THIS IS IT, ma demie-journée du 21 novembre 2024 par Éric Arlix
Dans le capitalisme greenwashing les jours comme celui-ci où la température frôle le zéro, les démocrates n’ont qu’une phrase à la bouche « réchauffement climatique mon cul », iels glissent, ressemblent à des explorateur.trice.s affrontant le Pôle Nord par -40.
8h30, je pars à pieds d’Alfortville à Nation, soixante minutes, 0 degrés c’est la grosse flippe, les vieux ne sortent pas, les enfants manquent de s’étouffer sous neuf pulls, les retards au travail s’assument et se programment plus facilement.
Dans le capitalisme greenwashing « le climat » reste pour la plupart des gens « la météo » et ce n’est pas la peine de se la raconter, personne (ou presque) ne veut changer ses modes de vies si problématiques.
10h25, juste avant de rentrer dans un café pour mon rdv TINA j’observe bouche bée une murmuration* d’étourneaux assez impressionnante, fréquentes en ville (la ville est plus chaude, moins dangereuse, nourriture plus abondante), mais celle-ci est sans conteste dans mon top 3, il neige depuis deux minutes.
Dans le capitalisme greenwashing les industriels et les organisateurs des sommets internationaux ont toujours des bonnes idées pour sauver la planète. Au G20 à Rio de Janeiro en novembre 2024 les intervenants s’affichaient à côté de leur bouteille d’eau qui n’était plus en plastique mais en aluminium (c’est fou non ? Et le verre vous connaissez ?).
11h30, je repars à pieds vers Alfortville, la neige tombe en continue depuis une heure sur Paris et les démocrates lâchent un « putain », les enfants un « super », les vieux depuis leurs fenêtres un « c’est beau ».
Statistiques de la demie-journée marche : 12 km. lecture : 30 pages de Tianxan protéines animales ingérées : 0 écriture : une page sur une murmuration d’étourneaux visiteurs uniques sur la revue TINA à midi : 28 glissades : 3 schtroumpfs qui tentent de me viser avec des boules de neige : 2
Puisque vous avez bien voulu nous suivre hier au Stade de France transformé en galerie d’art, merci d’y rester encore un instant pour une observation de fin septembre égarée depuis entre deux mails.
L’effusion des nobles valeurs olympiques est déjà loin et la parenthèse bien refermée. L’heure est aux bippeurs piégés et aux bombes de deux tonnes. Sans doute avez-vous oublié depuis longtemps la cérémonie de clôture des jeux de Paris-2024. Et si vous ne l’avez pas vue vous n’avez rien perdu. Sauf cette étrange plateforme déployée au milieu du stade. Les critiques peu convaincus n’y ont rien vu de particulier, au delà d’un plateau chaotique pour quelques prestations incohérentes. Un genre de banquise pour pingouins survoltés. Les journalistes à l’antenne y voyaient quant à eux sans hésiter un planisphère. C’est en tous cas ce qu’ils avaient lu dans le communiqué de presse. C’était, disaient-il, quelque chose comme une représentation de la merveilleuse harmonie des continents rassemblés dans une communion festive autour de l’exploit sportif, du fair-play et du dépassement de soi (mais surtout des autres). Une sorte de plateau de camaraderie tectonique. Mais de notre côté, vautrés dans le canapé, mauvais esprit rétifs à la compétition, au hasard d’un zapping désenchanté, nous avons plutôt cru y voir soudainement les silhouettes acérés de F15, F117, Rafales, Mig35 et autres furtifs malfaisants. La planète figurée en armure futuriste de titane anodisé, à la fois armada de porte-avions, piste d’envol multi-directionnelle et base spatiale de la guerre des étoiles.
L’équipe de France de rugby a remporté samedi soir le match contre les All Black. Les commentateurs reviennent ce lundi sur le Haka traditionnel des joueurs Néo-Zélandais avant le début de la partie.
Ce chant guerrier Maori, dansé par l’équipe All Black sur le terrain avant chaque match pour impressionner l’équipe adverse, a été spécialement réussi parait-il, et sa chorégraphie semble avoir inspiré un jugement esthétique unanime chez les supporters des deux équipes. Le site d’information néo-zélandais Stuff a suggéré que le Stade de France s’était transformé en galerie d’art lorsque les All Blacks ont interprété leur Haka.
Et sur les réseaux sociaux, d’aucuns réclament une place au Louvre pour le Haka. Une manière comme une autre de se réapproprier le concept d’art confisqué par la classe dominante ? (Si personne n’a pensé au Palais de Tokyo c’est à juste titre. Cela pourrait bien arriver, mais ce serait alors, à l’inverse, une spoliation de plus).
Benjamin Lemoine, Chasseurs d’États. Les fonds vautours et la loi de New York à la poursuite de la souveraineté Par Pierre Tenne
Il y a des conventions professionnelles où ces fonds vautours se réunissent. Ils présentent leurs méthodes de travail, avec des diaporama, des blagues, des fiertés, de l’émotion. Comme un salon du fond vautour – mais ne dites pas vautour, le v-word n’a pas bonne presse. D’ailleurs, ces avocats d’affaire et banquiers s’octroient volontiers un rôle économique et social vertueux : sans la pression mise par leurs fonds d’investissement sur les États les plus pauvres de la planète, la corruption ne serait-elle pas bien plus importante ? Bien trop importante ? Le capitalisme mondialisé serait-il contrôlable sans la contrainte mise par les fonds vautour ?. Chasser les États est une nécessité, non ?
Dans la ménagerie du jardin des Plantes vivent en cage des vautours pape, qu’on n’imagine absolument pas chasser des États. Le vautour pape, ou sarcoramphe roi, est un splendide animal qui n’a rien de commun avec les avocats new-yorkais qui font de la prédation des États pauvres une aventure triste de ce monde – celui où les vautours papes sont de moins en moins nombreux.
Benjamin Lemoine a assisté à ces conventions, il s’est entretenu longuement avec ces gens. Il permet de saisir ce qu’il se joue dans ces questions majeures qui intéressent peu les pays profitant le plus de la mondialisation, dont la France, mais qui est centrale dans les contrées qui souffrent le plus de ces prédations – en Argentine, des campagnes électorales ont été centrées sur la question des fonds vautour. Il faut dire que le fonds Elliott, fondé par Paul Singer, avait réussi à humilier le pays en immobilisant son voilier, trésor national, pendant plusieurs semaines, au Ghana.
Les gens comme Paul Singer se voient comme des cow-boys. Leurs « trophées » sont d’humilier des États en souffrance économique. Ils se donnent un rôle moral dans l’économie mondiale et considèrent que les conséquences de leurs actions – misère de masse, crises politiques et sociales – sont préférables à celles, probables, de leurs inactions. On peut trouver une forme d’humour à lire leurs confessions, qui semblent plus souvent sincères que cyniques. Mais la sincérité a-t-elle encore une valeur ?
Chasseurs d’États permet surtout d’établir deux processus historiques qui sont souvent occultés. Le premier est celui du rôle central du droit new-yorkais dans l’impérialisme états-unien de la seconde moitié du XXe siècle. Kissinger apparaît bien souvent dans cette histoire comme celui qui promeut la possibilité de juger des États dans les tribunaux des États-Unis, plus précisément de New York, plus précisément de Wall Street. Le dollar et la loi de New York, armes fondamentales de l’assujettissement du monde.
L’autre histoire, plus étonnante encore à découvrir, est celle qui montre le détricotage au long cours de l’immunité souveraine : on ne juge pas un pays dans un tribunal, pensait-on généralement jusqu’aux années 1950 ou 1960. Il a fallu tout un lobbying, dont Benjamin Lemoine fait la généalogie, pour établir qu’il était non seulement possible, mais préférable, de pouvoir traîner en justice des États pour les rappeler à l’ordre libéral. L’implication de l’État américain, des agences internationales (FMI), du milieu de la finance mondialisée dans ce lobbying est massif et continu. Il a également triomphé, puisque la conception de la souveraineté étatique a été forgé par ces acteurs. Au-delà de la dimension économique et diplomatique, au-delà des seuls pays ayant souffert d’agressions par ces fonds d’investissement, cette victoire nous concerne tous puisqu’elle a imposé une idéologie du public et du privé qui a colonisé tous les discours : l’enrichissement est privé, ce qui est public ne peut être source de richesse (ni de déficit, sous peine d’austérité). Cette capacité à remodeler la définition légale de la souveraineté a ainsi opéré une désagrégation de l’idée de richesse publique, instaurant dans la langue et la logique politique le fatalisme d’une organisation sociale négligeant les autres. Ce qui est public, peut-être commun, ne peut dans cette langue qu’être disloqué pour que s’enrichissent quelques-uns. Il y a même des lois pour cela.
Benjamin Lemoine Chasseurs d’État. Les fonds vautours et la loi de New York à la poursuite de la souveraineté, Paris, La Découverte, 2024, 384 p., 24€
THIS IS IT, ma journée du 6 novembre 2024 par Éric Arlix
Dans le capitalisme tardif, bien trop long mais sans doute indépassable, la journée est rythmée par la montée des voix pour Trump et par le nombre de grands électeurs rouges qui augmentent d’heure en heure, la ligne rouge grossit telle un téléchargement lent mais inéluctable.
12H00. Je croise Jésus, c’est une cloche de 30 ans qui en paraît 45 et le corps 60 qui a choisi d’être une cloche, ce n’est pas la société qui l’a rejeté c’est lui qui a rejeté la société. Je lui achète deux bières car le sandwich tofu que j’ai en mains il n’en veut pas.
Dans le capitalisme archi-tardif bien que sans doute indépassable les libertariens (anarchistes de droite) sont la nouvelle tendance, supprimons les États qui ne servent à rien à part entraver la liberté individuelle (des riches).
15h00. Je croise Jésus mais il est avec ses potes éphémères alors ce n’est pas le moment, ils se chauffent avec des 8.6 avant le grand saut dans le monde cotonneux et incompréhensible.
Dans le capitalisme tardif nous pourrions tenter plus souvent des expériences pieds nus (barefoot) – David Carradine le faisait souvent dans son quotidien et même lors de ses rendez-vous professionnels dans les studios d’Hollywood – un acte fort de véritable insoumission.
19H30. Je croise Jesus il me dit Tu veux fumer ? – non merci – j’ai pas de problème tu sais me dit-il, je lui réponds Tant mieux tant mieux en regardant ses pieds noirs comme le goudron sur lequel ils sont posés.
Statistiques de la journée marche : 3 km. calories brûlées : 200 Franceinfo : 4 heures temps à compter les fascistes dirigeant des pays : 2 heures l’envie de mettre des baffes a des individus de gauche qui ne sont pas de gauche : incalculable Alcool : 2 gin-to Protéines animales ingérées : 0
Les meilleurs réveils simulateurs d’aube Les meilleures gourdes pour remplacer les bouteilles jetables Les meilleurs gaufriers Les meilleures lunch box pour la pause déjeuner Les meilleures machines à café à grains Les meilleurs sextoys pour le clitoris Les meilleurs aspirateurs balais sans fil Les meilleurs robots pâtissiers Les meilleures friteuses sans huile Le meilleur antivol pour vélo.
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Fabrication d’un jeu à l’interstice des mondes Entretien avec Bruno Pace, Maison Auriolles, 2024 par Aurélia Zahedi
Bruno Pace, pourrais-tu nous présenter ton jeu de cartes ? Ce jeu de cartes est né d’un désir profond d’habiter des zones interstitielles. En écologie, un « écotone » désigne une zone frontalière entre des écosystèmes différents. Ce qui est étonnant, quand on observe en détail ces lisières écologiques, est que la biodiversité de ces frontières est plus grande que la somme des écosystèmes qui la bordent. L’explication pour ce phénomène est relativement intuitive : certaines espèces dépendent simultanément de choses qui se passent dans des écosystèmes voisins et, ainsi, leur existence n’est possible qu’à la frontière. C’est pourquoi les frontières écologiques ont une tendance à être plus riches, plus diverses que leurs écosystèmes voisins.
Par analogie, j’ai constaté pendant ma trajectoire de recherche que certains sujets, certaines questions ne trouvent leur sens qu’à la frontière entre différentes disciplines. Par exemple, quand on se pose la question « qu’est-ce que l’information ? », pour pouvoir y répondre pleinement, on devrait passer par la physique quantique, la théorie de l’information, les mathématiques, l’informatique, le journalisme, la psychologie, la sociologie, le droit et la biologie moléculaire, pour en citer quelques-unes. Malheureusement, les institutions de recherche que j’ai rencontrées sur mon chemin n’étaient pas ouvertes à certains croisements ou pratiques transdisciplinaires. Et de plus en plus la tendance contemporaine à l’hyperspécialisation me semblait épistémologiquement et politiquement problématique — spécialement la séparation entre philosophie, arts et sciences, ou la séparation entre sciences dures et sciences molles.
C’était ma rencontre avec ce qu’on appelle la « recherche-création » qui m’a ouvert des voies radicalement nouvelles dans ma pratique. La recherche-création se propose d’habiter cet interstice couramment considéré comme paradoxal ou incompatible entre recherche scientifique et création artistique, et je suis maintenant convaincu·e qu’il faut prendre cet interstice au sérieux pour faire face aux défis de notre époque.
Je me suis alors posé une question assez pragmatique : comment créer une forme qui puisse matérialiser le défi de tout travail transdisciplinaire ? Notamment, le manque de convention (méta)linguistique interdisciplinaire. Comme les disciplines ont chacune leurs vocabulaires spécialisés, leurs imaginaires, leurs histoires — et, parfois, un même mot veut dire des choses assez différentes pour différents champs disciplinaires — j’ai commencé à collectionner des mots-clés, des concepts, des radicaux, des images qui venaient de zones éloignées de la connaissance. Et mon propos est devenu un jeu d’analogies et d’hybridations transdisciplinaires.
Inspiré de la biologie moléculaire et cellulaire, j’imagine que la bibliothèque est comme un noyau cellulaire : une archive de partitions.
J’invente un jeu de traductions, un jeu pour faire une mise en commun de toute forme de connaissance. L’ambiguïté et la polysémie font partie de toute forme de langage et le mot « carte » m’invite à cartographier, à mêler et à jouer. Et ainsi est née l’idée de perforer les savoirs, de digérer toute la bibliothèque, de la traduire en commun, en présent. De faire rêver la théorie pour en fabriquer de nouveaux mondes. Un jeu cartographique en mouvement.
Avec ton explication, j’imagine ce jeu dans la ripisylve (zone entre la rivière et la terre). Un espace infini dans lequel les un.e.s. et les autres s’enrichissent. Ce jeu porte-t-il un nom ? Ou plusieurs ? Oui, effectivement on pourrait imaginer la ripisylve comme un miroir de ce jeu. Un terrain en mouvement ou espace liminal, j’ai voulu créer un médium qui comporte plusieurs mots, espèces ou sujets venus de milieux différents, parfois incompatibles. Et qui sont toujours ouverts à des relations en potentiel, des associations inattendues, contingentes. Ce jeu ne porte pas encore de nom, mais je pourrais dire qu’il en transporte déjà plusieurs.
Peut-il évoluer au fur et à mesure de tes découvertes ? Au tout début de mon processus, j’ai cherché des stratégies pour mettre en commun des vocabulaires qui ne se rencontrent pas d’habitude. J’ai acheté des pots en plastique et j’y ai mis des petits bouts de carton colorés sur lesquels j’ai écrit des mots soigneusement choisis. Chaque pot correspond à un critère de sélection en particulier, et l’ensemble continue à évoluer au fur et à mesure de ma recherche : c’est en jouant avec différents publics et différents livres que les mots réclament leur existence dans ce corpus en mouvement. Comment les livres d’une bibliothèque discuteraient entre eux ? Quels dialogues peuvent exister entre différents champs disciplinaires ? C’est en occupant ces interstices que le jeu émerge.
As-tu écrit une notice ? Une règle du jeu ? Je dirais que je n’ai pas encore trouvé une notice définitive pour le jeu. Je suis toujours à la recherche d’un ensemble de règles qui soient à la fois agréables à jouer, relativement simples à comprendre et suffisamment complexes pour que la dynamique du jeu soit intéressante. Je suis aussi à la recherche de plateaux de jeu, différentes surfaces qui puissent fonctionner comme support. Ceci dit, j’ai écrit plusieurs partitions ou instructions qui ont guidées ma pratique jusqu’à présent, et que j’ai mises en jeu individuellement ou en groupe. En d’autres termes, j’ai transformé le design du jeu en une espèce de méta-jeu, pour que je puisse jouer avant même qu’un jeu définitif soit conçu.
Je pourrais ainsi dire que j’ai déjà quelques principes de base. Un point de départ fondateur de cette création a été une consigne assez connue dans le milieu de la recherche-création, qui nous invite à « performer les savoirs ». Qu’est-ce que ça peut vouloir dire ? Déjà cette question de l’interprétation ouvre des chemins d’action et de pensée assez intéressants, que je pourrais vivement conseiller à nos lecteur·ice·s comme exercice.
Après une longue réflexion autour de cette question, j’ai eu l’idée de créer un dialogue entre la performance et la biologie moléculaire. J’aime beaucoup les analogies. Si l’on considère une bibliothèque comme un noyau cellulaire, les livres comme des chromosomes, les phrases ou paragraphes comme des gènes, un exercice performatif dans la bibliothèque (par exemple : choisir un livre, lire telle phrase, interpréter tel passage, citer ou commenter un extrait qui vous touche, traduire une idée en action) serait déjà une manière de performer la biologie moléculaire (à l’intérieur de nos cellules, une myriade de machines moléculaires traduit des morceaux de nos codes génétiques en action). En outre, si le livre que l’on choisit habite, par exemple, l’étagère de la littérature comparée, nous sommes aussi en train de performer des savoirs issus de ce champ disciplinaire. Alors, dans quel champ disciplinaire se situe cet exercice finalement ?
Pour esquisser une réponse, il vaut mieux penser par strates. Dans une strate opère le méta-jeu : on va fouiller dans les bibliothèques et trouver des passages qui nous intéressent. On peut les copier, les lire, les extraire, les transporter, on peut aussi en composer des poèmes, des règles du jeu à partir des fragments sélectionnés. Du cut-up scientifique. Dans l’autre strate on joue au jeu proprement dit : on rentre dans les sujets, on les traduit en action et on y voit des réactions. En mettant en action ces idées, je me suis rendu compte que certaines idées de la biologie moléculaire pourraient carrément servir comme une convention métadisciplinaire pour naviguer entre les savoirs. Et j’ai trouvé que le nom « chimiolinguistique » illustre bien cette pratique.
Avec qui as-tu déjà testé ce jeu ? J’ai testé ce jeu dans des cadres assez différents, avec des groupes très hétérogènes. Je pourrais aussi dire que ce n’était jamais le même jeu que j’ai testé, étant donné qu’à chaque fois j’ai mis en place des règles différentes, des partitions expérimentales. Je suis, en réalité, toujours à la recherche d’une mécanique qui fonctionne : je ne l’ai pas encore trouvée. Le jeu étant toujours dans sa phase de recherche, je continue ce processus de mise en expérimentation du « méta-jeu ». Dans ce cadre, je l’ai essayé avec des artistes, des chercheur·euse·s, des philosophes, des étudiantes. Trouver des publics, des sujets à aborder, des plateaux, des cartographies à faire sont aussi des questions centrales de ma recherche en ce moment, et font partie du méta-jeu.
Est-ce que ce jeu pourrait laisser des traces, des empreintes de réflexions sous forme d’écrits, de pensées ? Est-ce qu’on pourrait le considérer comme un support de création ? Ces deux questions sont très liées dans ce travail. J’avais conçu cette œuvre de manière à troubler les lignes entre processus et produit. J’ai voulu créer un objet qui ne soit pas une destination, un objet final. Pour y arriver, j’avais imaginé un objet qui puisse être utilisé comme médium ou support d’écriture, et qui puisse servir à instruire, dès qu’on l’active, celleux qui jouent dans une démarche de création. (Je pense l’écriture dans un sens assez large, avec des mots, une écriture chorégraphique, de la bande dessinée, ou autre, indépendamment du médium.) Je tenais fort à ce système de méta-partitions inspiré de la génétique pour organiser mes pensées avant de plonger dans la création même d’une œuvre. En jouant, ce jeu a déjà laissé plein de traces sonores, visuelles, gestuelles, écrites. À partir de ces cartes, j’ai créé d’autres œuvres qui sont disponibles sur https://cosmos.hotglue.me, qui sont quelques-unes des traces ou remédiations issues de ce système de méta-partitions dont je parle. Dernièrement, comme j’ai développé tout ça au sein d’un master en recherche-création, j’ai aussi écrit un mémoire qui, j’espère, deviendra bientôt une publication.
Tu as navigué entre plusieurs mondes jusqu’à aujourd’hui, et ce jeu pourrait bien en être le fruit n’est-ce pas ? Oui, je pense que mon parcours est, quelque part, à l’intérieur de ce jeu. J’ai commencé cette longue trajectoire par l’ingénierie de systèmes (en gros, l’ingénierie qui articule différentes sortes de systèmes : électronique, mécanique, informatique, thermique…). Là, déjà, il y a une question importante : comment traduire et connecter ces systèmes radicalement différents ? L’intégration de ces systèmes requiert des liens, des adaptateurs, des codes, des traductions. Je n’ai pas tardé à reconnaître le rôle central de la notion d’information dans ces systèmes hybrides et à y diriger mon attention. Mon intérêt pour ce qu’on appelle des « systèmes complexes » m’a porté à poursuivre un master en utilisant des outils de la physique pour comprendre l’information et sa propagation en réseaux. Plusieurs notions liées à celle de l’information ont traversé mon parcours – celles d’un agent, de la sémiose, de l’auto-organisation, de l’émergence ou de la désinformation. Mais ce qui m’a toujours le plus passionné était l’organisation (re)programmable et multi-échelles du vivant. C’est ainsi que j’ai fini par faire une thèse entre la biologie mathématique et la biologie informatique, orientée autour d’une question fascinante : comment les êtres vivants, même à l’échelle d’une cellule, arrivent à sentir leurs environnements et à en extraire du sens, pour pouvoir naviguer dans ce monde compliqué et y survivre ? C’était dans ce cadre que j’ai découvert un autre champ disciplinaire hybride, très intéressant, qu’on appelle la biosémiotique — c’est-à-dire, l’étude de la fabrication de significations chez les êtres vivants. Ce qui est très singulier est que cette discipline se place à la charnière entre le matériel et le symbolique, entre matière et signification, entre l’objectivité des sciences dures et la subjectivité des sciences humaines et des arts.
Mais ce n’était pas des questions théoriques qui m’ont menées au plus récent détour (la recherche-création) dans ma trajectoire, c’était plutôt un regard critique envers l’institution de recherche académique qui m’a fait dévier du parcours scientifique classique. Quand j’ai rencontré la notion de recherche-création et le master ArTeC, je me suis finalement permis d’articuler mes pratiques artistiques (que j’avais toujours laissées de côté) avec ces mêmes sujets de recherche (qui sont toujours au cœur de mes démarches). Et voilà, tous les ingrédients nécessaires pour la genèse d’un jeu de cartes inspiré par l’architecture du vivant, dont j’ai voulu tirer une cosmologie en mouvement.
THIS IS IT, ma journée du 21 octobre 2024 par Éric Arlix
Dans le capitalisme tardif et sans doute indépassable la journée est rythmée par des roquettes ou des amendements, par des rendez-vous politiques ou people, parfois les deux entremêlés, par des indignations ou des laisser-faire dans un mega-production permanente (le mot Spectacle n’est plus assez fort vu les moyens déployés), par des révélations sans conséquence ou par des manipulations conséquentes.
Je lis trente pages de Tout l’Univers XVI, je me marre plusieurs fois, je bois un thé oloong, je pars sur les bords de Seine voir les cormorans au Pont du Port à l’Anglais, une bonne trentaine dans cette tribu, c’est la ville sauvage.
Dans le capitalisme tardif la journée est rythmée par des individus effectuant des courses, déplaçant des objets et des matériaux, parcourant pour cela parfois de longues distances pour profiter d’une promotion, d’un bon plan discount, comme un pisteur lors d’une chasse au néolithique, c’est la principale activité.
Je me rends à Porte Dorée en traversant Charenton et le bois de Vincennes pour m’acheter un banh mi tofu sans piment 6,50 euros je le mange en repartant chez moi.
Dans le capitalisme tardif la journée est rythmée pour la grosse flippe d’un gros boum (troisième guerre mondiale, crise financière, piratage mondial de l’infrastructure bancaire numérique, nouvelle pandémie double XL, etc.) et de fait il faut acheter des trucs ou les déplacer pour penser à autre chose.
Le classique par cher soupe lentilles corail, lait coco, curcuma, coriandre, rondelles d’oignons rouge, arachides concassées, top rapide, top prot.
Dans le capitalisme tardif la fin de journée est rythmée par des divertissements sur abonnements, la journée fut si stressante que la validation en sera simplifiée, rapide, pulsionnelle, l’offre est si pléthorique et les recommandations nombreuses, le niveau si élevé, une montée en gamme permanente.
Je reprends Bruit de fond de Don Delillo que j’ai commencé ce matin, lu il y a 25 ans mais aucun souvenir, une page sur deux m’ennuie, l’autre me fascine, pas si mal comme proportion.
Statistiques de la journée marche : 20 km calories brûlées : 1 000 protéines animales ingérées : 0 grosses flippes : 3 à 4 minutes pages lues : 69 cigarettes : trop alcool : 0 s’oublier en faisant défiler le fil facebook : 5 minutes (shame on me) travailler pour TINA : 2 heures écrire : 2 heures un roman improbable.
Art, mode, luxe et poudre aux yeux par DeYi Studio
Soyons mauvais, soyons ronchon. Bien sûr TINA est positive et nous préférons trois fois signaler ce qui nous intéresse. Il faut ouvrir des pistes, offrir des ressources, nourrir l’espoir. Mais soyons râleurs aussi. Il s’agit parfois de déblayer le terrain pour faire un peu de place et y voir plus clair. Quitte à passer pour des jaloux aux yeux des parvenus, soyons bougon, soyons grincheux !
Il paraît que se tient ces jours-ci Art Basel Paris. On s’en fout littéralement. Le ridicule du nom où ce qu’il dit des reconfigurations du marché de l’art ne nous tracasse pas spécialement. Les événements associés, off ou officiels, ne nous concernent pas davantage. Pourtant un « projet spécial » du « programme public » nous réjouit assez, dans sa bêtise prévisible. Il fallait s’y attendre, c’était inéluctable. Après Anne Imhof, Nile Koetting, et d’autres sans doute, qui nous assommaient déjà de performances contaminées par l’esthétique de la mode, de ses défilés et de ses magazines – poses d’indifférence affectée, gestes d’abandon maitrisés, désinvolture calculée, élégance décalée, arrogance naturelle, grises mines systématiques, misérabilisme chic, révolte simulée dûment rémunérée – voici le retour de bâton. Même chose à peu près, mais dans l’autre sens.
Une maison de mode fait de l’art. Les performeurs n’ont plus l’air de mannequins, ce sont les mannequins qui performent. Bref, le défilé de mode statique et prolongé en tant qu’exposition. Le tour est joué. On ne va pas pleurer. il n’y a rien à sauver dans les expositions. Mais c’est tout de même assez drôle de voir ce tour de passe-passe. Et il se trouve des artistes pour signer cette mascarade et des directrices de musée pour l’avoir curaté (sic). Et il se trouve des revues d’art pour nous servir cet « ambitieux projet » comme « expo-spectacle troublante ». Ce qui est troublant c’est le niveau d’imbécilité à ce stade avancé de la compromission. Que des réalisatrices de talent acceptent de gagner un peu d’argent en tournant un film publicitaire, passe encore, les temps sont durs. Mais l’on croit rêver quand on vient nous expliquer doctement qu’une marque de luxe prétend sur le dos de l’art donner des clés pour aider les femmes et montrer que l’empowerment est possible. Ou bien faut-il se retenir de vomir sur le dos de l’art ?
Le Biòu d’or Préservation d’une culture par tous les moyens par Aurélia Zahedi
Nîmes – Dimanche 13 octobre – 10h30 Foule dans une bodega – Élection du Biòu d’or
Monsieur Triol m’a dit : C’est comme la palme d’Or pour le réalisateur d’un film, sauf que là, c’est le Biou d’or pour le meilleur taureau. C’est l’événement de l’année pour les Courses Camarguaises. Pas de chichi par contre. Dans ce petit bar protégé par les têtes de taureaux au mur, tout le monde est debout et tente de trouver une fenêtre pour voir le discours. Les enfants, les mamies, papis, éleveuses, éleveurs, aficionados, journalistes locaux viennent pour la même chose : connaître le taureau vainqueur 2024. 19 représentants de la tauromachie sont appelés à voter devant les spectateurs. Le public a eu son vote lui aussi la semaine dernière. Pas de discours à la rose, de tapis rouge ou de champagne, simplement une peña (fanfare) qui joue les airs de fêtes. Aujourd’hui, la récompense se dispute entre deux taureaux : Bohémien et Castella. Les rumeurs racontent que Bohémien a un gros cœur, qu’il est spectaculaire, qu’il fonce facilement dans les barrières, et que son élégance le caractérise. Castella, lui, est moins barricadier, très méchant dans son comportement, on ne peut pas l’aborder de n’importe quelle manière. Il est d’une grande intelligence. A gauche, il est capable d’actions très engagées, avec des cornes toujours menaçantes. Moment du Dépouillement. Silence total dans le public. Au micro, les noms sont donnés au fur et à mesure. Ex aequo d’abord, puis Castella se démarque et arrive en tête. Applaudissements dans l’assistance d’un côté, sifflets soutenus de l’autre. On entend crier « Mascarade ! » « Tricherie ! ». Les mécontents ne cachent pas leurs désaccords. Comme la tradition le veut, les éleveur.euse.s de Bohémien et Castella ne sont pas venus, pour éviter le désordre. C’est aux arènes cet après-midi que nous verrons les bêtes et leurs manadiers. L’apéritif est servi. Les discussions sont chargées de passion ; enchantement ou déception, pas de demi-mesure.
15h – Dans les arènes de Nîmes – Le trophée des As
Pour imaginer succinctement, la Course Camarguaise consiste à retirer des attributs/décorations sur la tête d’un taureau qui est en piste pendant 15 minutes. Les participants sont appelés raseteurs car on dit qu’ils « rasent » le taureau. Les trois attributs fixés sur le taureau doivent être détachés dans un ordre bien précis, d’abord la cocarde, un bout de tissus rouge solidement fixé sur le front de l’animal, ensuite les glands : deux pompons blancs sur les cornes, puis les ficelles qui entourent les cornes de l’animal. Chaque attribut arraché rapporte de l’argent à celui qui arrive à les extraire. La fin de la saison de la Course Camarguaise se termine par le trophée des As, moment qui réunit dans les arènes, les sept plus grands taureaux et 10 meilleurs raseteurs de la saison. Les taureaux sont : « Engora » (Aubanel-Baroncelli) « Montego » (Lautier). « Lichou » (Rambier-Cavallini). « Castella » (Saumade), Bioù d’or 2024. « Bohémien » (Rouquette). « Vicaire » (Saumade). « Redon » (Fabre-Mailhan).
Mais avant que la course ne débute, une heure de spectacle est proposée au public. D’abord arrive la Croix de Camargue, emblème pour représenter la nation camarguaise. S’en suivent le défilé des guardians (gardien.ne.s des troupeaux), à cheval, puis des femmes dans leurs costumes traditionnels arlésiens. Dans une chorégraphie simple et précise, les figures paradent dans cette culture languedocienne provinciale. N’oublions pas le passage des chevaux de Camargue qui font leur effet, ainsi que la présence de la Reine d’Arles, fraîchement élue, représentante de cette culture par excellence. Une série de cartes postales se succèdent donc, dans une odeur d’exotisme poussiéreux. Et pourtant,… quelque chose dénote, grince même. Cette sensation est représentative majoritairement par la musique. A la suite des mélodies occitanes jouées par la peña dans les arènes, les enceintes diffusent Johny Halliday ou la B.O de Titanic réadaptée sur un air de techno. A l’image de l’huile et l’eau, quelque chose n’arrive pas à s’assembler.
Ces spectacles qui précèdent la Courses Camarguaises existent depuis une dizaine d’année. Les aficionados me racontent que cette culture a besoin d’être mise en avant pour être reconnue. Si elle plaît au grand public, elle pourra alors être préservée. En quelque sorte, la Course Camarguaise ne suffit plus. Si le monde est trop animaliste aujourd’hui pour accueillir les jeux taurins alors peut-être que ce sont aux jeux taurins de s’adapter à son public pour survivre. Bien sûr, toutes les cultures évoluent avec leur temps mais dans le but, semble-t-il, d’équilibrer la tradition avec le monde. Au début des années 1900, le grand manadier Fernand Granon ajoute dans les Courses Camarguaises l’air du toréador de l’opéra Carmen de Bizet par amour pour cette musique. Depuis, c’est un hommage qui lui est rendu et cette nouvelle règle intégrée garde en mémoire une figure importante de la tauromachie.
Le jeune guardian assis à côté de moi m’affirme que ce spectacle d’introduction donne de la valeur à la Course Camarguaise. Le taureau est au centre et il apporte avec lui la culture. Sans la présence de l’animal ajoute-t-il, il s’agirait de folklore. Sur un air populiste, l’esthétique, la langue et les coutumes allègrement célébrées dans un spectacle de divertissement permettent-elle de camoufler la question animale ? Notons que si le tourisme, ignare de la Course Camarguaise tolère, voir, participe à l’événement, c’est que le folklore réussi à noyer le poisson pour maintenir ce jeu taurin.