisée ― pour, continue-t-il, répondre à « l’urgence du combat identitaire » parce que « nous sommes assiégés par une autre civilisation », comment ne pas se dire que ce choc des civilisations qu’il invoque est non seulement douteux, mais, surtout, ô combien, dérisoire, comparé à la menace que fait poser sur notre civilisation humaine (fondée certes sur l’outil et la machine, en tant qu’instrument…) l’abdication de notre vraie identité d’espèce consciente, pensante, douée d’émotions et du terrible pouvoir de traduire en actes idées et sentiments ? Je l’avoue, sur cet article, je suis un romantique incurable : notre suicide collectif, mondial, global, a vite fait de me tirer des larmes d’encre, des sanglots numériques de sous Victor Hugo en descente d’ecstasy. Si naïve et philosophiquement obsolète que soit cette croyance, je n’ai jamais pu ne pas croire à la beauté ― me défaire de ma foi en quelque chose qui, d’une façon ou d’une autre, mériterait ce nom. Aussi loin qu’on remonte dans l’histoire, aux premiers balbutiement mésopotamiens ou de l’ancienne Chine, jamais nul peuple n’a été assez esclave, me semble-t-il, pour devenir collectivement incapable de créer de la beauté et de la partager… Cette liberté, la plus élémentaire (car disposer des moyens de sa propre survie n’est pas une liberté, mais une nécessité) et dont même l’être le plus déshérité au fond de la plus sombre prison parvient à se saisir, gravant des formes, adressant des signes à qui pourra les lire, nous sommes les premiers à nous apprêter à nous en dessaisir, comme de celle, pénible, de sentir pour agir… Sans nier aux groupes comme aux individus leur droit à s’opposer et à être en désaccord sur la meilleure façon de vivre, sans nier la légitimité et la nécessité de beaucoup de luttes, quelle importance donner, sur le long terme, à l’aube d’un bouleversement aussi cataclysmique, aux fixations sexuelles et alimentaires des uns et des autres, au taux de mélanine de chacun, au vrai nom de Dieu ou aux façons différentes dont la parole de Jésus est comprise par les protestants et les catholiques irlandais ? Or, et je finirai sur ce triste paradoxe, c’est notre écœurement légitime face à notre propension à user de ces mêmes plaisants motifs pour nous manipuler dans la haine et nous dépecer dans la joie, qui nous fera nous abandonner trop volontiers au soupçon qu’une machine non désirante, ne désirant donc rien ni surtout personne, saura toujours bien penser.]
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