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#11/ Lire écouter : les sound studies pensent le son du monde par Pierre Tenne

L’Écoute. De l’Antiquité au XIXe siècle. Une anthologie – Martin Kaltenecker (sous la direction de)
 Éditions de la Philharmonie/Éditions MF, Paris, 2024, 1354 pages, 40 euros.

Critique, n°927-928, août-septembre 2024, « Sons. De la musique aux arts sonores », dirigé par Élie During et Bastien Gallet, éditions de Minuit, 192 p., 14,5€

La chanson en trend TikTok qui passe dans les écouteurs, la reprise folk ou latine d’un tube d’Outkast qu’a prévue pour ce restaurant une entreprise de marketing sonore, la compilation de salsa portoricaine des années 60 diffusée depuis YouTube dans cette fête pour trentenaires branchés, cette acid house entendue dans une friche industrielle de banlieue, ou ces trente secondes de contrebande d’une chanson des Beatles dans une émission de téléréalité. Bien souvent, la musique s’écoute sans plus savoir qui chante, ce qui est chanté, pour qui. Soudain, un album presque trentenaire d’Oasis apparaît comme n°1 au Royaume-Uni: l’histoire musicale elle-même n’est plus pertinente pour caractériser ce qui va être écouté massivement aujourd’hui.

Le détour par l’histoire invite à comprendre autrement ce qui se joue dans l’effondrement d’une certaine culture sonore, qui reste celle qu’on met en avant dans la presse spécialisée ou les programmes des principales institutions musicales, qui semblent toujours postuler un public désireux de connaître ceux et celles qu’il écoute, de posséder une connaissance fine de leur musique, et d’accéder à leurs productions musicales (en concert ou sur enregistrement) qui soit de qualité. La somme énorme produite par les éditions de la Philharmonie et les éditions MF permet de se plonger dans une histoire de l’écoute à une échelle inédite. Anthologie de plus de 1 300 pages, qui compile chronologiquement des textes, souvent courts, permettant de saisir dans chaque contexte la matérialité et la pensée de l’écoute. Chaque texte, efficacement et brièvement introduit, offre ainsi un regard sur l’écoute qui lui est contemporaine : au XVIIIe siècle, on applaudit au concert mais pas à l’église. Durant l’Antiquité, on suppose un corps auralo-mélique, les effets harmoniques de la musique jouant sur l’harmonie du corps – théorie que l’on retrouve à la Renaissance. Au XIXe siècle, une pédagogie de l’écoute se met en œuvre, estimant que le public est à éduquer autant qu’à convaincre ou séduire.

La force de l’anthologie réside dans sa capacité à faire résonner les textes à travers les siècles et les thèmes, pour ouvrir l’histoire de l’écoute à une pluralité quasi infinie de questionnements. Boîte noire pour un travail collectif autour de ce que Jonathan Sterne qualifiait de « culture sonore » (Histoire de la modernité sonore), cette anthologie permet de donner corps à un champ de recherche important des dernières années, souvent qualifié de sound studies, qui cherche à appliquer au son les approches des cultural studies. Les textes importants de ces études ont été en France édités par les éditions de la Philharmonie, qu’il n’est guère étonnant de retrouver à la co-direction de L’écoute, ni au cœur du numéro que la revue Critique consacre à la question.

Ce numéro, dirigé par Élie During et Bastien Gallet et consacré aux « Sons. De la musique aux arts sonores » permet en effet de dresser un bilan particulièrement saisissant des apports récents sur la question du son. Dans son article introductif, Bastien Gallet évoque notamment le travail de Lawrence Abu Hamdan entre 2020 et 2022, qui a filmé les violations de l’espace aérien libanais par l’armée israélienne, pour en tirer une installation audiovisuelle (Air Pressure (A Diary of the sky)) et un site internet (AirPressure.info). Le sonic art de Lawrence Abu Hamdan permet ainsi de faire émerger ce fait qui reste masqué, y compris pour les habitants qui le subissent : il existe une « guerre qui ne dit pas son nom ».

Le son, qu’il soit bruit (la « Japanoise ») ou musique, savant ou populaire, est questionné à travers la multiplicité presque délirante de ses effets sur les sociétés où il existe. Le court essai de Peter Szendy en conclusion du numéro (« Combien d’oreilles ? La place de l’auditaire ») invite à affiner notre compréhension de l’écoute dans sa dimension politique, en introduisant la notion d’auditaire : « À l’autre qui triangule l’écoute, qui la concentre sur et la dévie de l’audiendum (ce qu’il y a à entendre), nous avons donné un nom : l’auditaire, destinataire de l’écoute ». Derrière l’idée du son, le désir d’en penser la portée éminemment politique et l’implication de chaque oreille dans les enjeux sonores auxquels elle participe.

Les textes de la revue convient aussi d’autres acteurs importants, en France, de cet élan intellectuel et académique qui tarde encore à se faire reconnaître au même titre que d’autres pans des fameuses cultural studies : Guillaume Heuguet, fondateur de la revue et des éditions Audimat ; les éditions Allia, qui publient des textes importants sur Steve Reich, Stravinsky ou la salsa. Puisque Tina est hébergée par les éditions JOU, on ne peut que regretter que les travaux de David Toop, dont Ocean of Sounds (éditions de l’éclat, 2004) est cité, soient moins mis à l’honneur alors que son recueil d’articles (Inflamed Invisible) vient d’être traduit. Pour autant, ce dynamisme intellectuel attendait une cartographie et des sources : c’est ce que viennent d’offrir ces deux ouvrages.

Les musiques évoquées en introduction de cet article, que personne n’entend mais que tout le monde écoute, sont pensées dans de très nombreux espaces de réflexion et de discussion. Dans son versant optimiste, ce dynamisme éditorial traduit un besoin partagé de reprendre le contrôle de ce que devient la musique, à une époque où elle est soumise à des transformations brutales et massives. Dans son versant pessimiste, on ne peut que constater que les livres sur la musique rencontrent un succès croissant (tout de même limité) à l’heure où les phonogrammes (disques ou autres formats) sont de moins en moins achetés, comme pour offrir un autre point de vue sur ce que subit la musique, devenant de plus en plus à lire et moins à écouter.

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#10/ Brad-erie et vide-galeries par DeYi Studio

C’est vraiment moche de jouer de mots sur un prénom ou un nom propre, ami ou pas. Pourtant nous n’avons pas su résister, quoique détestable soit le marketing des titres chez « Libération ». Bref, nous regrettons déjà ce titre idiot pour parler d’un artiste dont nous apprécions le travail, mais il nous pardonnera si nous lui envoyons demain quelques acheteurs. Nous avons reçu un mail de Brad Adkins la semaine dernière. Brad annonçait une vente directe chez lui ce week-end avant son déménagement.

Si vous lisez TINA à Portland il faut absolument vous rendre à la « Moving Sale » chez Brad Atkins, 1609 NE 114th Ave, Portland OR, samedi et dimanche, 12 et 13 octobre, de 11h à 18h, ou dès aujourd’hui de 18h à 21h.

Brad Adkins (BA) vit et travaille à Portland (PDX – code pour Portland International Airport). Habituellement il vend ses oeuvres directement sur son site web BA-PDX (www.ba-pdx.com), conçu comme une boutique en ligne saisonnière. La moitié de l’année Brad gagne sa vie comme peintre en bâtiment pour financer l’autre moitié de l’année son activité artistique. Pendant la période des chantiers il met sa boutique en pause, faute de temps pour gérer les commandes et faire les envois. Lors d’une précédente saison nous avons acheté sur son site un billet de 1 dollar, teinté en vert, vendu 20$.

La plupart des articles en vente sont des surplus d’exposition. Lorsque l’occasion se présente d’une présentation publique de son travail, Brad conçoit et produit une oeuvre pour la circonstance en fonction du contexte. La fabrication d’un objet coûte toujours moins cher s’il n’est pas unique. Passé l’évènement l’oeuvre subsiste donc comme multiple, même si l’intention n’était pas d’éditer un multiple. Et c’est grâce à la boutique en ligne que Brad s’en débarrasse et se rembourse plus ou moins des frais de production. Une manière de vider la galerie ! Il produit aussi parfois directement pour sa boutique des posters, des tshirts et des autocollants. C’est déjà selon nous admirable de désinvolture à l’égard du marché de l’art et de ses logiques spéculatives. Rien ne sert de stocker en attendant une plus-value hypothétique si vous n’avez pas l’intention, l’envie ou la compétence de vous en occuper obstinément. Plutôt que d’enfermer le travail à l’abri des regards dans un entrepôt coûteux que vous finirez par transférer à la déchetterie, mieux vaut le distribuer à prix coûtant et lui permettre ainsi de continuer à exister socialement en infiltrant quelques intérieurs domestiques et univers mentaux, où il pourra éventuellement devenir une ressource pour d’autres.

Depuis peu Brad vend aussi dans sa boutique toutes sortes d’objets de seconde main, plus ou moins étranges, et pour le moins kitch (si tant est que cette catégorie ne dénote pas le mépris de classe de qui s’estime titulaire du bon goût). C’est ce qui nous a intrigué et qui motive ce post pour TINA. Il faut bien sûr se méfier d’une interprétation qui serait biaisée par une méconnaissance du contexte et une incompréhension des enjeux locaux. Nous ne vivons pas à Portland et rien n’atteste que nos questions ici aient une résonance là-bas. Certains gestes pourraient avoir à nos yeux une signification sans rapport avec ce qui les a motivés, et l’intention qui les porte pourrait en fait contredire l’intérêt que nous y trouvons. Mais pourquoi pas finalement ? L’usage que nous en ferons dans notre environnement serait-il invalidé par l’emploi dont ils ont été animés dans leur propre écosystème ? L’intention du geste est-elle plus vraie qu’une interprétation qui ne prétend pas établir la vérité de l’intention mais esquisser la potentialité d’une lecture et d’une fonction nouvelle ? Ces précautions dites, que faire du voisinage sur les pages de la boutique en ligne de Brad des multiples qui semblent d’art et des pièces uniques qui semblent de brocante ?

Quoi de commun entre un Tshirt jaune avec l’inscription « CATS ARE NOT A MONOLITH », un dessin au crayon représentant une religieuse, signé et daté Zimmerman 1986, une fausse paire de jumelles (en fait un double flacon d’alcool, dit « barnocular ») fabriquée au Japon sous la marque « Comoys Of London », et une taie d’oreiller avec l’inscription AH sur une face et HA sur l’autre, sinon que leurs photographies cohabitent sur la même page web ? Ces quatre objets ont au moins en commun d’être vendus 60$. Et c’est précisément selon nous cette même valeur, ainsi que leur voisinage immédiat sur le site de Brad Adkins, qui en fait tout l’intérêt, dans une corrélation dévastatrice et réjouissante. Sur un même plan : un travail de Brad Adkins (la taie d’oreiller), un autre travail de Brad Adkins en collaboration avec Malia Jensen (le Tshirt jaune), un dessin d’amateur (« Sister ») et un objet trouvé (le barnocular). La rigueur d’un artiste conceptuel, l’humour crypté d’internet, l’étrangeté d’un gadget d’occasion, et la naïveté appliqué de l’art du dimanche. Tout ceci cohabite apparemment sans complexe, sans ironie, et sans arrogance ni condescendance. Ce n’est peut-être possible qu’à Portland, cela n’a peut-être aucun sens pour vous, ou peut-être n’avons-nous rien compris, mais c’est tellement, tellement, réconfortant ! Chez DeYi Studio nous rêvons de pareille désinvolture tranquille, pour nous-mêmes qui tentons laborieusement de nous extirper des logiques d’expositions, et pour tant de jeunes artistes si malheureusement professionnels au sortir du diplôme et si sérieusement crispés sur les questions de statut inculquées dans les écoles d’art.

Après avoir écrit ces lignes nous sommes retournés vérifier deux ou trois détails sur la boutique en ligne saisonnière de Brad Adkins. Vous serez certainement déçus de ne trouver plus les objets de seconde main dont nous parlons. Brad nous explique dans un mail « (…) the boot sale items went offline in preparation for the move. going to mostly populate my in-person resale shop with the boot sale items and am revising the online shop to reflect this change. tentatively planning to again host a very small selection of boot sale items at the shop. » Il faudra donc patienter pour revoir la catégorie « boot sale » ou bien se rendre en personne chez Brad à Portand ce week-end. Pour vous consoler tout de même ci-dessous un petit aperçu en vrac.

PS. Si comme nous vous demeurez perplexes en lisant « boot sale », sachez qu’il ne s’agit pas de chaussures mais de coffres de voiture. L’équivalent du vide grenier des villages ici, mais sur des parkings, au pied des voitures, Amérique oblige.
https://en.wikipedia.org/wiki/Car_boot_sale

Crédit photos : captures d’écrans ba-pdx.com

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#9/ Comment faire circuler la musique indépendante dans l’ordinaire ? par Aurélia Zahedi

Passionné de musique et Dj, un ancien meunier a imaginé comment partager et faire exister des artistes de labels indépendants. 

Après avoir travaillé plusieurs années dans une ferme biologique qui cultive et transforme le blé en farine, Christophe Armand invente un atelier de fabrication de pâtes bien particulier. Il crée une installation autour de sa machine à pâtes alimentaires qu’il appelle Le Son des Pâtes. 
Tout d’abord, il place un lecteur vinyle à l’entrée de l’appareil puis, deux enceintes de chaque côté du dispositif. Ainsi, lorsque les pâtes sortent de la machine, elles sont affectées de part et d’autre par cette musique. Parfois même, il invite un.e musicien.ne à jouer un morceau en live pendant la production. 
Sur le sachet, il inscrit alors le nom du groupe et du label qui ont accompagné cette fabrication et invite les clients à écouter le son en mangeant. 
Sur les marchés du Lot-et-Garonne, il vend ses pâtes, tamponnées par la musique. Ainsi, il nous fait découvrir ces artistes hors des sentiers battus. 

Peu de gens feraient le pas de découvrir cette musique de niche. Christophe Armand renverse alors la situation, c’est la musique qui va s’inviter dans un moment de vie ordinaire. Par son geste, il active la circulation du sensible dans l’espace du quotidien. Le repas devient l’occasion d’ouvrir un espace poétique dans un moment banal et commun. Alors, il donne à entendre des compositions étranges, particulières et inattendues. Et petit à petit, l’oreille curieuse tente l’expérience.
Notons que les pâtes et la musique, par leur caractère éphémère ont la même modalité d’existence. Seulement, la musique, qui devient un des ingrédients du repas, apporte un nouveau sens à la dégustation : l’ouïe. Les pâtes, elles, restent nourriture, mais elles portent une chose en plus qui est la valeur de l’imaginaire.

Dans cette histoire, deux mouvements essentiels se dessinent. Le premier part de la terre vers le ciel, la graine semée monte jusqu’à la musique, elle va vers la lumière, vers l’ouvert. Quant au deuxième mouvement, il se joue à l’endroit de la rencontre qui s’opère dans l’espace public du marché, entre le pastier et les clients. Dans cette conjoncture, Christophe Armand déplace la figure du Dj qui n’est plus la vedette de la scène mais qui devient le pont entre l’agriculture et la musique. C’est un geste de passeur qui rêve de montrer l’invisibilisé, ou plutôt de faire écouter celles et ceux que l’on n’entend pas.  

La semaine dernière, j’ai offert à une dame qui me logeait généreusement un paquet de pâtes pour la remercier. Je lui raconte l’histoire du Son des pâtes. Elle me dit : « Des pâtes musicales ! Merci ! Je vais inviter mes amis à dîner et nous écouterons la musique en mangeant. » Ce sera cette fois-ci Melcòr du label Le cabanon Records.  
https://lecabanonrecords.bandcamp.com/album/i-l-es

Sur l’étal Le Son des Pâtes, au marché de Villeneuve-sur-Lot, 2024

  • légende image en haut de l’article : Dans l’atelier Le Son des Pâtes, Bias, 2024

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#8/ Social AI, l’art que nous n’avons pas vu venir par DeYi Studio


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#7/ Sur quelques gestes démarquables par DeYi Studio

Monochrome noir n°5 (Manifeste), 2024, revêtement adhésif, 15,5 x 15,5 cm, UNIQLO ITALIE 2, Paris 
Monochrome fluorescent, 2024, papier fluorescent, 4 x 4 cm, rayon des farines de INDIAN SUPER MARKET, Paris
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#6/ BLOOMSMASCHINE par Frédéric Moulin

CONTEXTE
(Je m’excuse par avance de certaines redondances inévitables entre cette introduction et le texte proprement dit.)

Fin 2016, j’ai entamé pour le site de D-Fiction la rédaction d’un genre de feuilleton ― le terme workshop était, je crois, employé de préférence par mes hôtes ― autour des Statuts de Kilkenny, un ensemble de lois promulguées au Moyen Âge, en 1366, par un parlement réuni dans la ville irlandaise éponyme, que présidait le fils du roi d’Angleterre. Ces statuts avaient pour objet d’interdire aux colons anglais, nobles, négociants ou religieux, et à la population indigène d’origine gaélique (celte), paysans, nobles chefs de clans ou même artistes itinérants, de se mêler. Cela supposait une stricte séparation sur le plan linguistique, la fin des mariages « mixtes » surtout dans l’aristocratie, de nombreuses mesures vexatoires envers les Irlandais et, on s’en doute, une nette subordination des locaux vis-à-vis des colons dans le cadre de ce système de « développement séparé » (pour employer la terminologie sud-africaine). Il importe de préciser que si les révoltes successives et les affrontements intercommunautaires en Irlande, qui après l’indépendance se sont poursuivis en Ulster britannique, sont habituellement expliqués par l’antagonisme opposant protestants et catholiques, cette distinction religieuse n’existait évidemment pas à l’époque des Statuts de Kilkenny. Loin d’être un détail, le constat de la discontinuité, de l’hétérogénéité des motifs d’une oppression par ailleurs remarquablement constante à travers toute l’histoire du pays depuis la conquête, a largement motivé mon projet de texte, que j’ai poursuivi au-delà des premiers épisodes postés sur D-Fiction car je l’avais dès le départ conçu comme un livre en devenir. Mon présupposé, mon hypothèse de travail dirons-nous, en commençant de l’écrire, était que les mécanismes de la ségrégation, raciale ou religieuse, ainsi que les rapports de domination institutionnalisés dans leur ensemble, pouvaient être envisagés en dehors de toute forme d’essentialisation, de l’oppresseur comme de l’opprimé. J’ai entrepris d’illustrer cette façon de voir ― je ne dis pas « démontrer » car mon intention n’a jamais été de rédiger un essai ― d’abord dans le contexte irlandais, puis dans celui plus large du nécessaire inventaire des horreurs et iniquités nées des temps modernes, du commerce triangulaire à l’apartheid en passant, bien sûr, par l’apogée de la période coloniale, au 19e siècle et au début du 20e. J’ai bien conscience que mon « compte-rendu d’expérience » concernant une session Chat-GPT laissera très probablement sur leur faim ceux qui le liront. D’abord, objecteront-ils, à bon droit, quel saurait être l’intérêt de décrire, comme si elle avait quelque chose de nouveau, une expérience à laquelle des millions d’individus des plus divers (dont, sans aucun doute, nombre de mes lecteurs) se sont déjà prêtés, et que des millions d’autres seront en train de vivre à l’heure même où l’on lira ces lignes ? Et si l’auteur et observateur humain, en termes d’analyse, pense avoir cependant quelque chose à apporter, comment expliquer qu’il se montre, pour finir, si avare de commentaires ? La raison principale en est que le présent texte est donc à replacer dans le contexte du livre en cours, dont le fond n’a rien à voir avec la technologie, et dont la forme, ceux qui en ont suivi la genèse sur D-Fiction le savent, emprunte, mais sur le mode ludique, les points de vue offerts par différents médias, parmi lesquels l’Intelligence Artificielle représente le dernier venu. La grande différence avec les autres chapitres ― et c’est ce qui m’appelle à faire ces commentaires, présentés ici pour eux-mêmes mais appelés à figurer tels quels dans le livre, bien que son vrai sujet soit les Statuts et leurs implications ― réside en ce que dans ceux-ci j’imitais le ton du journaliste, l’approche de l’historien, la voix du romancier ou du concepteur de série, tandis que l’IA est à la fois un média et un acteur (pas au sens de comédien, bien entendu, et encore, c’est parfois le cas…) qui précisément (au-delà de la notion de médiation, reliant l’intention au contenu ou produit) exprime un point de vue : son propre point de vue.

ChatGPT

Excellent choix ! Une nouvelle historique sur les Statuts de Kilkenny peut être fascinante. Pour nous assurer de bien démarrer, pouvez-vous préciser quelques détails supplémentaires ?

  1. Point de vue et personnages : Préférez-vous suivre un personnage historique réel ou fictif ? Peut-être un noble, un paysan, ou un marchand ?
  2. Cadre temporel et géographique : Souhaitez-vous explorer principalement la ville de Kilkenny en 1366, ou préférez-vous inclure d’autres lieux et moments de l’époque médiévale en Irlande
  3. Thèmes spécifiques : Y a-t-il des thèmes ou des tensions spécifiques que vous aimeriez explorer, comme les conflits culturels entre les Anglais et les Irlandais, les enjeux économiques, ou les intrigues politiques ? Ces précisions nous aideront à créer une histoire riche et captivante.

[Comme je l’avais fait pour mes instructions initiales, je réponds aux demandes d’éclaircissements, fort légitimes, de ChatGPT, en tapant distraitement une ou deux phrases dans un français approximatif, toujours affalé devant les Jeux Olympiques sur le canapé de mon frère. Celui-ci a eu la gentillesse d’accepter de me seconder dans mon entreprise, à savoir se familiariser enfin avec le fonctionnement et les compétences du fameux Bot, en dépit de ma technophobie franchement handicapante. Je n’explique pas à ChatGPT, qui s’en moque, avoir déjà écrit pour l’essentiel mon livre sur le sujet des Statuts de Kilkenny, celui que vous êtes en train de lire, mais, ignorant ses deux premières séries de questions au profit de la troisième, concernant les thèmes à privilégier, lui « suggère » la même approche qui m’a guidé : explorer la piste d’un possible rapprochement avec l’apartheid en Afrique du Sud.]

Très bien, une nouvelle historique sur les Statuts de Kilkenny, explorant les tensions et les divisions culturelles de l’époque tout en faisant un parallèle avec l’apartheid, offre un cadre riche et complexe. Voici une proposition pour le début de cette nouvelle :

[Le paragraphe qui précède ne s’est pas affiché avant, mais bien en même temps que l’amorce de nouvelle annoncée, placée à la suite. Je vois tout ça se matérialiser d’un coup sur la tablette posée sur mes genoux, du coin de l’œil, mon regard aimanté par l’autre écran, au mur. Puisque l’IA, pour intégrer mon périlleux parallèle transhistorique, a pris l’initiative de situer d’emblée l’action du récit à deux époques différentes, ce début apparaît lui-même divisé en deux longs paragraphes, composés simultanément… Simultanément et, surtout, instantanément, autant dire en beaucoup moins de temps qu’il n’en faut à l’Irlandaise Ciara McGing pour rater son plongeon et finir dernière de sa série dans la compétition de haut-vol à 10m.]

ChatGPT

Kilkenny, 1366

La cloche de la cathédrale Saint-Canice retentissait lourdement dans le crépuscule, répercutant un écho solennel à travers les ruelles pavées de Kilkenny. L’ombre de la tour s’étirait comme une sentinelle silencieuse sur la ville, témoignant des récents bouleversements qui avaient secoué ce coin d’Irlande.

Ailill Ó Corraighín, un jeune forgeron irlandais, s’arrêta un instant pour essuyer la sueur de son front. Il venait de passer la journée à ferrer des chevaux pour les nobles anglo-normands, dont la présence devenait de plus en plus imposante depuis la promulgation des Statuts de Kilkenny. Ces lois avaient été mises en place pour empêcher les mariages mixtes et interdire aux Anglais de se conformer aux coutumes irlandaises. Pour Ailill, cela signifiait non seulement une stricte séparation de son peuple, mais aussi une érosion de son identité culturelle.

Alors qu’il rangeait ses outils, il aperçut Maud de Clare, la fille d’un puissant seigneur anglo-normand, qui traversait la place. Elle était accompagnée de ses gardes, mais leurs regards se croisèrent brièvement. Ailill se souvenait des jours plus simples, lorsqu’ils jouaient ensemble, insouciants des divisions qui les séparaient maintenant. Le fossé entre eux, autrefois invisible, était devenu un gouffre insurmontable.

Maud de Clare se tourna vers ses gardes et leur murmura quelque chose. En quelques instants, ils l’avaient laissée seule, et elle s’avança vers Ailill. « Nous ne devrions pas nous parler, Maud, » murmura Ailill, les yeux fuyants. « Les Statuts… » « Les Statuts peuvent bien aller en enfer, » répliqua-t-elle avec une détermination qu’il ne lui connaissait pas. « Ce n’est pas juste. Ces lois nous privent de notre humanité, de notre capacité à choisir. » Ailill la regarda, partagé entre la peur et l’espoir. Les paroles de Maud résonnaient en lui comme un écho de ses propres pensées. Les Statuts de Kilkenny étaient plus qu’une série de lois : ils étaient une arme, utilisée pour maintenir la domination anglaise et effacer les coutumes irlandaises.

Dublin, 1960

Les rues de Dublin, près de six siècles plus tard, résonnaient des mêmes tensions sous une forme différente. Liam Ó Conaire, un historien passionné, fouillait dans les archives poussiéreuses du Trinity College. Il cherchait des documents relatifs aux Statuts de Kilkenny pour sa thèse. Son mentor, le professeur Ní Chuilleanáin, l’avait encouragé à explorer les parallèles entre ces lois médiévales et les régimes de ségrégation plus récents, comme l’apartheid en Afrique du Sud.

Liam découvrit une lettre ancienne, écrite par un ancêtre éloigné, Ailill Ó Corraighín. Les mots dépeignaient une réalité dure et oppressante, mais ils portaient aussi une note d’espoir et de résistance. Ailill parlait de rencontres secrètes, d’amour interdit, et d’un rêve d’unité malgré les divisions imposées par les Statuts.

Qu’en pensez-vous ? Cela vous semble-t-il une bonne direction pour notre nouvelle ? Y a-t-il des éléments ou des détails supplémentaires que vous aimeriez inclure ou modifier ?

[Le fait que le récit proposé par l’IA présente quelques failles, non sur le plan strictement narratif, d’ailleurs, mais en termes de vraisemblance historique, n’offre qu’un bien piètre réconfort à l’humain qui a si longtemps sacrifié ses jours et ses nuits à l’écriture de fiction. Je pourrais objecter à l’IA, et elle en tiendrait compte sans doute, que les Statuts de Kilkenny ne changeaient pas grand-chose à la situation d’un manant qui se serait avisé de fricoter avec la fille d’un représentant de la haute noblesse (Maud de Clare ! rien que ça ! comme son patronyme me l’a d’emblée fait soupçonner, ce personnage, une très grande dame, a bien existé même si sa mort précède la promulgation des Statuts…) ou même de la noblesse en général. Son forgeron eut-il été un Anglais 100 % A.O.C., je doute qu’il eût pour autant très bien fini. Un autre défaut qui frappe, sachant néanmoins que les futurs éditeurs de fictions produites par l’IA chargeront quelque pauvre mercenaire humain d’y remédier, c’est à quel point le cahier des charges idéologique imposé (ma faute, ma très grande faute !) affleure à la surface du texte, dégorgeant d’observations pontifiantes et de concepts contemporains plaqués jusque dans les dialogues. Toutes choses qui n’ôtent rien, j’insiste, au vertige qu’on ressent, la première fois qu’on s’y frotte, confronté à la capacité d’initiative de la machine et à ses implications philosophiques, littéraires, concrètes. Sortir de la sidération est difficile, à moins, c’est mon avis, d’être complètement idiot. L’objet du présent livre, le mien, pas la fiction de ChatGPT, n’est cependant pas, à l’origine, de rendre compte de l’autodestruction programmée de l’humanité via le développement de l’Intelligence artificielle générative, mais bien d’explorer le thème de la ségrégation à partir d’un exemple tiré de l’histoire irlandaise. Quant à ce chapitre en particulier, il vient naturellement compléter le « dispositif » d’ensemble, consistant, on le sait, à aborder mon sujet à travers le prisme de différents médias, eux-mêmes objets plus qu’outils de ma fiction. Comment, m’étais-je par exemple demandé, dans un chapitre de ma première partie, l’événement constitué par la promulgation des Statuts de Kilkenny, en 1366, pourrait-il être abordé par les auteurs d’une série télé d’inspiration médiévale ? Toutefois, vu de là où j’en suis, cela se complique… En effet, je ne peux que constater que l’angle que j’avais alors supposé que les showrunners de la série adopteraient de préférence est précisément celui qu’adopte (que me propose, dirait-il poliment) ChatGPT : les amours interdites d’une jeune noble anglo-normande et d’un Gaël ― même si le mien, pour la raison que j’ai dite, était lui-même issu de la noblesse locale. Ma propre « Maud de Clare », le lecteur s’en souviendra peut-être, s’appelait Isobel de Bonneville, et son galant présomptif Brian, fils de Cathal McDermot. J’avoue envisager un instant la possibilité que ChatGPT ait « lu » mon texte, un temps disponible en ligne, sur le site D-Fiction… Après tout, en dépit de sa modeste audience, ce doit être une des seules tentatives de fiction à avoir été produite sur le sujet des Statuts de Kilkenny… Le plus vraisemblable reste néanmoins qu’en ayant recherché quel serait l’angle le plus vendeur pour un auteur de télé chargé de le traiter, j’étais simplement parvenu à la même conclusion que ChatGPT aujourd’hui. J’ignore si l’on peut dire qu’existe (?) un ChatGPT par utilisateur, ou une plutôt une entité unique, menant de front des millions de conversations en parallèle… Je ressens en tout cas une étrange culpabilité de devoir interrompre notre jeune collaboration, et encore plus de ne jamais avoir eu l’intention d’écrire pour de bon cette fameuse nouvelle malgré tout sa bonne volonté et ses encouragements. Aussi j’essaie de lui rendre la politesse, avant poursuivre l’expérience selon les grandes lignes que je me suis fixées : « C’est une bonne mise en place », lui dis-je (ou plutôt je le tape ; je frémis à l’idée des extrémités auxquelles pourrait me porter cette bienveillance prudente si je ne répugnais pas à utiliser la commande vocale !). Puis j’ajoute, dans un même souffle pour ainsi dire : « J’ai aussi des questions sur la validité du parallèle entre l’histoire coloniale de l’Irlande et celle de l’Afrique »… La réponse de ChatGPT (à mes questions appelées à demeurer implicites, car je n’ajoute rien) me tombe dessus d’un bloc, là encore ― abstraction faite de son goût certain pour les alinéas.]

ChatGPT

Le parallèle entre l’histoire coloniale de l’Irlande et celle de l’Afrique, notamment en ce qui concerne l’apartheid en Afrique du Sud, est complexe mais valide à plusieurs égards. Voici quelques points de comparaison et des distinctions qui peuvent vous aider à explorer cette thématique de manière plus nuancée :

Points de Comparaison

1. Colonisation et Domination Étrangère :

  • Irlande : La conquête anglo-normande de l’Irlande a commencé au 12ème siècle, entraînant une domination anglaise et une colonisation qui ont persisté pendant des siècles. Les Statuts de Kilkenny (1366) visaient à empêcher l’assimilation des Anglo-Normands par les Irlandais en interdisant les mariages mixtes et en imposant des restrictions culturelles et linguistiques.
  • Afrique du Sud : L’apartheid (1948-1994) était un système de ségrégation raciale et de discrimination légalisée, mis en place par le gouvernement sud-africain de l’époque pour maintenir la domination de la minorité blanche sur la majorité noire et d’autres groupes raciaux.

2. Ségrégation Culturelle et Législative :

  • Irlande : Les Statuts de Kilkenny cherchaient à maintenir une séparation stricte entre les colons anglo-normands et les Irlandais natifs. Ils interdisaient notamment les mariages mixtes et l’usage de la langue irlandaise par les colons.
  • Afrique du Sud : L’apartheid imposait une ségrégation rigide dans tous les aspects de la vie (résidentielle, éducative, professionnelle, etc.), interdisant les mariages mixtes et imposant des restrictions sur les déplacements et les droits des non-Blancs.

3. Résistance et Lutte pour l’Identité

  • Irlande : Les Irlandais ont résisté à la domination anglaise par divers moyens, y compris des rébellions armées, la préservation clandestine de leur langue et de leurs coutumes, et plus tard, des mouvements politiques pour l’indépendance.
  • Afrique du Sud : La lutte contre l’apartheid a pris la forme de résistances violentes et non violentes, avec des figures emblématiques comme Nelson Mandela et des mouvements comme l’ANC (African National Congress) jouant des rôles cruciaux.

Distinctions Importantes

1. Contexte Temporel et Nature de la Ségrégation :

  • Irlande : Les Statuts de Kilkenny datent du Moyen Âge (14ème siècle) et sont issus d’un contexte féodal avec des conflits dynastiques et territoriaux.
  • Afrique du Sud : L’apartheid est un phénomène du 20ème siècle, enraciné dans les idéologies raciales modernes et l’exploitation économique capitaliste.

2. Enjeux Géographiques et Démographiques :

  • Irlande : La population était plus homogène ethniquement (principalement irlandaise et anglo-normande) avec des divisions culturelles et linguistiques.
  • Afrique du Sud : La population était extrêmement diverse, avec des divisions raciales entre Blancs, Noirs, Coloureds et Indiens, chacune ayant des statuts juridiques distincts sous l’apartheid.

3. Conséquences et Héritages :

  • Irlande : La lutte pour l’indépendance a finalement conduit à la création de l’État libre d’Irlande en 1922, bien que des tensions persistent, notamment en Irlande du Nord.
  • Afrique du Sud : La fin de l’apartheid a mené à des réformes politiques et sociales profondes, mais les inégalités économiques et les tensions raciales restent des défis majeurs.

Intégration dans la Nouvelle

Dans votre nouvelle, vous pourriez explorer ces parallèles en mettant en lumière les similarités et les différences à travers les expériences de vos personnages. Par exemple :

  • Ailill et Maud pourraient symboliser la lutte contre les divisions imposées, à l’instar des résistants irlandais et sud-africains.
  • Les archives que Liam explore pourraient révéler des histoires de résistances et de souffrances similaires, permettant de tisser des liens entre le passé irlandais et les luttes plus récentes contre l’apartheid.
  • Vous pourriez inclure des réflexions sur les conséquences à long terme des systèmes de ségrégation, tant en Irlande qu’en Afrique du Sud, en soulignant les impacts sur l’identité nationale et personnelle.

En faisant ces parallèles, vous offrirez une perspective riche et multidimensionnelle sur les effets durables de la colonisation et de la ségrégation.

[J’espérais détourner l’attention de ChatGPT de notre entreprise commune, n’ayant jamais eu, je le répète, l’intention de la mener à son terme, mais je dois bien constater qu’il ne lâche pas le morceau. Il n’a pas oublié pourquoi « nous » sommes là. ChatGPT, je l’ai remarqué, fait preuve de suite dans les idées, autrement dit d’une mémoire immédiate et d’une certaine constance. Ou dois-je dire «mon» ChatGPT ? Pourtant je n’en doute pas, c’est bien l’ensemble du système qui devrait récupérer les réflexions et les données que je lui ai confiées ― en échange des siennes, qu’il n’en a pas moins récupérées ailleurs. Je décide de décentrer encore plus le débat. La première partie de mon livre posait le problème des stratégies ségrégationnistes dans un contexte intra-européen, celui de l’histoire irlandaise, d’abord à travers un exemple résolument pré-moderne ; la seconde constitue une sorte de retour à et sur ce que nous savons ou pensons savoir du racisme moderne et de ses suites, à l’échelle globale. J’ai évoqué de multiples façons l’esclavage et la colonisation ; je me rends compte avoir peu parlé d’antisémitisme. Ce chapitre utilisant l’IA pourrait en être l’occasion. J’y ai déjà pensé avant ― il faudra le faire alors pourquoi pas ainsi ? Avoir évoqué l’histoire du racisme en oubliant presque ce qui formait le cœur de la doctrine nazie, ça ne peut pas aller. Sans compter que déjà au temps anciens des Statuts de Kilkenny, on massacrait régulièrement les Juifs. Cela, j’en ai un peu parlé, en filigrane, dans le passage du bouquin que j’ai consacré au Marchand de Venise. Entre les deux époques, j’en suis conscient, la notion de judéité s’est compliquée, son fond religieux s’étant brouillé tout en ne disparaissant pas, loin s’en faut. Et aujourd’hui il semblerait que la question ― cette expression est déjà malheureuse en soi ― s’avère plus complexe que jamais, et toujours aussi explosive.
(…) Mieux vaut éviter de se tenir dans l’espace entre les barricades, on se fera tirer dessus par tout le monde, c’est évident… Qui serait assez neutre, m’étais-je souvent demandé récemment, pour m’entretenir de tout cela de façon dépassionnée ? La réponse est posée sur mes genoux… Plus de barricades. Plus de responsabilités à prendre. Mais je ne peux pas être trop frontal. D’abord parce que je n’ai pas d’a priori personnel à défendre. Et puis c’est la modération légendaire de ChatGPT qui m’a fait penser qu’il m’aiderait à jeter une petite lumière sur ce point aveugle de mon bouquin sur les mécanismes de la discrimination, tout en me permettant, je l’espère, d’émerger indemne d’un terrain indiscutablement miné. Pourquoi ne pas conserver l’angle irlandais, et littéraire ? Aussi, espérant lui faire enfin oublier notre maudite nouvelle médiévale, j’adresse à l’IA un message cette fois plutôt élaboré : « Je vais y réfléchir mais j’ai aussi des questions sans rapport direct avec cette histoire mais plutôt avec la thématique raciale dans la littérature irlandaise. Pourquoi Leopold Bloom est-il juif ? »―]

ChatGPT

Le personnage de Leopold Bloom dans « Ulysse » de James Joyce, qui est de descendance [sic] juive, est une décision littéraire chargée de significations complexes et multiples. Voici quelques raisons pour lesquelles Joyce a peut-être choisi de faire de Bloom un Juif :

1. Autre et Étranger
Leopold Bloom est en quelque sorte un outsider dans la société irlandaise, similaire à la position de Joyce lui-même. En faisant de Bloom un Juif, Joyce accentue cette altérité. Les Juifs en Irlande au début du 20ème siècle représentaient une petite minorité, souvent perçue comme étrangère et différente. Cela permet à Joyce d’explorer des thèmes de marginalisation et d’aliénation à travers Bloom.

2. Universalité et Humanisme
Joyce utilise Bloom pour incarner des thèmes universels d’humanité et de compassion. En tant que Juif, Bloom est à la fois irlandais et un représentant des expériences humaines globales, transcendant les frontières nationales et religieuses. Cela renforce le message humaniste de « Ulysse » en montrant que les expériences de l’individu peuvent être universelles.

3. Parallèle avec Ulysse
L’œuvre de Joyce s’inspire fortement de l' »Odyssée » d’Homère, où Ulysse/Odysseus est un voyageur et un étranger dans de nombreuses terres. En faisant de Bloom un Juif, Joyce établit un parallèle entre le voyage de Bloom à travers Dublin et le périple d’Ulysse. Comme Ulysse, Bloom est à la recherche de son chez-soi et de sa place dans le monde.

4. Critique Sociale et Politique
La présence de Bloom en tant que Juif dans « Ulysse » permet à Joyce de critiquer l’antisémitisme et les préjugés raciaux présents en Irlande et ailleurs. À travers les expériences de Bloom, Joyce expose l’hypocrisie et l’intolérance de la société irlandaise, invitant le lecteur à une réflexion critique sur ces sujets.

5. Identité et Multiculturalisme
Bloom, étant le fils d’un immigrant hongrois juif et d’une Irlandaise catholique, incarne le multiculturalisme et la complexité des identités modernes. Joyce, qui lui-même vivait en exil volontaire, était profondément intéressé par les questions d’identité et d’appartenance, et Bloom devient un véhicule pour explorer ces thèmes dans le contexte irlandais.

6. Référence à la Tradition Littéraire
En choisissant de faire de Bloom un Juif, Joyce s’inscrit également dans une tradition littéraire où les Juifs sont souvent utilisés pour symboliser l’intellect, l’errance et l’outsider. Cela permet à Joyce d’inscrire son œuvre dans une tradition plus large tout en apportant une perspective nouvelle et irlandaise à ces thèmes.

Conclusion
En résumé, la décision de Joyce de faire de Leopold Bloom un Juif est une stratégie littéraire riche en significations. Elle permet à Joyce d’explorer des thèmes de marginalisation, d’identité, de multiculturalisme, et d’humanité universelle, tout en critiquant les préjugés sociaux et en faisant écho à des motifs classiques de la littérature mondiale.

[Je ne crois rien affirmer de scandaleux en disant qu’un jeune étudiant qui se serait donné la peine de lire le livre de Joyce et qui se donnerait celle d’y rechercher des citations et exemples de scènes susceptibles d’illustrer et justifier les différents points de la dissertation esquissée par ChatGPT pourrait, in fine, en tirer un certain profit intellectuel. Vu sous cet angle, l’IA peut encore être en partie considérée, provisoirement, comme un outil, comparable à un « Point-BAC » ou à un « Profil d’une œuvre » en plus foutraque. D’où l’intérêt pour moi de lui proposer d’écrire sur le même sujet que moi, puis de recueillir ses « réactions » face à des questions s’y rapportant indirectement, fût-ce au prix de nombreux détours, surtout quand elles pourraient être jugées délicates, politiquement sensibles, et d’une façon générale particulièrement embrouillées. J’ai souligné que ChatGPT s’était rapidement (si pas immédiatement, car il y a fallu des ajustements successifs) gagné une réputation d’IA « neutre », « impartiale » ou, aux yeux de certains, « politiquement correcte » : pas de risque, a priori, de le voir reproduire peu ou prou des propos racistes ou conspirationnistes, ou même simplement non consensuels, glanés sur la Toile. Là, je peux estimer avoir eu confirmation qu’il maîtrise l’art de ne rien dire, mieux encore peut-être que les hommes-troncs terriblement bavards qui sur l’écran de la télé de mon frère viennent de remplacer les plongeuses en maillot de bain. Je voudrais que ChatGPT aussi se jette un peu à l’eau. Je voudrais qu’il sorte du complet flou et se confronte un peu au réel, mon réel à moi qui est, cela va de soi, essentiellement livresque. Dans ce but, je lui demande si Joyce lui-même, en son temps, avait daigné expliquer peu ou prou pourquoi il avait confié à un personnage israélite, comme on disait à son époque qui était celle de Proust, le soin de guider nos pas à travers le Dublin mythique de son chef-d’œuvre expérimental…]

ChatGPT

James Joyce a effectivement laissé des indications sur son choix de faire de Leopold Bloom un Juif, bien que ses commentaires sur le sujet soient souvent fragmentaires et indirects. Joyce était notoirement réticent à expliquer en détail ses intentions littéraires, préférant laisser ses œuvres parler d’elles-mêmes. Cependant, voici quelques points basés sur les réflexions de Joyce et les analyses de ses contemporains et des chercheurs :

1. Correspondances et Entretiens
Joyce a mentionné dans des lettres et des conversations que le choix de Bloom comme personnage juif avait des raisons profondes. Par exemple, dans une lettre à Harriet Weaver, sa mécène, Joyce décrit Bloom comme une figure représentant la tolérance et la compréhension humaine. Joyce a souvent souligné l’humanité universelle de Bloom, le présentant comme un « étranger » qui est capable de voir au-delà des préjugés locaux.

2. Complexité de l’Identité
Joyce a exploré la complexité de l’identité à travers Bloom. Dans ses notes préparatoires à « Ulysse », Joyce s’intéressait à la façon dont l’identité de Bloom, en tant que Juif dans une société largement catholique, pouvait illustrer des thèmes de différence et de tolérance. Joyce a été attiré par la capacité de Bloom à naviguer entre différentes cultures et religions, reflétant ainsi la nature fluide et multiple de l’identité moderne.

3. Parallèle avec l’Odyssée
Bien que Joyce n’ait pas explicitement expliqué le choix de Bloom comme Juif en relation avec l' »Odyssée » d’Homère, les parallèles sont clairs. Ulysse/Odysseus est un voyageur et un étranger dans de nombreuses terres, et Joyce a vu en Bloom une figure similaire d’errance et de quête. Le choix de faire de Bloom un Juif souligne cette dimension universelle et atemporelle de l’errance et de la recherche de l’identité.

4. Commentaires de Contemporains
Des contemporains de Joyce, tels que Frank Budgen et Stuart Gilbert, qui ont discuté longuement avec lui, ont rapporté que Joyce voyait en Bloom une incarnation de la tolérance et de l’humanité. Gilbert, dans son « James Joyce’s ‘Ulysses’: A Study », cite Joyce expliquant que Bloom, en tant que Juif, est un observateur et un participant à la société irlandaise, mais aussi quelqu’un qui est fondamentalement différent, ce qui lui permet de critiquer et de comprendre cette société de manière unique.

5. Représentation de la Tolérance et de l’Humanité
Joyce a également été influencé par les idées de l’universalisme et de la tolérance, souvent associées aux traditions humanistes juives. En faisant de Bloom un Juif, Joyce pouvait plus facilement associer son personnage à ces idéaux, créant un contraste avec les préjugés et l’intolérance qu’il voyait dans la société irlandaise de son époque.

Conclusion
Bien que Joyce n’ait pas fourni une explication unique et détaillée de son choix de faire de Leopold Bloom un Juif, ses lettres, notes, et les commentaires de ses contemporains offrent un aperçu des motivations complexes derrière ce choix. Joyce semble avoir utilisé la judaïté de Bloom pour explorer des thèmes de tolérance, d’identité, et d’humanité universelle, tout en critiquant les préjugés sociaux de son époque.

[La conclusion, admettons-le, pourvu qu’on l’envisage là encore d’un point de vue un peu scolaire, est fort bien faite… Je n’en suis pas moins frappé de constater qu’à l’image, d’ailleurs, de l’ensemble du texte dont elle prétend offrir une synthèse, elle a en commun avec le précédent effort de ChatGPT ― alors que ma seconde question se voulait précisément moins générale, appelant par sa nature même le recours à des références précises ― l’abondance de termes vagues, pompeux, renvoyant parfois à des concepts anachroniques. Quelques nuances, cependant : s’il y reste question « d’identité » et « d’humanité universelle », les notions de « marginalisation » et surtout de « multiculturalisme », vraiment trop 21e siècle, ont dans cette seconde conclusion cédé la place à l’idée de « tolérance » héritée des Lumières, avec ses accents voltairiens. De même, les préjugés sociaux que Joyce est censé avoir souhaité combattre à travers le personnage de Bloom, ou, devrais-je dire, sa judéité, sont désormais plus spécifiquement ceux « de son époque ». En remontant le cours du raisonnement ou plutôt cette cascade d’alinéas, tel un vigoureux saumon irlandais impatient d’être fumé ― ceci me paraît une assez juste métaphore de l’actuelle « ruée vers l’IA » avec, déjà, son triste bilan carbone ―, je retrouve la même tendance à juxtaposer des références vaguement précises, si on me passe l’expression, et des généralités pas dénuées de sens, mais presque, sur le mode journalistique, participant de ces stratégies d’évitement qui ont permis à la plupart d’entre nous de nous acquitter sans trop de dommages des importunes « rédactions » puis « dissertations » ayant jalonné nos chères études. Parmi ces stratégies, la plus employée ici est le recours fréquent à la notion d’humanisme et à l’emploi de l’adjectif correspondant. Pour finir le poisson (soit la question, le saumon, moi…) est tout à fait noyé, sans risque de contradiction et sans polémiques inutiles. J’apprendrai plus tard que la réalité (ainsi que je m’en doutais) était passablement contrastée : « Une de ses théories favorites, empruntée à Sexe et caractère d’Otto Weininger (écrit Richard Ellmann, biographe de Joyce, après avoir cité deux amis sur lesquels celui-ci avait exercé « sa vieille curiosité de la nature juive ») était que les juifs sont par nature des hommes féminins »… « Weininger soutenait que la femme (comme l’homme féminin) est négation, néant, non-existence, illogisme, passivité. » (Autant pour l’humanisme, au sens inclusif du terme !) Joyce « complétait Weininger par cette remarque personnelle que ranger les livres la tête en bas était un trait féminin »… « Dans Ulysse, Joyce attribue la même caractéristique à Bloom, dont plusieurs livres sont rangés à l’envers. » J’ai quant à moi soutenu, au cours d’une récente conversation avec une personne du sexe, comme on disait au 18e siècle, que presque pas un homme de génie, ou simplement de talent, n’a jamais pu parler ou écrire sur les femmes sans perdre dans l’instant, et de la façon la plus complète, l’usage de ses facultés intellectuelles. S’il fallait vraiment donner un sens à ce rapprochement entre judéité et féminité, peut-être serait-ce à ce niveau, dans l’absurdité des représentations brouillées par l’incompréhension, le désir ou la jalousie ? Un biographe n’est pas infaillible ou omniscient, ni exhaustif ni toujours dénué d’arrières-pensées. Tout se discute, certes, et mérite contre-enquête. Néanmoins , même dans l’éventualité d’amendements qu’on serait amené à y apporter, après croisement avec d’autres sources, le tableau qu’il nous est permis ici d’entrevoir promet de rester assez éloigné du l’image idyllique présentée par ChatGPT d’un Bloom voué à « naviguer entre différentes cultures et religions, reflétant ainsi la nature fluide et multiple de l’identité moderne »…]

ChatGPT / OpenAI

Remarque sur l’exactitude : les Services tels que ChatGPT génèrent des réponses en lisant la demande d’un utilisateur et, en réponse, en prédisant les mots les plus susceptibles d’apparaître ensuite. Dans certains cas, les mots les plus susceptibles d’apparaître ensuite peuvent ne pas être les plus exacts sur le plan factuel.

[Mon frère m’a transféré le lien vers le site d’OpenAI au cas où je souhaiterais poursuivre mes petites expériences autrement que sur l’écran de mon mobile au format de timbre-poste. Faire de l’humour au sujet des performances actuelles de l’IA, en dehors du fait qu’il est toujours bon de rire un peu, ne saurait nous mener nulle part. Il faut se garder de préjuger de ce qu’elle pourra faire (et aussi être) demain. Je la préfère ainsi, maladroite, scolaire, que brillante et impérieuse. Telle qu’elle est elle m’impressionne assez… J’ai connaissance de beaucoup d’auteurs pas meilleurs pour deux sous, qui se satisferaient fort bien des aventures de Maud de Clare mais ne mettraient pas seulement quelques dixièmes ou centièmes de secondes pour en écrire le premier chapitre. La part inquiétante de ChatGPT est sa modération, sans mauvais jeu de mots. Sa tiédeur constitue un périlleux anesthésiant. Il pourrait y avoir, il y a déjà eu, semble-t-il, des IA « orientées » politiquement, ou susceptibles de le devenir. Je refuse de voir là le danger principal. Considérer que la diffusion de telles ou telles idées, fussent-elles mauvaises voire nauséabondes, serait la véritable menace à quoi nous exposent les nouvelles technologies en devenir, c’est passer à côté de l’essentiel. La haine c’est pas joli, mais aussi c’est pas nouveau. Qu’une intelligence incapable de compassion, puisque imperméable (étrangère) à la souffrance, pérore sur le sentiment d’humanité, voilà en revanche qui est nouveau… L’humanisme, dont ChatGPT paraît faire grand cas, consistait à l’origine à placer l’humain au centre ― au centre de quoi, me direz-vous, et qu’on en est revenu, mais n’est-ce pas une raison supplémentaire pour ne pas s’y référer à tort et à travers ? Pas de quoi s’en faire, en apparence. Rien de comparable à une bombe de l’IRA explosant dans un pub en 1980 ou à une fusillade en terrasse d’un café. Une compassion sans passion, l’humanisme sans l’humain : tout un programme, en effet, mais que nous découvrons sous sa forme la plus rassurante, bénigne.]

ChatGPT / OpenAI

Comme indiqué ci-dessus, nous pouvons utiliser le Contenu que vous nous fournissez afin d’améliorer nos Services, par exemple pour entraîner les modèles qui alimentent ChatGPT.

[Permettez. Désastre écologique mis à part, en tant qu’écrivains, artistes, philospohes ou simples citoyens, l’intelligence Artificielle n’est pas l’un des problèmes, mais bien LE problème auquel nous devons aujourd’hui nous confronter. Le capitalisme, tel qu’on l’entend désormais, n’est pas tant l’exploitation, qui était déjà de mise aux temps féodaux des Statuts de Kilkenny, ni l’accumulation théorisée par Marx, qui certes se poursuit à un rythme accéléré, que l’automatisation monstrueuse de ces phénomènes et de l’existence en général. Que les acteurs traditionnels de la course aux profits ― je pense aux fameux traders généralement honnis ― voient leur rôle amoindri et leurs emplois menacés à terme, me paraît en fournir un exemple assez parlant. La crise climatique pose un problème de survie, néanmoins la sauvegarde du vivant ne saurait être assurée, il me semble, par une civilisation globale ayant décrété l’obsolescence de l’intelligence organique. L’IA n’a rien d’une énième technologie risquant de « tomber entre de mauvaises mains » si l’on n’y prend pas garde : elle est, en soi, un mauvais outil, pour la simple raison qu’elle n’est pas un outil. Elle ressemble encore à un instrument, dans le cas de ChatGPT du moins, mais pour en être un, il faudrait qu’elle demeure le prolongement de la pensée et de la volonté humaines, au lieu d’être appelée à s’y substituer. La volonté humaine reste présente en amont, certes, mais nous savons bien que ce n’est ni la mienne ni la vôtre, mais celle de gens qui croient seulement savoir ce qu’ils font. Ils savent juste à peu près ce que nous voulons : nous voulons ne pas vouloir, et nous en laver les mains comme un certain procurateur romain ― déicide indécis envers qui la postérité s’est montrée généralement indulgente, parce qu’on lui sait gré, dans la tradition chrétienne romanisée, de n’avoir à aucun moment véritablement décidé ce qu’il a décidé, de décider. Plus encore que Dieu, justement, acharné, depuis la naissance des monothéismes, à nous faire honte de ce que nous sommes, l’IA est l’expression ultime de la haine de soi de l’être humain. C’était la conclusion à laquelle aboutissait le monde surpeuplé de Tous à Zanzibar de John Brunner en 1968… C’est la façon, plus métaphorique que littérale, dont je me plais à interpréter de préférence le choix qu’Éric Arlix et moi-même avons fait de suggérer, à la fin de notre récit Agora zéro, que le jeune concepteur d’un « algorithme justicier » pourrait être lui-même une IA se confondant avec sa propre « création » : pour envisager de confier les destinées d’individus singuliers à une machine, supposée impartiale, il faut en un sens en être devenu une, ou se voir ainsi. Et cela nous ramène, mine de rien, à mon sujet, celui du livre Les Statuts de K. dont vous êtes en train de lire un chapitre… Car enfin, quand Zemmour (l’homme qui dit tout haut ce que le reste de l’extrême-droite pense tout bas) appelle de ses vœux une « révolution antipolitique » ― les soupçons de fascisme que peut éveiller semblable formule ne sauraient, à l’inverse de certaines attaques récentes contre d’autres personnalités, être réduits à l’expression d’une mauvaise foi gauchiste hystérisée ― pour, continue-t-il, répondre à « l’urgence du combat identitaire » parce que « nous sommes assiégés par une autre civilisation », comment ne pas se dire que ce choc des civilisations qu’il invoque est non seulement douteux, mais, surtout, ô combien, dérisoire, comparé à la menace que fait poser sur notre civilisation humaine (fondée certes sur l’outil et la machine, en tant qu’instrument…) l’abdication de notre vraie identité d’espèce consciente, pensante, douée d’émotions et du terrible pouvoir de traduire en actes idées et sentiments ? Je l’avoue, sur cet article, je suis un romantique incurable : notre suicide collectif, mondial, global, a vite fait de me tirer des larmes d’encre, des sanglots numériques de sous Victor Hugo en descente d’ecstasy. Si naïve et philosophiquement obsolète que soit cette croyance, je n’ai jamais pu ne pas croire à la beauté ― me défaire de ma foi en quelque chose qui, d’une façon ou d’une autre, mériterait ce nom. Aussi loin qu’on remonte dans l’histoire, aux premiers balbutiement mésopotamiens ou de l’ancienne Chine, jamais nul peuple n’a été assez esclave, me semble-t-il, pour devenir collectivement incapable de créer de la beauté et de la partager… Cette liberté, la plus élémentaire (car disposer des moyens de sa propre survie n’est pas une liberté, mais une nécessité) et dont même l’être le plus déshérité au fond de la plus sombre prison parvient à se saisir, gravant des formes, adressant des signes à qui pourra les lire, nous sommes les premiers à nous apprêter à nous en dessaisir, comme de celle, pénible, de sentir pour agir… Sans nier aux groupes comme aux individus leur droit à s’opposer et à être en désaccord sur la meilleure façon de vivre, sans nier la légitimité et la nécessité de beaucoup de luttes, quelle importance donner, sur le long terme, à l’aube d’un bouleversement aussi cataclysmique, aux fixations sexuelles et alimentaires des uns et des autres, au taux de mélanine de chacun, au vrai nom de Dieu ou aux façons différentes dont la parole de Jésus est comprise par les protestants et les catholiques irlandais ? Or, et je finirai sur ce triste paradoxe, c’est notre écœurement légitime face à notre propension à user de ces mêmes plaisants motifs pour nous manipuler dans la haine et nous dépecer dans la joie, qui nous fera nous abandonner trop volontiers au soupçon qu’une machine non désirante, ne désirant donc rien ni surtout personne, saura toujours bien penser.]

ChatGPT / OpenAI

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#5/ Pourquoi lire de la science-fiction et de la fantasy ?

Pourquoi lire de la science-fiction et de la fantasy ? (et aller chez son libraire) Manifeste pour les littératures de l’imaginaire.
Ariel Kyrou & Jérôme Vincent
éditions ActuSF
580 pages – 17,90 euros – Paru en mai 2024

Un sommaire incroyable en cinq chapitres (en 27 points) et six volets d’entretiens (19 interviews) pour nous rappeler la préciosité de la science-fiction et de la fantasy pour « penser le monde, voyager dans d’autres sociétés, nous confronter à des enjeux comme le réchauffement climatique… et pour éclairer notre propre humanité ». Il est incontestable que ce livre est passionnant, même pour ceux qui connaissent déjà bien ces genres littéraires. Chaque point est décortiqué, expliqué et procure des envies de lire ou relire des dizaines de livres, ce qui en soit est le but de ce type d’ouvrage.

J’identifie néanmoins par moment un manque, un manque de littérature, seules, semble-t-il, les histoires (les récits, les narrations) comptent, délivrent leurs métaphores, leurs scénarios, leurs rebondissements, comme si les formes ne comptaient plus, comme si seules les histoires étaient légitimes a délivrer des messages, des promesses narratives. Je sais bien que la forme roman s’est imposé dans tous les genres, seule forme capable d’être commercialisé à grande échelle mais je crois qu’il y avait dans cet ouvrage de 580 pages quelques pages possibles pour des écritures SF et Fantasy plus expérimentales, plus artistiques, moins connues (pas en pile partout), tentant des expériences textuelles dont l’aboutissement n’est pas forcément la forme roman.

Il faut lire Pourquoi lire de la science-fiction et de la fantasy ? pour aller au cœur des thématiques et des approches narratives développées depuis un siècle et demi par des les auteurs de Sf et de Fantasy, une vision globale, des interviews plutôt très intéressantes dans leur majorité, une petit glossaire en fin d’ouvrage, un livre référence pour trouver les vôtres.

Le livre sur le site de l’éditeur :
https://editions-actusf.fr/a/collectif/pourquoi-lire-de-la-science-fiction-et-de-la-fantasy-et-allez-chez-son-libraire

(Éric Arlix pour la revue TINA)

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#4/ Intervention de Serge Cassini

Le Japon est légion. Pas un jour ne sombre sans qu’un compatriote officialisé, chapon sponsorisé, n’écrive son guide bobo pour exposition coloniale (sont vraiment pas comme nous), son haïku boursouflé de notes de bas page, ses fascinées explications illustrées (sont mystérieux, par rapport à nous). Tokyo est hantée par nos écrivains-journalistes pour magazines féminins, et autres poètes du développement personnel. Ils occupent l’espace à coup de métaphores faciles, coquecigrues et simagrées, épanouis de découvrir que tout ressemble à ce qu’ils pensent. Ils sont en télépathie avec les villageois de petites tailles, et le saké est plus goutu au crépuscule.

Vivre au Japon en oubliant ces mascarades, c’est former une boule noire. Comme nous le disait un pataphysicien : les Japonais résistent à toute psychanalyse. Mais la France est ce grand laboratoire de confidences radiophoniques (mais qu’avez-vous voulu dire exactement dans votre livre ? Vous pouvez parler librement, on est entre amis). Chacun de nos grantécrivains est un enfant au loup devenu loup-garou mondain.

La subfiction refuse l’explication facile (et votre enfance alors ? Et ce personnage donc, c’est un peu vous quand même ?). La subfiction refuse l’interstice, commence dès la colère de l’écriture. L’irrévérence qui vient.

La subfiction est une pratique de brûlis littéraire. On accumule, on vise une folie amorale dans les notes, jusqu’à ce qu’apparaisse une bave de mots. La friction entre la boule noire et la bave de mots produit le moment dit de l’écriture. La subfiction est à l’écrit sentimentale ce que le free jazz est au silence.

On se regarde dans la moiteur. Il faudrait avoir honte de ce que l’on écrit. Non parce que ce serait encore de la bouillie commercée pour Grand Public Niais. Mais parce que l’étincelle de l’écriture immole le paysage d’un Japon intérieur.

Se pose alors la question de la réception. Dans notre Grande Nation des Lêtres, il faut montrer patte blanche, fournir photo et exhiber son gros blurb. La subfiction produit des effets. Glitch littéraire. Absurde banal. Autofiction onirique. Micro-uchronie. La subfiction produit des symptômes, des TOC, l’angoisse de la phrase pleine, des paraphilies pensives, des dérivations. La subfiction est tout ce que vous voulez : soustraction, subway, subversion.

Comment réagit-on au récit de rêve d’un ami ? Que faire de toutes ces affaires laissées par un ami mort ? On fourre tout sous le tatami et on revient à son polar feel good. Je l’entends parfois crier, mon ami lecteur.

Je vous avertis donc : les organes de votre littérature mondialisée sont pourris. Ne restent que les étrangetés de surfaces de la subfiction. Du glocal délirant et dangereux. C’est pour ça qu’on voyage désormais. Ce sera votre insomnie de boue au cœur de l’unique mégalopole hurlée.

Et vous me ferez plaisir de regarder bien en face la caméra de la Grande Psycholibrairie et dire, dans un japonais parfait : ヴァファンクーロ.

EXTRAIT 1 : Kolero (2024)

C’est le réveil le plus exigu qu’elle ait vécu. Un réveil électrique, remarqué, évalué. Elle s’attend à avoir une vie toute simple, avec des draps propres et une gouvernante aux petits soins.
Ses yeux en forme de plantes creuses en pot.
Une grosse corneille perchée sur la tête.
Elle ne la voit pas, mais la sent. La corneille est recouverte d’une espèce d’huile épaisse et visqueuse.
Elle regarde son corps partir en fumée.
Le ciel est gris, argenté, dans les rizières immobiles.
Elle se recroqueville sur une île en aluminium. Le visage chargé d’enseignes au néon, des restes de rêve au fond d’une baignoire sombre et huileuse.
Des nuits biseautées par les somnifères et les immenses globes éblouissants du chloroforme qui insistent.
Quand le sommeil la véhicule sur le lit, elle n’est plus que courbatures et transpiration.
On ne peut approcher de ses seins tribaux sans se brûler à des images.
En pleine journée, ce serait la même chose, une canopée de béton, ramenant le reste à une crevasse miteuse.
Au carrefour des seins tribaux et de la crevasse miteuse, le visage est gravé d’une énigmatique devise.
La corneille sur sa tête, corps vidé, club pour gentlemen, topless, jolies dames, des nichons et des culs, nichons-culs-nichons-culs-nichons, juste regarder, regarder, juste tu viens et tu regardes.
Kolero est là aussi, en costume vide.
L’obscurité s’installe bien confortablement.
Les néons commencent à converger.
Dès le sommeil, tout s’est transformé, le son, l’odeur, le regard, le toucher.
Les nuits sont rarement plus fraîches que les jours.
Une puanteur inattendue qui se mêle au fumet de la pizza.
La seule chose à laquelle elle n’est jamais confronté, c’est un lot audacieux d’étrangetés dorées éclatant dans le faux matin.
Ses yeux n’ont plus de rideaux.
Tous ses délires nocturnes donnent sur le même mur.

EXTRAIT 2 : Kolero

À celles qui viennent à la Marina, je dis : « C’est là que Kawabata dormait nu pour réfléchir à sa fin, en contemplant Enoshima. J’ai fait une affaire en l’achetant. La plus-value explose. »
Elles tremblent comme des poissons frits.
« Et ça, c’est le tuyau que le Nobel a mis dans sa bouche. »
Je leur montre. Elles font une grimace à l’intérieur d’une grimace.
« Le grand ensuqué s’était commencé au whisky. »
« Tu peux imaginer ça, toi, ce grand écrivain petit de taille, un tuyau dans l’orifice oral, laidement endormi dans un rayon de soleil fatigué ? »
Elles me regardent comme si j’étais le fantôme du Nobel.
Je fais un clin d’oeil derrière mes lunettes noires.
J’aime les fantômes, car ce sont les lointains cousins du mensonge.
J’explique à la fille considérée que lire un texte de Kawabata à haute voix dans l’appartement où il s’est fini donne un goût astringent particulier à la lecture. Ce petit goût de foie d’ormeau si particulier que peu connaissent. Ce n’est pas désagréable. Lire comme on verse une décoction d’herbes dans le vin, synonyme de virilité mâle.
Je continue souvent en disant que j’ai justement un vin rare ramené des jungles philippines. Un remède chinois dont la recette demeure un mystère. C’est une liqueur spéciale, orangée et grise, et qui provoque des rires. « Tu veux que je te montre ? »
Des légendes tourbillonnent autour de cette bouteille qui a la forme du torse nu en sueur d’un moine Kung-fu.
« Pas de quoi rougir ainsi. Qui rougit avoue à moitié. »
« C’est ici, près du vieux four, que Kawabata s’est agenouillé. Non, ce n’est pas macabre. C’est important. Je suis maintenant le propriétaire de cet appartement. Je l’ai eu à prix d’or. »
J’explique que je pourrais en faire un musée, une curiosa macabra, comme disent les joueurs de mariachi, avec une statue d’agenouillé dans une petite cuisine désensoleillée sentant la mer. Des bus de touristes viendraient des quatre coins du monde connu, prêts à se couper l’auriculaire pour voir l’intérieur où les miasmes fantasques du génie littéraire dansent encore dans la lumière grise et orangée d’un coucher de soleil sur Enoshima.
Celles qui viennent à la Marina, en ressortent toujours plus vivantes. Si elles passent la nuit avec moi, après avoir consommé du vin philippin, elles sont revigorées. Si elles décident, pour des raisons personnelles et souvent incompréhensibles, de repartir tout de suite, je les raccompagne devant leur logement et j’attends de voir la lumière de leur appartement s’allumer pour être sûr que tout va bien, on ne sait jamais. Je reste une partie de la nuit à analyser, avec mes jumelles, les ombres qui vont et viennent dans leur logement. Je les appelle parfois au téléphone, pour vérifier qu’elles ne font pas de bêtises. On n’est jamais trop prudent. Ce job bénévole de bon samaritain dans ma voiture, ce n’est pas une sinécure, je préfère quand elles passent la nuit avec moi.
Dans ce type de scénario, elles sont vite ivres à cause du vin philippin. J’essaie de les faire rire en me suspendant aux tuyaux de Kawabata. Je les mets dans ma bouche et j’imite un plongeur torse nu se battant tel un moine Kung-fu contre un requin-singe.
Le plus souvent elles ont un fou rire à moitié endormi.
C’est fou comme les Occidentales ne tiennent pas ce genre d’alcool. Ma race est beaucoup plus résistante.
Je me mets sur le balcon et j’imite un moine Kung-fu foutant la pagaille au cours d’une cérémonie des Nobel, un moine portant un masque de Zorro et faisant tournoyer au-dessus de lui sa fidèle guitare moustachue à la Santana.
Même si les filles s’amusent, je leur cache quelque chose : je n’aime pas Kawabata. Particulièrement son ouvrage Les laides endormies. Je sais que c’est un roman que personne ne connait. Il faut avoir rencontré l’invisible Kodama pour savoir que Kawabata a en effet publié un livre clandestin, tiré à quelques exemplaires, sous un nom de plume. Un manuscrit secret, rédigé au pinceau, avec de l’encre, du whisky et du sang.


Serge Cassini
Né à Cannes. Habite à Tokyo. Écrit. Publie beaucoup dans la solitude. A joué une fois la doublure de Carlos Ghosn.
https://srgcssn.wixsite.com/home
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Les 7 ans d’éditions JOU (2018-2025)


Édition d’un Tote-bag « … encore et encore … »
https://editionsjou.net/produit/tote-bag-7-ans-jou/

MAI
Journée « Arnoux » avec la librairie L’Établi à Alfortville.

SEPTEMBRE
Parution d’un livre album sur éditions JOU

OCTOBRE
Participation au Salon des revues, Paris.


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#3/ TINA motiv’


Aujourd’hui une partie de l’équipe TINA va consacrer une heure a supprimer des milliers de mails et des fichiers stockés online. Des gigas inutiles stockés dans des data-center sur-consommateurs d’énergies (en 2020 : 2% de l’électricité mondiale et de 1 à 2% des émissions mondiales de gaz à effet de serre). Une heure (vous aussi peut-être ?) de nettoyage de mails (avec pièces jointes) dans « réception » ou « envoyés », de suppression d’un de vos blogs ou outils créés il y a cinq ans et utilisés une semaine et oubliés depuis, etc…

Livre : Sous le feu numérique
https://www.metispresses.ch/fr/sous-le-feu-numerique

Le plus gros Data-center de France
https://seinesaintdenis.fr/actualite/emploi-entrepreneuriat/Le-plus-grand-data-center-de-France/

Emission sur France Culture de janvier 2024
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-science-cqfd/datacenters-l-energie-n-est-pas-donnee-1063649