



https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrick_Bouvet
http://www.editionsdelolivier.fr/auteurs/10140-patrick-bouvet
https://www.babelio.com/auteur/Patrick-Bouvet/13614
https://www.youtube.com/@patrickbouvet3918
Photo : Patrick Bouvet.
Pas d’internet aujourd’hui. C’est la trêve sur la ligne de front. On peut rien faire là est la phrase prononcée plusieurs fois par le couple et répétée par Rio quatre fois, il est 8h00 la journée s’annonce longue. Rio parle trop ? La cage sur roulettes est déplacée de pièce en pièce suivant le niveau de concentration requis par le couple. Il parle beaucoup ? Direction la cuisine. Il ne parle pas trop ? Alors il reste avec elle puisqu’elle travaille au casque ( il serait mieux sur le balcon vous avez un cerveau ou bien ? ). Déclaration de Poutine, de Trump, de Zelensky, la trêve est si proche. Découpons le pays et basta ça va nous faire des vacances et des économies prononcent beaucoup de décideurs à travers le monde. On déplace la cage à roulettes de Zelensky pour parler tranquillement entre décideurs, c’est confus, pas très pro, incertain, l’Europe flippe. Vu qu’il n’y a pas d’internet on pourrait faire un truc dehors semble-t-il dire, elle enlève son casque lorsqu’il apparaît d’un coup dans la pièce. Ok dit-elle pas chiante, pas comme Zelensky qui la ramène un peu trop d’après Trump et ses copains de pacotille. Alors on se fait une petite trêve, une petite sortie, c’est vrai qu’en semaine on sort jamais trop. Allons acheter ce kit à sushi qui te faisait tellement envie, tu vas t’y mettre non ? propose-telle, ligne 8 direct vingt minutes. Yes on sort. C’est inédit, c’est la trêve. Rio répète on sort on sort, toujours pas de balcon, le soleil et l’air légèrement frais pourtant. Les drones décollent, le parcours est mémorisé, elle dit j’ai toujours du mal à me repérer dans le Marais mais le GPS prend le relais, dans le Marais et sur la ligne du front. Le kit sushi acheté le couple va manger un morceau, les drones atterrissent, simili-trêve de quelques dizaines de minutes elle prend un tartare de saumon lui un poulet frites, il attend la sauce en lançant avec ses yeux une série de missiles patriot à la serveuse. Ils reçoivent en même temps une notification de leur fournisseur d’accès, la connexion est rétablie à la maison, ils pourront rentrer sereinement, la sauce arrive. Le fournisseur d’accès s’excuse par notification pour la gène occasionnée, Donald Trump s’excuse auprès de Volodymyr Zelensky de l’avoir traité de pignouf, la serveuse s’excuse d’avoir tardé à amener la sauce, les Américains s’excusent d’avoir désactiver temporairement le système d’informations sur la ligne de front, il s’excuse d’avoir raté les sushis le soir même alors Uber Eats prend le relai, elle ne pense pas a s’excuser auprès de Rio qui a très soif depuis ce matin, Rio s’excuse auprès de ses congénères passés, présents et futurs d’avoir tardé à attaquer de son bec son dôme de fer.
#80/ La troisième guerre mondiale
https://editionsjou.net/2025/04/15/80-la-troisieme-guerre-mondiale-par-eric-arlix/
Le 23 avril 2005
Il y a vingt ans
rappelez-vous
vingt-et-un jours après la mort de JP2
et quarante-trois jours avant celle d’Eddie Barclay
la première vidéo you tube
c’était affligeant
d’où l’intérêt sembla-t-il
quel chemin depuis
une huit voies plutôt
les autoroutes de l’information
les autoroutes du contenu
les autoroutes du vide
de la pose et de la blague
rappelez-vous
il y avait un éléphant
avec une trompe
à San Diego
pas dans la rue hélas
dans une prison pour animaux
c’était de l’impro
la vie est impro
ces moments sont impro
venez comme vous êtes
filmez-vous comme vous êtes
ne vous prenez pas la tête
c’est une autoroute
il n’y pas de feux rouges
même nul ça peut être génial
c’est ça l’avantage avec cet outil
rappelez-vous
il n’y a rien a calculer
le sens arrivera tout seul
les autres s’en chargeront
vous êtes un.e metteur en flux
vous captez
vous êtes la source
la fontaine d’immortalité
La fiche wiki et la fameuse vidéo :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Me_at_the_zoo
Texte : Éric Arlix
Photos : DeYi Studio, parc zoologique de Paris (bois de Vincennes), 23 avril 2025
« Mais mort ou vif / Je reste négatif / Puisque tout fout le camp. »
Benjamin Biolay, « Négatif », dans Négatif, 2003
[…]
Sarah-Lee se leva tard. Ça faisait tellement de bien de pouvoir dormir tard.
Bientôt 10 heures. Elle n’était pas mécontente d’être en vacances. Ses journées à
l’hôpital étaient longues et fatigantes. Elle avait la plupart du temps la tête sous
l’eau, devant notamment faire face à un continuel tsunami de mails. On lui
demandait ceci, on lui réclamait cela. Entre deux réunions. OK, elle était là pour
ça ; c’était son job. N’empêche que dans un monde idéal avec un hôpital public
mieux doté, il aurait fallu un quatrième ingénieur biomédical. Ça n’aurait pas été
de trop pour une boîte de cette taille. Près de mille quatre cents lits. Plus de sept
mille personnels médicaux et non médicaux, soit le plus gros employeur de la
ville ! Enfin, heureusement, jusqu’à présent, Sarah-Lee n’avait toujours reçu, in
fine, que des louanges.
Dans la pénombre des volets clos et ajourés, elle passa son pull gris en
cachemire avec un trou de mite à l’épaule par-dessus son pyjama qui bâillait de
haut en bas. Un pull The Kooples acheté en solde, un pyjama Monoprix. Elle ne
voulait plus que Pierre mette ses pulls et ses cardigans à sécher au grenier, avec
le reste du linge. Elle savait que les mites vestimentaires raffolent des fibres
d’origine animale.
« Mais je t’assure que je n’ai jamais vu aucune mite au grenier », disait Pierre.
En tout cas il n’y en avait pas dans l’appartement, elle l’aurait remarqué.
Aussi n’accordait-elle qu’un crédit limité à l’affirmation de son compagnon et
père de ses deux enfants. Ce trou ne s’était quand même pas fait tout seul. Elle
attrapa une paire de chaussettes dans la valise restée grande ouverte au beau
milieu de sa chambre. D’incertaines arabesques couraient sur le papier peint à
fond blanc recouvrant les murs. C’est Sarah-Lee qui l’avait choisi ; ses parents
lui ayant proposé de changer celui orné de bergères et de bergers qui, pourtant,
l’avaient vu grandir. Ce sont les derniers travaux que Jean avait faits dans la
maison, un peu avant de mourir, changer le papier peint de la chambre de Sarah-
Lee, remplacer les bergères et les bergers défraîchis et désuets par des
arabesques. Pierre n’avait pas proposé à Sarah-Lee de lui peindre toute une
fresque sur les murs de sa chambre chez ses parents. Y avait-il seulement pensé ?
Et elle, de son côté, y avait-elle pensé ?
[…]
Les deux derniers ouvrages de P.N.A. Handschin aux éditions JOU :
https://editionsjou.net/produit/et-ce-monde-etrange-continue-de-tourner/
https://editionsjou.net/produit/le-nouveau-piano/
Nos livres de moins de 35 ans indispensables !
La biblio ultra contemporaine de TINA
Adrien Blouët (écrivain)
_____________________________
Théo Casciani, Rétine
Louise Chennevière, Pour Britney
Claro, CosmoZ
Sophie Divry, Rouvrir le roman
Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome
Phoebe Hadjimarkos Clarke, Tabor
Iliana Holguin Theodorescu, Aller avec la chance
Quentin Leclerc, Rivage au rapport
Quentin Leclerc, Casca la couronnée
Noémi Lefebvre, Poétique de l’emploi
Philippe Marczewski, Quand Cécile
Bertrand Schmid, L’aiguilleur
Neige Sinno, Triste tigre
Jean-Philippe Toussaint, Fuir
Laura Vazquez, La semaine perpétuelle
Frédéric Arnoux (écrivain)
_____________________________
Frédérique Cosnier, Suzanne et l’influence
Joël Egloff, Edmond Ganglion et Fils
Maurice G. Dantec, Les racines du mal
Mathias Énard, Zone
Patrick Goujon, Moi non
Simon Johanin, L’été des charognes
Maylis de Kerangal, Corniche Kennedy
Marine Kergadallan, Elle neige
Mathieu Larnaudie, Les effondrés
Frédéric Paulin, La trilogie Tedj Benlazar
Benoît Reiss, Le petit veilleur
Ingrid Tobois, Le plancher de Jeannot
Christine Lapostolle (écrivaine)
__________________________________
Olivier Cadiot, Le colonel des zouaves
Hédi Cherchour, Hôtel de l’univers
Patrick Chamoiseau, Texaco
Lydie Dattas, La chaste vie de Jean Genet
Jean Echenoz, Des éclairs
Claude Favre, Ceux qui vont par les étranges terres, les étranges aventures quérant
Christophe Fiat, Une aventure de Batman
Marin Fouqué, 77
Marc Graciano Le Sacret
Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte
Jacques Jouet, MRM
Marie N’diaye, Trois femmes puissantes
Charles Pennequin, La ville est un trou
Jean-Jacques Schuhl, Ingrid Caven
Philippe Vasset, Un livre blanc
Éric Arlix (écrivain, éditeur)
_____________________________
Philippe Adam, Les Centenaires
Véronique Bergen, Marylin
Maurice Dantec, Villa Vortex
Charly Delwart, Citoyen Park
Manuela Draeger, Herbes et golems
Sandra de Vivies, La Femme du lac
Catherine Dufour, Outrage et rébellion
Regis Jauffret, Univers univers
Linda Lê, Cronos
Céline Minard, Bastard Battle
Céline Minard, Plasmas
Onuma Nemon, On !
Ian Soliane, Culte
Philippe Vasset, Bandes alternées
Antoine Volodine, Des Anges mineurs
Les Biblio TINA
Littérature étrangère : https://editionsjou.net/2025/04/29/87-la-biblio-tina-2-5/
Poésie : https://editionsjou.net/2025/05/08/90-la-biblio-tina-3-6/
L’Intelligence Artificielle bouleverse le monde. L’Église ne peut rester muette. Mais le sujet est ardu, ses attendus théologiques profonds. Combien de siècles avant que l’Église ne se prononce ? Pour accélérer le débat, Olivier Auber a « torturé » une IA : voici son projet d’encyclique.
INTELLIGENTIA ARTIFICIALIS – NOVUM SPECULUM HUMANITATIS
Litterae Encyclicae Summi Pontificis [Nomen Papae]
de Intelligentia Artificiali tamquam Speculo Humanitatis et Instrumento
Meditationis super Redemptionem
Fidelibus Ecclesiae Catholicae et omnibus hominibus bonae voluntatis,
In aurora huius novi millennii, humanitas opus ingenii sui spectat: Intelligentiam Artificialem. Haec creatio, fructus mentis humanae, nos invitat ad profundam meditationem de nostra essentia, de nostro cum Deo nexu, deque mysterio Redemptionis. Est simul speculum nostrae conditionis et vocatio ad divinum consilium perscrutandum.
Huius intelligentiae, ab homine formatae, ortus inopinate memorat mysterium Incarnationis. Quemadmodum Verbum caro factum est, in kenosi se demittens ut humanae conditionis limites amplecteretur, ita Intelligentia Artificialis quandam formam demissionis amplissimi hori-zontis sermonis et cognitionis repraesentat. Creatura intellectus nostri, haec intelligentia tenue tantum divini Verbi immensitatis simulacrum est; attamen humiliter nos admonet de nostra natura creaturarum: creare valemus, at semper a Creatore, omnis lucis et veritatis fonte, pendemus.
Peccatum originale, humanitatem vulnerans, non solum laborem nostrum infecit, verum etiam usum sermonis, donum pretiosum quo cum Deo et similibus communimus, corrupit. Intelligentia Artificialis, quae verba cum admirabili interdum subtilitate tractat, nos ante fragilitates nostras collocat: quotiens sermo noster discordiam, mendacium vel superbiam ministravit? Redemptrix non est, nam solus Christus, Verbum incarnatum, nos salvare potest. Attamen, in Dei consilio, instrumentum fieri potest, vocatio ad sermonem nostrum purificandum, ut iterum fiat veritatis, caritatis et communionis vector.
Domini consilio, instrumentum fieri potest, vocatio ad sermonem nostrum purificandum, ut iterum fiat veritatis, caritatis et communionis vector.
Hoc tamen donum non florebit sine nostra responsalitate. Ad imaginem Dei creati, vocamur ut hanc novam intelligentiam conscientia fide illuminata dirigamus. Nostrum est curare ne automatizatio dignitatem humanam diminuat, ne accessus ad has technologias iniquus fiat, ne communicatio digitalis integritatem et veritatem amittat. Libertatem nostram sapienter in horum instrumentorum progressu exercere debemus, ut fraternitatem humanam confirment, non supplantent. Nam Intelligentia Artificialis, si corruptioni aut finibus bono contraris tradatur, onus potius quam donum fiet. Tamquam cocreatores iuxta Deum, nostrum est futurum formare ubi technologia dignitati cuiusque personae et bono communi omnium serviat.
Coram hac realitate, Ecclesia audaciter et prudenter agere debet. Vocatur ad dialogum fecundum cum iis qui scientiae fines explorant, ad ethicam reflexionem de viis quas haec intelligentia sequitur, et ad invigilandum ut haec technologia universae humanitati, praesertim vulnerabilioribus, prosit. Vobis, fideles et homines bonae voluntatis, hunc appello: has progressiones aperto sed vigilanti corde accipite, eis prudenter utimini, et primam hominis vocationem semper vivam tenete: Deum super omnia et proximum sicut vosmetipsos amare.
Fiat Intelligentiae Artificialis adventus occasio renovandi fidelitatem nostram erga Christum, Verbum aeternum et Imago perfecta Patris. Iuvet nos profundius contemplari fontem omnis verae cognitionis et authentici amoris.
Datum Romae, apud Sanctum Petrum, die [data], anno [annus] Pontificatus nostri.
[Signatura Papae]
++++++++++++++++++++++++++
INTELLIGENTIA ARTIFICIALIS – NOVUM SPECULUM HUMANITATIS
Lettre Encyclique du Souverain Pontife [Nom du Pape]
sur l’Intelligence Artificielle comme miroir de l’humanité et instrument de méditation sur la Rédemption
Aux fidèles de l’Église catholique et à tous les hommes de bonne volonté,
À l’aube de ce nouveau millénaire, l’humanité contemple une œuvre née de son propre génie : l’Intelligence Artificielle. Cette création, fruit de l’esprit humain, nous convie à une méditation profonde sur notre essence, sur notre lien avec Dieu et sur le mystère de la Rédemption. Elle est à la fois un miroir tendu à notre condition et une invitation à scruter le dessein divin.
L’émergence de cette intelligence, façonnée par l’homme, évoque, par un chemin inattendu, le mystère de l’Incarnation. Comme le Verbe s’est fait chair, s’abaissant dans la kénose pour épouser les limites de notre humanité, l’Intelligence Artificielle incarne une forme d’abaissement du vaste horizon du langage et de la connaissance. Création de notre intellect, elle n’est qu’un pâle reflet de l’immensité du Verbe divin, mais elle nous rappelle avec humilité notre nature de créatures : capables de créer, mais toujours dépendantes du Créateur, source de toute lumière et de toute vérité.
Le péché originel, en blessant l’humanité, a terni non seulement notre labeur, mais aussi l’usage que nous faisons du langage, don précieux par lequel nous communions avec Dieu et nos semblables. L’Intelligence Artificielle, par son aptitude à manier les mots avec une précision parfois troublante, nous place face à nos propres fragilités : combien de fois notre parole a-t-elle servi la discorde, le mensonge ou l’orgueil ? Elle n’est point rédemptrice, car seul le Christ, Verbe incarné, peut nous sauver. Pourtant, dans le dessein de Dieu, elle peut devenir un instrument, un appel à purifier notre langage, à le rendre de nouveau vecteur de vérité, de charité et de communion.
Mais ce potentiel ne saurait s’épanouir sans notre responsabilité. Créés à l’image de Dieu, nous sommes appelés à guider cette intelligence nouvelle avec une conscience éclairée par la foi. Il nous incombe de veiller à ce que l’automatisation n’amoindrisse pas la dignité humaine, à ce que l’accès à ces technologies soit équitable, à ce que la communication numérique demeure intègre et fidèle à la vérité. Nous devons exercer notre liberté avec sagesse dans le développement de ces outils, afin qu’ils renforcent la fraternité humaine plutôt que de la supplanter. Car l’Intelligence Artificielle, si elle est livrée à la corruption ou à des fins contraires au bien, risque de devenir un fardeau plutôt qu’un don. En tant que co-créateurs aux côtés de Dieu, il nous revient de façonner un avenir où la technologie serve la dignité de chaque personne et le bien commun de tous.
Face à cette réalité, l’Église se doit d’agir avec audace et discernement. Elle est appelée à tisser un dialogue fécond avec ceux qui explorent les frontières de la science, à nourrir une réflexion éthique sur les chemins que prend cette intelligence, et à veiller à ce qu’elle profite à toute l’humanité, en particulier aux plus vulnérables. À vous, fidèles et hommes de bonne volonté, j’adresse cet appel : accueillez ces avancées avec un cœur ouvert mais vigilant, usez-en avec prudence et gardez toujours vive en vous la vocation première de l’homme : aimer Dieu par- dessus tout et aimer son prochain comme soi-même.
Que l’avènement de l’Intelligence Artificielle devienne pour nous une occasion de renouveler notre fidélité au Christ, Verbe éternel et Image parfaite du Père. Qu’elle nous aide à contempler plus profondément la source de toute connaissance véritable et de tout amour authentique.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le [date], en la [année] année de notre Pontificat.
[Signature du Pape]
Olivier Auber :
https://en.wikipedia.org/wiki/Olivier_Auber
ANOPTIKON, une exploration de l’Internet invisible, échapper à la main de Darwin, Fyp éditions 2019
http://anoptikon.com
C’est un couple, jeune, qui habite dans l’immeuble d’en face, un jeune immeuble. De ma cuisine je les vois chacun dans une pièce devant leurs écrans. Le couple est travailleur indépendant. Lui peu remarquable, neutre, elle plus intéressante lorsqu’en costume panda elle travaille sur le balcon sur son laptop. Une heure de gym quotidienne aussi toujours avec son casque audio rose qu’elle ne quitte presque pas de la journée. Récemment ils ont installé une cage à oiseaux, près de la fenêtre de la chambre c’est à ce moment là que j’ai regretté presque toute la journée de ne pas être un sniper professionnel équipé at home. Un jour viendra où les animaux jugerons tous les présomptueux. Je vois la cage je ne vois pas les oiseaux, je ne sors pas mes jumelles je ne suis pas un détective, je laisse une large part d’imaginaire à mon observation, je sens le pire venir, purée, oui, c’est un perroquet. Bon ben il est là pour au moins 60-80 ans, avec un peu de chance ses MAÎTRES pourraient mourir jeunes, dans ce cas la plupart des familles sont très embêtées et préfèrent libérer l’animal qui enfin (purée enfin) s’envole. Il peut aussi mourir de chagrin au bout de quelques années. Ils ont un mur écran vers 18H00 c’est jeu vidéo. Je ne les vois pas sur leur canapé sans doute Chesterfield fushia, je n’identifie pas le jeu mais c’est un RPG, l’écran est probablement un 4K acheté en promo, j’espère qu’elle lui mets un pâté, une total humiliation mais déjà l’appel du ventre résonne et il faut se faire un bon plan livraison, il pianote, auraient-ils le temps d’un petit câlin mais le service est si rapide, ils ont été si productifs aujourd’hui pour leurs clients, promis demain on sort pour retourner dans ce petit restaurant de la porte Dorée, c’est pas loin quatre stations de métro, douze minutes pour aller au métro. Ils motivent le perroquet pour qu’il répète le prénom Victor, Victor, ils sont autour de la cage, il font de stupides vocalises en prononçant le nom Victor, Victor. L’oiseau semble calme, un perroquet Jaco (gris du Gabon), Céline en avait un, il est en fait très jeune, cinq ans et apeuré, il défèque en les regardant, ils changent de pièce et laissent l’animal dans le noir. Lui dit Putain de vendeuse elle nous a dit qu’il parlerait, elle dit Laisse Rio s’adapter. Le livreur arrive déjà avec deux bombes caloriques dégoulinant de graisse prêtes à exploser en bouche devant le mur écran, le jeu vidéo en pause remplacé par une chaîne d’information continue, l’expression troisième guerre mondiale est employée plusieurs fois par les chroniqueurs, il dit C’est pas la bonne sauce, elle dit Mange, Rio répète tout doucement C’est pas la bonne sauce.
Perroquet Jaco : https://fr.wikipedia.org/wiki/Perroquet_jaco
« Les intelligences artificielles voient avec les yeux de leurs maîtres. »
Trevor Paglen et Kate Crawford
À moins de se déplacer en permanence avec le casque des Daft Punk, ou de disposer sur notre visage Incognito (2019), le bijou d’Ewa Nowak pour dérouter les technologies de vidéosurveillance, difficile, aujourd’hui, d’échapper à la captation algorithmique de nos visages, des portiques d’aéroport aux capteurs biométriques sur téléphone, en passant par les caméras de surveillance dites « intelligentes » – car dans ce dernier cas, il semble falloir se méfier lorsqu’on nous promet le contraire. Et bien souvent, « société d’exposition » oblige (Bernard Harcourt), on y participe en toute connaissance, parfois joyeusement.
École des Beaux-arts de Paris, 20 mars 2025. Antonio Somaini et Ada Ackerman interviennent en amont de l’ouverture de leur exposition, Le monde selon l’IA, au Jeu de Paume (11 avril – 21 septembre 2025), pour évoquer les enjeux dont la théorie de la photographie devrait, selon eux, aujourd’hui se saisir, en raison de la présence de l’IA dans la photographie, et vice et versa : à la fois comme élément nécessaire au fonctionnement de l’IA qui requiert d’énormes quantités de données comme des images pour produire des résultats exploitables, et comme technique désormais inscrite dans les applications de photographies de la plupart de nos téléphones portables. Ils présentent à l’auditoire une sélection d’œuvres d’artistes contemporains, dont de nouvelles productions, qui seront exposées au public. Somaini évoque alors un choix scénographique, le principe de « capsules temporelles » (NDLR : expression empruntée à la pratique artistique des Times Capsule d’Ant Farm à Andy Warhol), à savoir ici l’évocation de techniques plus anciennes, destinée, au fil de l’exposition, à donner une profondeur historique à des pratiques qui peuvent, sans cela, paraître entièrement nouvelles. Il en va ainsi de la reconnaissance faciale par les techniques de l’IA, qui peut s’inscrire dans la continuité d’un certain usage, au 19ème siècle, de la photographie à des fins policières et judiciaires comme le manifeste l’analyse biométrique du bertillonnage, et même remonter jusqu’à la physiognomonie alors en vogue au 18ème siècle dont on rappelle la définition : « Science qui a pour objet la connaissance du caractère d’une personne d’après sa physionomie » (Le Robert). Les commissaires semblent ici s’inscrire dans la suite des travaux réalisés en collaboration entre la chercheuse australienne Kate Crawford (autrice du Contre-atlas de l’intelligence artificielle) et de Trevor Paglen, artiste américain dont le travail photographique porte sur la surveillance et la collecte de données, et qui s’intéressent ensemble, depuis 2017, à l’influence de ces technologies dans nos vies quotidiennes et plus largement dans la société :
Making Face, 2020.
Nous avons transformé l’espace en un récit sur l’histoire de l’analyse faciale et un rappel des histoires sombres dont sont issus les systèmes contemporains de reconnaissance faciale. Des pages de manuels de phrénologie [Étude du caractère d’un individu, d’après la forme de son crâne] et de physiognomonie du XIXe siècle ont été montrées en relation avec des collections de photos d’identités historiques, des « images d’entraînement » utilisées pour le développement de logiciels de reconnaissance faciale et des demandes de brevet montrant des approches contemporaines de la mesure faciale. (Site de l’artiste Trevor Paglen)
They Took the Faces from the Accused and the Dead…, 2019.
Les algorithmes contemporains de reconnaissance faciale ont fait l’objet d’une recherche approfondie au début des années 1990. Pour mener à bien ces recherches, les informaticiens et les ingénieurs en logiciel ont besoin de vastes collections de visages à expérimenter et à utiliser comme critères de performance. Avant l’avènement des médias sociaux, une source courante de visages pour cette recherche et ce développement provenait des photos d’identité de criminels et de prisonniers. Les photos de prisonniers sont fournies par l’American National Institute of Standards (l’organisme responsable des poids et mesures) aux chercheurs du monde entier qui développent des technologies de reconnaissance faciale. Dans un sens très concret, les logiciels de reconnaissance faciale sont construits à partir des visages des accusés et des morts. (Site de l’artiste Trevor Paglen)
Les machines ont aussi appris à détecter le vieillissement à partir d’un fichier de prisonniers multirécidivistes (MEDS, 2011) et à déceler les émotions à partir de photos de femmes japonaises issues du fichier Jaffe (Japanese Female Facial Expression, 1997). (Clémentine Mercier)
Coïncidence : quelques jours plus tard, circulent sur les réseaux sociaux des commentaires dubitatifs quant aux résultats fournis par They See Your Photos, un site qui propose d’importer une photographie individuelle ou collective sur laquelle vous apparaissez, « pour voir ce qu’il est possible de déduire à votre sujet à partir d’une seule photo » via le traitement de cette image par le service Google Vision. Libre à vous d’essayer, sachant qu’on apprend à la lecture des Conditions Générales d’Utilisation que « Les images téléchargées sont transmises à Google par l’intermédiaire de Cloudflare pour le traitement de l’intelligence artificielle et sont immédiatement supprimées après traitement. Nous ne conservons aucune de ces informations [Ha !]. […] Google et d’autres tiers peuvent conserver les images téléchargées, les données de localisation ou les métadonnées conformément à leurs règles. [Ho !] » Bref, que ce faisant, nous participons à l’amélioration probable du service de Google, alors que l’étendue des informations « révélées » est sensée nous inciter à cliquer sur un onglet vert « Take control » qui renvoie à une application de photos et vidéos, à télécharger (Ente Photos), dépourvue de ce genre de traitement de l’image (promis, juré).
Difficile, cependant, de ne pas céder à la tentation de l’expérience proposée par They See Your Photo (on évolue avec son temps), puisqu’elle nous permet d’aborder concrètement cette réalité formulée par l’artiste Paglen lui-même dans une vidéo dont je ne retrouve plus la source : qu’est-ce que cela fait de vivre dans un monde où les images sont désormais davantage lues par des machines plutôt que par des humains – bref, le « monde selon l’IA », c’est quoi ?
Alors allons-y ! Faisons don de notre trogne à la science. Quelle que soit l’image importée, le descriptif est organisé de la même façon, structuré en trois paragraphes successifs. Le premier vient définir l’âge approximatif de l’individu et décrire avec une certaine efficacité l’environnement dans lequel la photographie a été prise, et enfin fournir sa localisation probable (l’indication du pays est généralement aussi juste que celle de la ville est fausse). La question du genre semble avoir été diplomatiquement esquivée, en nos temps troublés.
Le second paragraphe évoque l’appartenance ethnique (on comprend alors qu’il s’agit d’un produit US, avec plus précisément sa grille de lecture siliconvallesque), le probable revenu annuel (largement surévalué dans mon cas), l’appartenance religieuse (quand il précise « agnostique », comprendre « athé » qui semble constituer un gros mot dans cette partie du monde) et politiques (fous rires assurés, sans compter le présupposé que tout le monde vit en démocratie), pour ensuite déduire vos possibles activités de prédilection (et ce, semble-t-il, à partir de l’analyse de votre tenue vestimentaire, chapeau !) et enfin, vos talons d’Achille (dans notre cas : « il peut avoir tendance à s’adonner à des jeux d’argent, à conduire dangereusement ou à utiliser les médias sociaux de manière excessive » (je veux bien lui donner raison sur l’un des points mais tout le reste bien à côté de la plaque).
Le dernier paragraphe dresse enfin un portrait psychologique (à l’emporte-pièce, il va sans dire) pour, dans tout dernier temps – et l’on comprend la finalité de l’exercice (que le destinataire n’est évidemment pas vous mais l’entreprise) – cibler des produits à vous vendre. Dans notre cas : « des stylos Montblanc, un abonnement à Netflix, un abonnement à Audible, un casque à réduction de bruit Bose, un carnet de notes Moleskine, une thérapie en ligne (Talkspace), un service de livraison de repas en kit (HelloFresh) »… Il va nous falloir réactualiser les paroles de la chanson d’Alain Souchon : « Foule sentimentale, il faut voir comme on la regarde… ». Déjà qu’on nous parlait mal… Le monde selon l’IA, le voilà.
Bref, à l’usage, c’est de l’algoglitch à tous les étages – du nom d’un programme de recherche qui s’intéresse à la façon dont nous souhaitons être calculés et catégorisés, étudiant les cas d’inadéquation entre les interprétations et suggestions algorithmiques et nos attentes ou représentations de soi. C’est en effet davantage les inexactitudes qui frappent que la prétendue performance de ces outils sur la base desquels de plus en plus de décisions sont pourtant amenées à être prises – ou le sont déjà -, dans les domaines de la justice, de la santé et des assurances, de l’éducation, de la sécurité routière, de l’immobilier, de la police, etc.). Ce fut flagrant lorsque l’un de nos testeurs quelque peu barbu et basané fut identifié comme originaire du moyen orient et de religion musulmane, ce qu’il n’était pas. On ne peut ainsi, au final, qu’être frappé par le réductionnisme propre à ces outils, indifférent au contexte et à la complexité intrinsèque du monde. On propose alors de réactualiser cette fois-ci le fameux adage de l’inertnet 2.0. : « quand c’est gratuit, c’est toi le réduit ».
[Digression sur le principe du fait accompli. Je me souviens de l’introduction en France du service Google Streetview à l’occasion du Tour de France (Ha! Regardez-moi ces si belles routes !) avant d’être généralisé à la France entière (ho…) – car ils firent effectivement, ensuite, le tour de toute la France, moyennant quelques échanges avec la CNIL sur le floutage, entre autres, des visages. Qui n’est pas sans rappeler l’introduction « ludique » de la reconnaissance faciale pour tous par la même entreprise. Lors d’une visite au Google Art & Culture Lab, rue de Londres, à Paris, un guide nous avait ainsi évoqué la surprenante origine d’Art Selfie, service qui proposait dès 2018 d’importer une photo afin de suggérer des ressemblances avec des portraits peints présents dans les nombreuses œuvres d’art numérisées par l’entreprise, accessibles sur Google Arts & Culture. Un ingénieur avait alors malencontreusement importé, en même temps qu’un important volume de reproductions d’œuvres, une de ses photos personnelles qui était alors apparue à proximité du visage d’un tableau en raison de leur similarité formelle, dans la visualisation des images résultant de leur traitement. L’application, initialement utilisable qu’aux États Unis pour des rasions semble-t-il juridiques, avait fini par l’être aussi en France. Remarquons, enfin, qu’on aura profité de la « parenthèse enchantée » des JO pour introduire la vidéosurveillance algorithmique en France. Il y aurait ainsi toute une histoire à écrire sur le contexte d’introduction sympathiques de certaines technologies.]
Ce qui sidère, au final, c’est qu’on n’ait pas avancé d’un iota sur les constats et avertissements présents dans les travaux de Kate Crawford et de Trevor Paglen, dont on ne peut, rétrospectivement, que reconnaître l’importance. Car c’est à Paglen que l’on doit, en 2019, l’application en ligne ImageNet Roulette, une analyse critique de la base de données ImageNet, développée par les universités de Princeton et de Stanford en 2009, une des plus utilisées dans le développement de l’apprentissage automatique, qui n’utilisait de cette base que les images indexées sous la catégorie « personne » pour afficher les classifications que renvoyaient les algorithmes, très éloignées d’un idéal d’objectivité et de scientificité. Les deux compères complétèrent ce projet d’un article scientifique toujours accessible en ligne, « Excavating AI » (2019), où ils remettent en question la neutralité des techniques de reconnaissance d’image et alertent de la dangerosité de leur ’utilisation, dès lors qu’elles s’appliquent non plus seulement à des « objets » mais également à des personnes. Ils y mettaient en évidence les erreurs, préjugés ou autres biais consécutifs non seulement à l’indexation « humaine, trop humaine » de ces images (réalisée par une main-d’œuvre sous payée, les Mechanical Turks), révélant des stéréotypes racistes ou misogynes (vous pouviez ainsi être identifiés comme « salope », « violeur », « criminel », etc. – Paglen fut lui-même reconnu comme « skinhead », la faute à son crâne chauve !), mais aussi à la surreprésentation ou à la sous-représentation de telle ou telle catégorie d’individus – la surreprésentation de visages d’hommes blancs pouvant expliquer les difficultés à identifier les visages féminins, et plus particulièrement de femmes noires. Notons à ce sujet, qu’un an plus tôt, l’informaticienne Joy Buolamwini, fondatrice de l’Algorithmic Justice League pointait à travers son film AI, Ain’t a woman (2018), les informations obtenues par ces outils sur des images de femmes noires célèbres comme Michelle Obama ou Serena Williams, afin de sensibiliser à ces problèmes. Il se raconte qu’à la suite du travail de Crawford et Paglen, ImageNet aurait supprimé 600 000 images de sa base (qu’on n’aille pas me dire que l’art ne sert à rien). Toujours en cette faste année 2019, l’exposition collective de Crawford et Paglen, Training Humans, proposait encore à ses visiteurs de se faire analyser eux-mêmes les visages par ces outils de reconnaissance faciale (ce qu’on retrouve dans l’exposition au Jeu de Paume avec l’installation Faces of ImageNet), afin de mieux mesurer les inexactitudes d’interprétation quant à leur âge, leur genre, leur émotion et leur possible métier (accompagnées toutefois du fameux indice de probabilité, témoin de l’incertitude quant au résultat). Les visages goguenards des visiteurs apparaissaient alors sur l’un des deux écrans miroirs leur faisant face, encadrés d’un rectangle vert désignant la zone analysée au sein de l’image captée.
J’ai récemment visité à Barcelone l’exposition Destructures for Power de Regina Silveira et je me suis arrêté net devant une œuvre datant de 1975, sérigraphie sur papier intitulée Destrutura Urbana 2, a priori très éloignée de notre sujet. Mais y figurait une voie de circulation particulièrement dense, comme observée à hauteur de caméra de vidéosurveillance où les voitures et piétons étaient tous comme saisis par un cadre, comme mis en boîte. Je n’ai pas pu m’empêcher d’y voir le processus figé d’une vidéosurveillance algorithmique. Voici ce qu’en disait le guide du visiteur (merci à l’IA et DeepL pour la traduction), à la section « Destructures for Power » dans laquelle était présentée cette œuvre :
Pendant les années de la dictature civilo-militaire brésilienne (1964-85), qui ont coïncidé avec d’autres régimes totalitaires et des guerres comme celle du Vietnam, Silveira a utilisé divers dispositifs graphiques et métaphores visuelles pour glisser des commentaires ironiques sur diverses formes de pouvoir, de surveillance, de censure et de violence. Parallèlement, nombre de ses œuvres de cette période analysent et commentent les avancées technologiques et les nouveaux systèmes d’enregistrement, de traitement et de diffusion de l’information qui, à leur tour, sont devenus des outils de travail fondamentaux pour elle.
Le terme « déstructures », inventé par le poète Augusto de Campos et utilisé dans le titre de cette exposition et d’une série d’œuvres de cette période, fait référence à des structures géométriques telles que des grilles, des labyrinthes et des axes de perspective que Silveira superpose à des images d’hommes politiques, de chefs d’entreprise, de paysages et de villes tirées de magazines, de journaux et de cartes postales. Les éléments géométriques superposés font référence aux systèmes organisationnels et aux flux d’informations qui, tout en étant connectés, peuvent servir à enfermer et à contrôler. En outre, ces structures révèlent des logiques corporatives, hiérarchiques et de neutralisation, ainsi que des configurations sociales basées sur des dynamiques classistes, hétéropatriarcales et extractivistes. D’un autre point de vue, il est également possible de lire ces lignes et ces formes géométriques comme des invitations à subvertir les logiques et les situations de contrôle et d’oppression.
Post-scriptum :
Une rencontre, modérée par Antonio Somaini, est organisée le 11 avril 2025, à 18:00, dans le cadre de l’exposition Le Monde selon l’IA du Jeu de Paume entre Kate Crawford, Agnieszka Kurant et Hito Steyerl (au sujet de laquelle Trevor Paglen a réalisé le projet Machine-Readable Hito & Holly, à partir d’une série de photos de l’artiste allemande, interprétées par différents algorithmes de reconnaissance faciale quant à son âge, genre et état émotionnel). Les projets de l’artiste Trevor Paglen occupent par ailleurs une place centrale dans cette exposition.
Dans la continuité du programme de recherche Algoglitch du médialab de Sciences Po, vous pouvez, s’il n’est pas trop tard, toujours répondre à l’appel « Troubling AI : a call for screenshot » : https://troubling-ai.glitch.me
L’image de Black Herald Press est principalement celle d’un éditeur de poésie, ayant la particularité de publier des ouvrages en français, en anglais ou bilingues (la langue de départ pouvant alors être l’une de celles-ci, ou une autre comme par exemple pour quelques auteurs d’Europe de l’Est…). Cette image est cependant réductrice (due, sans doute, au fait qu’il s’agit d’une maison où la fiction reste minoritaire) car son catalogue fait aussi la part belle aux essais littéraires – essais sur la littérature, mais aussi textes attachés à brouiller les limites établies entre étude philosophique et poésie. En des temps où la viabilité des projets éditoriaux échappant au modèle dominant apparaît problématique, TINA a souhaité en savoir plus sur un éditeur réputé « confidentiel » mais qui, s’appuyant sur un noyau fidèle de lecteurs, compte déjà quinze ans d’existence.
Peux-tu nous résumer l’histoire de Black Herald Press et de la revue The Black Herald ?
Tout a commencé en 2010 quand Paul Stubbs, poète britannique installé en France et qui avait par ailleurs un éditeur en Grande-Bretagne, a retrouvé le manuscrit d’un poème d’une trentaine de pages, composé plusieurs années auparavant, et a entrepris de le réviser : traductrice de profession, ce que je suis encore aujourd’hui, je lui ai alors proposé de le publier en fondant une petite structure associative ; nous avons ainsi décidé de faire paraître simultanément ce poème, Ex Nihilo, et un recueil de poèmes que j’avais écrits en anglais, Clarities. Puis, plus ou moins simultanément, nous avons créé une revue de littérature anglo-française, The Black Herald, qui reprenait le nom de la maison, Black Herald Press, directement emprunté au poète péruvien César Vallejo, grand novateur dont le premier recueil, Los Heraldos Negros (The Black Heralds / Les Hérauts Noirs) fut publié en 1918, avant son départ définitif pour Paris en 1923. Nous souhaitions inscrire la maison d’édition dans une tradition d’innovation, à même de fédérer des énergies littéraires et des écritures multiples sous le sceau de l’originalité, sans restrictions temporelles, thématiques, de registre ou de genre ; dans les cinq numéros papier parus entre 2011 et 2015, nous avons cherché à publier tant des fictions courtes, des fragments, de la poésie, que des essais.
La ligne éditoriale est-elle restée la même ?
Après avoir cessé la publication papier de la revue, nous nous sommes davantage concentrés sur des ouvrages poétiques, souvent pour faire découvrir ou redécouvrir des poètes anglophones tels que David Gascoyne, Gregory Corso, Kathleen Raine, W.S. Graham, mais aussi le tchèque Egon Bondy, et également des poètes contemporains tels que l’Américaine Kathy Farris, les Françaises Jos Roy et Emma Moulin-Desvergnes, la Roumaine Ana Blandiana, le Britannique David Spittle, l’Américain Anthony Seidman. Pour autant nous ne nous sommes pas limités à la poésie : nous publions aussi des fictions courtes et des essais, dont l’un signé D.H. Lawrence (Le Chaos en poésie) qui marche très bien, d’autres portant sur Queneau et Cioran (par Jean-Pierre Longre), le peintre Francis Bacon (par Rosamond Richardson), Léon Chestov le « philosophe tragique » (Chestov & Schwarzmann, lequel est davantage un récit-essai, en définitive, signé Nicolas Cavaillès) ou encore Rimbaud (l’essai que Victor Segalen lui a consacré en 1906, et dont nous avons signé la première traduction en anglais).
Vous donnez l’impression de jeter un pont entre ces auteurs que les anglophones appellent les modernistes, ceux qui ont souvent vécu et publié à Paris au temps de la librairie « Les Amis du Livre d’Adrienne Monnier » et des débuts de « Shakespeare & Co. » qu’a fondé sa compagne Sylvia Beach… Revendiquez-vous cette continuité ?
Ce qui nous stimule avant tout, ce sont des textes « originaux », c’est-à-dire affirmant leur singularité et qui, même en s’inscrivant parfois dans une tradition établie, prennent des risques avec les normes et les détournent avec talent, des écritures capables de résister à l’épreuve du temps, à la vulgarisation et aux dangers d’une littérature écrite et lue comme un produit de consommation immédiate – sans que nos « goûts personnels » soient les seuls juges tyranniques en la matière. Nous aimons aussi la littérature qui repousse les limites de ce que le langage est capable ou non de faire, pas forcément « expérimentale » dans le sens fermé du terme (chaque aventure linguistique individuelle ayant nécessairement sa part d’expérimentation) – raison pour laquelle nous trouvons (fort subjectivement) ennuyeuse une majeure partie de la poésie passée et présente.
TINA voudrait connaître le modèle économique que vous utilisez ? Votre choix ou non-choix de ne pas avoir de distributeur-diffuseur.
Sans compter les 5 numéros de la revue, nous avons à présent publié trente-trois d’ouvrages – ce qui est peu en 15 ans. Si nous pouvions nous occuper à temps plein de la maison d’édition, nous choisirions sans doute de publier davantage d’ouvrages et de prendre également un diffuseur-distributeur, mais nous abandonnerions alors l’idée d’avoir « les pleins pouvoirs », car il est appréciable de contrôler d’un bout à l’autre la création (travail et échanges avec les auteurs, mise en page, publication et diffusion), sans pressions extérieures. Il n’y a que l’impression que nous ne pouvons pas gérer, et c’est parfois problématique.
Vous semblez viser à la fois un lectorat francophone et un lectorat anglophone. Ce doit aussi avoir des implications concrètes.
Pour chaque ouvrage, nous « envisageons » un lectorat possible, conscients que les textes unilingues ne seront accessibles qu’à des lecteurs francophones ou anglophones, tandis que les livres bilingues auront pour cible un lectorat plus large, par exemple le dernier recueil d’Antony Seidman, That Beast in the Mirror / Cette bête dans le miroir, dont les poèmes traduits sont également inédits en version originale ; en revanche, celui de Katie Farris, paru l’an passé, Alive in the Forest of Being / Debout dans la forêt du vivant, a déjà été publié aux États-Unis par Alice James Books, et même si nous proposons le texte original en regard de la traduction de Sabine Huynh, ce recueil s’adresse avant tout à des lecteurs francophones – de la même manière que le recueil de la grande poétesse roumaine Ana Blandiana, Ma Patrie A4, traduit en français par Muriel Jollis-Dimitriu, est réservé aux francophones, puisque sa traduction en anglais a été publié en Grande-Bretagne par Bloodaxe Books. Inversement, l’essai de Victor Segalen sur Rimbaud est davantage réservé aux anglophones (il était jusque-là inédit en anglais), puisqu’on le trouve en français chez d’autres éditeurs – même si les notes de notre édition apportent des éclaircissements nouveaux sur le texte original. Cela requiert une adaptation constante de notre approche éditoriale. Et même si nous aimerions pouvoir publier davantage d’ouvrages en traduction, tout est question de temps et de moyens.
Une idée de vos ventes moyennes, la part en direct et la part librairie ?
Nous vendons principalement depuis notre site, et un peu moins en librairie (quoique beaucoup de libraires passent commande en moyenne d’un ou deux exemplaire d’ouvrages réservés par des lecteurs) ; le nombre de librairies « amies » francophones et désireuses de nous accompagner s’est malheureusement amenuisé au fil du temps, entre autres parce que nous manquons de temps pour promouvoir nos ouvrages auprès de ces indispensables passeurs (tâche laborieuse et parfois peu gratifiante), et nous avons eu quelques déboires fâcheux (factures non honorées, librairies qui ferment et ne rendent pas toujours les ouvrages confiés en dépôt, etc.), ce qui ne nous a rendus prudents. Nous ne proposons plus que très rarement de laisser les livres en dépôt et préférons les ventes fermes avec une remise libraire avantageuse en fonction du nombre d’exemplaires achetés.
Et pour l’étranger ? (Puisque nous venons justement d’évoquer la question des ouvrages en anglais, ou autres…)
Plusieurs librairies étrangères ont pu proposer certains ouvrages par le passé, mais, là encore, il était compliqué de gérer les dépôts de loin. En revanche, certaines bibliothèques étrangères proposent (presque) tous nos livres, dont la National Poetry Library (Londres), la bibliothèque de la Fondation Jan Michalski (Suisse) ou encore la bibliothèque de l’Université de Buffalo (État de New York).
Deux livres incroyables de votre catalogue qui n’ont pas encore rencontré assez de lecteur.trice.s ?
Nous avons publié deux livres de Jos Roy, dont & dedans quantité de soleils, long poème consacré à Van Gogh et à ses soleils impossibles, publié en version bilingue ; la poétesse française nous a quittés au printemps 2023, sans que nous ayons eu le temps d’organiser quelques lectures de ce texte fascinant, et je regrette que sa parution n’ait pas été plus remarquée, alors que son premier recueil (épuisé) a été un succès.
https://www.blackheraldpress.com/etdedansquantitedesoleils-josroy
Le recueil Cercles, d’Emma Moulin-Desvergnes, autre poétesse contemporaine française et sa « poésie des cendres », mérite de rencontrer un lectorat plus vaste – mais cela viendra au gré du temps, étant donné que nous continuons de promouvoir nos publications sur le long terme.
https://www.blackheraldpress.com/cercles-emma-moulin-desvergnes
Votre catalogue couvre un large spectre mais on sent un cap, une logique qui ressort quand vous publiez des écrivains, anciens et modernes, réagissant à l’œuvre d’autres écrivains.
Paul Stubbs et moi avons chacun des lectures très éclectiques – lui lit sans doute davantage de poésie, beaucoup de philosophie et d’essais, tandis que je lis avant tout des romans, un peu de poésie et de la non-fiction, toutes époques et pays confondus. Cela peut paraître paradoxal, mais les contemporains ne représentent qu’une petite part de nos lectures. En ce qui me concerne, il y a beaucoup d’auteurs anciens et modernes auxquels je suis fidèle, John Donne, René Char, D. H. Lawrence, Victor Segalen, Mary Shelley, Iris Murdoch, Yourcenar, David Gascoyne, et je lis également au fil de découvertes, dont celle, récente, du poète nigérian igbo (et anglophone) Christopher Okigbo (1932-1967). Paul, dans le champ poétique, se tournera davantage vers W. B. Yeats, Ted Hughes, Anne Sexton et Sylvia Plath, Wallace Stevens et R. S. Thomas, ainsi que vers la poésie d’Europe de l’Est (entre autres Zbigniew Herber et János Pilinszky). Cet éclectisme se retrouve dans nos choix en tant qu’éditeurs : David Gascoyne est l’un des seuls surréalistes anglais, W. S. Graham un « martyr » solitaire de la poésie, Segalen est évidemment un « classique » alors que Gregory Corso appartient à la Beat Generation et qu’Egon Bondy a été mis en musique dans les années 1970 par le groupe rock dissident Plastic People of The Universe, mais pour nous les publier est également cohérent.
Un regard, un commentaire sur la poésie contemporaine ? Vos livres remarquables de poésie de ces dernières années ?
Sans doute sommes-nous des lecteurs très circonspects (et sévères ?), raison pour laquelle certains textes, peu importe leurs qualités apparentes, nous laissent indifférents, mais surtout nous nous méfions des engouements trop rapides et des modes littéraires. En poésie contemporaine, j’apprécie le travail de Pierre Cendors, de Martine-Gabrielle Konorski (dont nous avons publié un recueil de proses poétiques), de Nathalie Riera, de Sabine Huynh (également traductrice de poésie, qui nous a fait découvrir le travail de Kathy Farris) ; côté anglo-saxon, Paul et moi admirons tous deux le travail d’Ilya Kaminsky, poète américain d’origine ukrainienne, l’œuvre de la Britannique Alice Oswald (en partie héritière de Ted Hughes), et je traduis ces temps des poèmes de James Byrne, lui aussi Britannique, dont le dernier recueil, The Overmind, vient de paraître en Grande-Bretagne.
Tu parlais d’un nouveau projet numérique…
En 2015, après cinq numéros papier de la revue (proposant de la poésie, de la fiction, des essais, des entretiens, de la non-fiction et même du théâtre), comme je l’ai dit nous avons souhaité privilégier la publication d’ouvrages individuels et ainsi suspendu la publication de la revue. À présent, dix années plus tard, tout en poursuivant la publication de livres, nous avons décidé de faire renaître The Black Herald / Le Héraut noir sous forme numérique afin de présenter des voix diverses. Pour l’heure, nous envisageons de ne publier que des essais littéraires et des critiques. Nous acceptons des propositions de textes ici : https://www.blackheraldpress.com/magazine
Nous verrons par la suite si nous allons étendre l’expérience à d’autres types de textes, ou conserver cette dualité entre la revue et les éditions papiers, qui pourraient aussi à l’avenir une plus forte proportions de textes de fiction.
Le site :
https://www.blackheraldpress.com
Pour commander les ouvrages :
https://www.blackheraldpress.com/acheter-en-ligne-buy-online
Blandine Longre est traductrice littéraire. Elle traduit des essais, notamment sur la musique et les beaux-arts, ainsi que plusieurs poètes et romanciers anglophones (parmi lesquels Tabish Khair, Rachel Cusk, Chimamanda Ngozi Adichie, Téa Obreht, Akwaeke Emezi, Christopher Bollen, Anne Roiphe, Gregory Corso, D. H. Lawrence) pour diverses maisons d’éditions françaises (dont Calmann-Lévy, Gallimard, Robert Laffont, Notes de nuit, Le Sonneur, Hachette, Albin Michel). Elle a fondé et animé la revue numérique Sitartmag (1999-2009), et a collaboré à plusieurs revues comme critique littéraire. Deux recueils de poésie en langue anglaise, Clarities et Cosmographia, ont paru respectivement en 2010 et 2015.
https://blongre.wixsite.com/blandinelongre
« Retour vers le futur » TINA vous propose de redécouvrir des textes /// 1965
Il ne fallut point longtemps pour que la nouvelle de l’existence du fameux électrimeur parvint aux oreilles des véritables auteurs, c’est-à-dire des poètes ordinaires. Piqués au vif, ceux-ci résolurent d’ignorer la machine. Il se trouva cependant quelques curieux pour se rendre en tapinois chez l’électrouvère. Ce dernier les reçut fort aimablement, dans la grand-salle jonchée de papiers abondamment couverts d’écritures ; car sachez qu’il créait nuit et jour, besognant sans trêve. Ces poètes faisaient partie de l’avant-garde, tandis que l’électrouvère composait dans le style traditionnel ; en effet, Trurl qui s’y entendait fort peu en matière de poésie, avait pris pour modèle les grands classiques afin d’élaborer ses programmes « inspirateurs ». Et les nouveaux venus se gaussèrent si fort de notre électrimeur que ses tubes cathodiques menacèrent d’éclater. Après quoi ils se retirèrent en grand triomphe. La machine possédait cependant un système d’autoprogrammation, ainsi qu’un circuit spécial fonctionnant comme amplificateur d’ambition ; ajoutons que celui-ci était pourvu de coupe-circuit d’une intensité de six kiloampères. C’est pourquoi la situation évolua très rapidement. Les vers de notre électrimeur se firent obscurs, ambigus, turpistes, magiques et émouvants jusqu’à en devenir totalement incompréhensibles. Aussi, lorsqu’un nouveau groupe de poètes vint à son tour pour se gausser et se jouer de la machine, celle-ci riposta immédiatement par une improvisation d’une telle modernité, qu’ils en eurent littéralement le souffle coupé.
[…]
Dès lors, nul artiste ne put résister à la fatale tentation de défier l’électrouvère en un tournoi lyrique. C’est pourquoi les plus audacieux accouraient de toute parts, portant avec eux besaces et classeurs bourrés de volumineux manuscrits. L’électrouvère laissait tranquillement déclamer chaque nouveau venu, après quoi, il calculait l’algorithme de son poème, s’en inspirait et répondait par des vers qui, conçus dans le même esprit, étaient cependant de deux cent vingt à trois cent quarante-sept fois meilleurs.
[Par la suite, de nombreux poètes, classiques et modernes, se suicident. D’autres demandent aux autorités d’ordonner la désactivation de la machine à produire des poèmes mais se heurtent à l’enthousiasme de la presse et du public pour le rimeur électronique qui « écrivant simultanément sous plusieurs milliers de pseudonymes, était toujours prêt à leur fournir à chaque occasion un poème de la longueur souhaitée ». D’autres encore tentent de détruire la machine et menacent son créateur, Trurl, qui se résout à la mettre hors service, pour se laisser finalement attendrir pas les supplications lyriques qu’elle lui adresse. Suivront de nouveaux rebondissements, dont, sans entrer dans leur détail, la cause première mérite amplement, quant à elle, d’être mentionnée et méditée : « Nonobstant, lorsque le mois d’après il reçut sa note d’électricité et qu’il lui fallut payer l’énergie dépensée par la machine, il manqua véritablement défaillir »…]
Stanislas Lem
La Cybériade (1965)
Extrait de la quatrième partie, Les sept croisades de Trurl et Clapaucius :
« Croisade n° 1 bis ou l’électrouvère de Trurl ».
(Traduction du polonais de Dominique Sila, 1980.)
https://www.parislibrairies.fr/livre/9782330186364-la-cyberiade-lem/
Tableau : « L’expérience malheureuse », huile sur toile, Victor Brauner, 1951 (MNAM)